vendredi 21 décembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: Chapitre IV: LA PROMESSE DE CASTEL-RAJAC


Le temps passa. Les jours formèrent des mois, puis des
années…
Castel-Rajac, ses deux amis et le bambin vivaient toujours
dans leur village pyrénéen. Quelque temps, Navailles était resté
dans la région. Puis, certain enfin que les protégés du cardinal
ne couraient plus aucun risque, il avait rejoint Paris, non sans
venir faire, de temps à autre, une incursion jusqu’à Bidarray. Il
avait revu de la sorte le gentilhomme gascon et ses amis, et avait
reçu, au vieux manoir, chaque fois un accueil aussi franc
qu’enthousiaste. Mais il n’avait jamais dévoilé à Castel-Rajac la
raison pour laquelle il revenait ainsi de temps à autre. Le
marquis de Navailles était à la fois le plus loyal et le plus discret
des serviteurs.
Puis ses visites s’espacèrent à mesure qu’il acquérait la
certitude que ses amis n’avaient plus rien à craindre.
Peu de temps avant la dernière crise qui devait l’emporter,
Richelieu partit pour Pau, espérant que le climat rétablirait sa
santé chancelante.
Il se souvint alors que Pau n’est pas tellement éloigné de la
Gascogne, et que dans cette province vivaient le chevalier de
Castel-Rajac et son fils.
Le cardinal n’avait nullement été dupe de l’habile
subterfuge employé par le défenseur de Mme de Chevreuse.

Le petit Henry resterait donc officiellement le fils de
Castel-Rajac, alors que le premier ministre aurait donné sa tête
à couper que le garçonnet était bien celui dont la reine avait
accouché clandestinement, quatre ans auparavant.
Le cardinal envoya un de ses officiers auprès de Castel-
Rajac, avec ordre de le ramener près de lui, ainsi que son fils.
Afin de donner toute sécurité à Gaëtan, l’émissaire du
cardinal n’était autre que le marquis de Navailles. Il était
porteur d’un sauf-conduit qui donnait toutes garanties à Castel-
Rajac et à l’enfant.
Tout d’abord, le Gascon hésita. Il se dit :
– Si c’était un piège ?
Avec sa franchise habituelle, il ne se gêna nullement pour
faire part de ses soupçons à M. de Navailles.
– Monsieur, lui dit-il, j’ai charge d’âme. Je respecte Son
Éminence. Mais je ne puis oublier que j’ai été appelé à jouer visà-
vis d’Elle un rôle qu’elle ne m’a peut-être pas encore
pardonné…
– Chevalier, répondit le marquis de Navailles avec non
moins de franchise, si cette invitation était un guet-apens,
jamais Son Éminence n’aurait osé m’envoyer comme émissaire !
Cette fière réponse décida Castel-Rajac.
– Si vous le désirez, ajouta Navailles, je puis vous donner
ma parole d’honneur que les intentions du cardinal sont pleines
de bienveillance, et que vous n’avez à redouter aucune traîtrise.
– Monsieur le marquis, votre parole d’honneur est plus que
suffisante ! Votre première réponse me satisfaisait déjà, et je
suis prêt à partir avec mon fils quand il vous plaira !
Dès le lendemain, ils se mirent en route. Le petit Henry
était alors un délicieux bambin de quatre ans, déjà solide et
éveillé.
Richelieu les reçut dans une grande salle du château où
était né Henri IV.
Déjà marqué par la mort, le visage amaigri, les mains
osseuses et quasi squelettiques, l’oeil toujours aussi lumineux, il
semblait, au seuil du tombeau, plus grand encore qu’au sommet
de sa vie.
Malgré son audace naturelle Gaëtan-Nompar-Francequin
de Castel-Rajac se sentit tout à coup dominé par la majesté de
celui qui, depuis tant d’années, était le véritable roi de France.
Au regard bienveillant que « l’homme rouge » lui adressa,
et à l’appel affectueux de la main qu’il fit au petit Henry qui le
contemplait d’un air un peu effarouché, mais respectueux,
comme si, d’instinct, il devinait qu’il se trouvait en face d’une
des plus grandes forces humaines qui eussent jamais existé,
l’ami de la duchesse de Chevreuse comprit que M. de Navailles
lui avait dit la vérité, et qu’il avait bien fait de ne point se
dérober à l’appel du cardinal-ministre.
Celui-ci, d’une voix grave, lui dit :
– Monsieur le chevalier, si je vous ai mandé près de moi, ce
n’est point dans un sentiment de curiosité, et encore moins de
rancune ; c’est parce que je voulais, avant de mourir, avoir de
votre bouche toute la vérité.
Et, attirant l’enfant près de lui, il les regarda
successivement avec beaucoup d’attention, puis il reprit :
– Je voudrais vous parler seul un instant.
Gaëtan prit le petit par la main et, l’emmenant au bout
d’une vaste salle, près d’une grande fenêtre qui donnait sur la
cour d’honneur, il lui dit :
– Regarde tous ces cavaliers… regarde-les bien, afin d’être
un jour comme eux !
L’enfant s’absorba dans la contemplation des officiers et
des gardes qui cavalcadaient sur le pavé. Le Gascon revint alors
vers Richelieu, qui se disait :
– Il n’est pas encore tranquille, puisqu’il n’a pas voulu
emmener le petit hors de sa présence. Cela prouve qu’il est aussi
prudent que brave et cela n’est point pour me déplaire.
Castel-Rajac, qui s’était approché de Richelieu, attendait,
dans une attitude pleine de déférence, que celui-ci daignât lui
adresser la parole. Après l’avoir considéré pendant un instant
l’homme rouge reprit :
– Savez-vous, monsieur le chevalier, que vous avez été
mêlé à une aventure qui aurait pu vous coûter la tête ?
– Je le sais, Éminence !
– Sans doute, vous êtes-vous étonné qu’après la tuerie du
château de Montgiron, je n’eusse point songé à châtier ceux qui
avaient massacré mes gardes ?
Avec sa netteté habituelle, Gaëtan répondait :
– J’ai supposé que Votre Éminence avait perdu ma trace,
ainsi que celle de mes amis !
– Il n’en était rien, monsieur ! À peine un mois après votre
rébellion, je connaissais le lieu de votre retraite, et si je vous ai
épargné, c’est que j’ai appris que vous aviez agi en très bonne
foi, et que si vous aviez pourfendu plusieurs de mes meilleurs
soldats c’était uniquement pour tenir le serment d’honneur que
vous aviez fait à la duchesse de Chevreuse, de défendre jusqu’à
la mort l’enfant qu’elle vous avait confié.
Tout en s’inclinant légèrement, Gaëtan répondait :
– Je constate que Votre Éminence est admirablement
renseignée !
– Maintenant, monsieur, j’ai une question très grave à vous
poser. Elle est même la vraie raison pour laquelle je vous ai fait
venir ici.
Tout en fixant dans les yeux le Gascon, qui soutint son
regard avec la tranquille énergie d’une âme sincère, il dit :
– Connaissez-vous le père et la mère de cet enfant ?
Spontanément, l’amant de la belle Marie répliquait :
– Le père… je m’en doute un peu…
– Il est inutile de me dire que c’est vous, coupait Richelieu,
car je ne vous croirais pas, bien que vous l’eussiez déclaré sur le
registre de baptême de l’église de Saint-Marcelin. D’ailleurs,
cela n’a que peu d’importance… Mais la mère… Connaissez-vous
la mère, ou plutôt, le nom de la mère ?
– Non, Éminence…
– La duchesse de Chevreuse n’a jamais laissé échapper
devant vous aucune parole qui fût de nature à éveiller vos
soupçons ?
– Jamais, Éminence !
– Et vous, n’avez-vous même point cherché à pénétrer ce
secret qui doit être d’importance, puisqu’on a fait autour de lui
un si grand mystère ?
– Non, Éminence…
– Vous me le jurez ?
– Je vous le jure…
Le cardinal garda un moment le silence. Puis il reprit :
– Êtes-vous ambitieux, chevalier ?
Castel-Rajac sourit.
– Oh ! pas du tout ! J’aime mon pays, son soleil, ses
paysages ; cette vie simple me suffit, et je ne demande ni la
richesse, ni la gloire.
– Cependant, vous me paraissez doué de qualités telles
qu’il est dommage de penser qu’elles demeureront stériles…
Vous n’êtes guère fortuné, mais vous êtes de bonne souche. J’ai
là, dans cette cassette, un brevet de colonel. Que diriez-vous si je
le signais ?
Le chevalier s’inclina.

– Éminence, je serais pénétré envers vous de la plus
profonde reconnaissance…
Et, avec finesse, il ajouta :
– Il va donc y avoir la guerre ?
Richelieu répliqua :
– Pourquoi me dites-vous cela ?
– Mais, Éminence, parce que s’il n’y a point de guerre, il n’y
a pas lieu de me nommer colonel !
– Et s’il y a la guerre ?
– Eh ! mordiou, je me battrai en soldat !
Le grand cardinal dissimula un rapide sourire. Cette verve
gasconne l’amusait. Il étendit la main pour saisir la cassette et
mettre sa promesse à exécution. Mais le chevalier l’arrêta
respectueusement.
– Pardonnez-moi, Éminence… Mais il existe un motif qui
m’interdit l’honneur et la joie d’accepter l’immense faveur que
vous daignez me proposer…
Le cardinal prit un air interrogatif.
Alors, Castel-Rajac, désignant le petit Henry qui continuait
à regarder dans la cour les évolutions des cavaliers, fit, avec une
profonde tendresse :
– Qui s’occuperait du petit ? Le confier à mes parents ? Car
je suis célibataire et j’entends le rester. Ma pauvre maman est
bien âgée et… je ne devrais point dire cela devant un prince de
l’Église, elle est un peu trop dévote.
De nouveau, un sourire furtif courut sur les lèvres du grand
cardinal.
Encouragé par cet accueil, Gaëtan continua :
– Le confier à des étrangers ? Je ne serais pas tranquille…
Je préfère être à la fois son père nourricier et son éducateur, et
quand je le vois déjà, si ardent et si beau, et puis quand je
découvre dans sa petite âme, qui s’épanouit peu à peu, de belles
promesses, j’ai l’impression, Éminence, que je suis en quelque
sorte le gouverneur d’un prince charmant qu’une bonne fée
aurait déposé devant ma porte !
À ces mots, qu’il prit pour une transparente allusion,
Richelieu eut un imperceptible tressaillement, et son regard
aigu fouilla celui du Gascon.
Mais celui-ci resta impassible. Il acheva, avec tendresse :
– Et puis, je l’aime tant !
– Autant que s’il était vraiment votre fils ?
– Il l’est, Éminence !
Le cardinal-ministre comprit qu’avec ce fin matois, il
n’aurait jamais le dernier mot. Castel-Rajac savait-il ou ne
savait-il pas la vérité ? À vrai dire, le gentilhomme, s’il se
doutait que son pupille était d’illustre naissance, ne soupçonnait
point encore son origine royale, et sa phrase de l’instant
précédent était un effet du hasard. Mais Richelieu, sachant à qui
il avait affaire, n’en était pas absolument certain.

Le prélat se recueillit quelques instants, cherchant une
solution. Enfin, il prononça d’un air grave, méditatif :
– Eh bien ! gardez-le ! Mieux vaut qu’il soit entre vos mains
que dans celles de bien d’autres ! Faites-en, ainsi que vous le
proposez, un beau gentilhomme, dévoué à son roi et à son pays.
C’est tout ce qui pouvait arriver de plus heureux à cet enfant.
Mais je voudrais lui parler, à lui…
Castel-Rajac, enchanté de la tournure qu’avait prise
l’entrevue, appelait déjà :
– Henry ! Henry, viens saluer Son Éminence…
L’enfant s’empressa d’accourir, et s’inclina gracieusement
devant Richelieu, qui, tout en le contemplant avec une
expression de douceur et de bonté que nul, peut-être encore ne
lui avait connue, fit, en désignant le jeune chevalier qui
s’efforçait de comprimer son émotion :
– Mon enfant, regarde bien ton père. C’est un vaillant
gentilhomme qui ne peut que te donner de bons exemples.
Aime-le sans cesse. Imite-le toujours. Et plus tard, quand tu
seras grand, tu te souviendras que peu de temps avant qu’il ne
s’en fût rendre ses comptes à Dieu, le cardinal de Richelieu ne
t’a pas donné sa bénédiction, parce qu’on ne bénit pas un ange,
mais a imprimé sur ton front un baiser affectueux.
Le cardinal approcha ses lèvres du front que lui tendait le
fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche. Puis, le contemplant
encore, il murmura :
– Comme il ressemble à son frère !
Et tout à coup, il fit :

– Chevalier, vous pouvez vous retirer avec votre fils. Veillez
sur lui, car il se peut qu’un jour, de graves dangers le menacent,
et ce ne sera pas trop de votre épée pour les écarter de son
chemin…
Castel-Rajac s’inclina profondément devant le premier
ministre et sortit.
En emmenant l’enfant, les paroles prononcées au cours de
cet entretien lui revinrent à la mémoire. Il songea :
– Pour que le cardinal m’ait parlé de la sorte, et témoigné
en présence de cet enfant un trouble aussi profond, il faut que
mon fils soit celui d’un bien grand personnage et d’une bien
grande dame !
Comme il se faisait tard, le chevalier, ne voulant pas
voyager de nuit, à cause du jeune Henry, auquel il voulait éviter
les fatigues d’un déplacement nocturne, se décida à souper et à
coucher dans la ville de Pau.
Ses moyens, plutôt restreints, ne lui permettaient de se
rendre que dans une très modeste auberge.
C’était une hostellerie où se rencontrait un monde plutôt
mélangé. Ce qui ne l’empêcha nullement de manger avec un
superbe appétit, ainsi d’ailleurs que le petit Henry, qui, pendant
tout le repas, se montra d’une grande gaieté.
Ce ne fut qu’à la fin du souper que ses yeux commencèrent
à papilloter. Et Gaëtan, qui veillait sur lui avec autant de
vigilance qu’une mère, l’emmena se coucher dans la chambre
qu’il avait retenue au second étage de la maison.
Quand le petit fut dévêtu et endormi, comme il était trop
tôt pour qu’il en fasse autant, Castel-Rajac descendit dans le
jardin et s’en fut s’asseoir sur un banc, dans un bosquet, où il se
mit à rêver à la jolie Marie de Rohan, devenue l’idole exclusive
de sa vie.
Mais bientôt, son attention fut attirée par un murmure de
voix assez rapproché.
– Mordiou ! pensa-t-il. Quels sont ceux qui prennent les
arbres comme confidents ? C’est quelquefois une méthode
dangereuse…
Il distingua plusieurs voix d’hommes. Il prêta l’oreille.
Soudain, l’un d’eux prononça un nom qui le fit tressaillir.
– Sangdiou ! Serait-ce la Providence qui m’a guidé
jusqu’ici ? fit-il entre ses dents.
Le chevalier n’avait plus envie de rire. Sans doute les
paroles qu’il entendait étaient-elles de la plus haute gravité, car
son visage revêtit une expression d’inquiétude assez vive.
Maintenant, il s’était levé, et, à pas de loup, prenant bien
garde de ne point faire craquer sous ses semelles quelque
brindille, il s’était approché autant qu’il l’avait pu du groupe
dont il n’était séparé que par un simple buisson.
Retenant sa respiration, il écouta quelques instants de la
sorte. Enfin, il se redressa lentement. Les personnages dont il
venait de surprendre les propos s’éloignaient maintenant dans
la direction de la ville.
Castel-Rajac les laissa partir. Après quoi, il remonta dans
sa chambre.
Son fils d’adoption dormait d’un sommeil à la fois paisible
et profond.

Alors, il boucla son ceinturon, enfonça son feutre sur sa
tête, se drapa dans son manteau, et, d’un pas rapide, gagna le
château de Pau.
Devant la grille, une ombre se dressa, croisa son arme
devant lui.
– Qui vive ? fit une voix.
– Où est le chef de poste ?
– Qui êtes-vous ?
– Un gentilhomme qui veut être introduit immédiatement
auprès de M. le capitaine des gardes de Son Éminence !
La sentinelle regarda d’un air défiant cet inconnu, puis
devant l’insistance de Castel-Rajac qui s’écriait déjà qu’il allait
entrer de gré ou de force, elle alla chercher l’officier de service.
Celui-ci comprit qu’il avait affaire à un gentilhomme. À la
demande du Gascon, il s’inclina avec politesse, mais répondit
que Son Éminence était partie pour Bordeaux depuis une demiheure,
et que le capitaine de ses gardes, M. le baron de Savières,
l’accompagnait.
– Tiens ! philosopha Castel-Rajac, en souriant dans sa
moustache, il s’en est fallu de peu que je me retrouve nez à nez
avec ce sympathique capitaine…
Il laissa échapper un sonore juron gascon et gronda :
– Pourvu que je n’arrive pas trop tard !

– Que se passe-t-il donc ? interrogeait l’officier, déjà
inquiet.
– Je viens de découvrir un complot qui a pour but
d’assassiner le cardinal au cours de son retour à Paris !
L’officier eut un haut-le-corps.
– Est-ce possible !
– J’en suis sûr ! Aussi, il n’y a pas une minute à perdre !
Donnez-moi un cheval, un très bon cheval, et je réponds de
tout !
Comme son interlocuteur le regardait avec une certaine
méfiance, se demandant quel crédit il devait accorder à cet
inconnu qui voulait réquisitionner un cheval appartenant au
service de Son Éminence, Gaëtan s’exclama :
– Je suis le chevalier de Castel-Rajac, et tout le monde,
dans le pays, vous affirmera que je dis toujours la vérité !
– Ça, c’est vrai ! dit un soldat en s’avançant.
– Tiens, c’est toi… Crève-Paillasse ! lançait le chevalier en
reconnaissant un jeune paysan originaire de la localité
pyrénéenne où il s’était retiré.
– Oui, monsieur le chevalier ! répondait le soldat. Il y a
justement à l’écurie un pur-sang qui ne demande qu’à galoper
un train d’enfer !
– Eh bien ! amène-le-moi vite ! commandait déjà l’amant
de la duchesse de Chevreuse.
Mais l’officier de service intervenait à nouveau.

– Minute ! Il me faut d’autres garanties !
Castel-Rajac fronça les sourcils.
– Prenez garde, monsieur l’officier, s’écria-t-il. Vous
assumez là une lourde responsabilité ! Chaque minute que vous
me faites perdre risque de coûter la vie à Son Éminence ! Et s’il
arrive malheur au cardinal de Richelieu, je ne manquerai point
de dire très haut que c’est par votre faute !
Ce dernier argument dissipa les scrupules du militaire.
– Va chercher le cheval ! lança-t-il à Crève-Paillasse qui
partit aussitôt.
Moins de cinq minutes après, Gaëtan sautait en selle et
partait au triple galop sur la route de Bordeaux.
Crève-Paillasse avait dit vrai. Sa monture, une bête
admirable, avait véritablement des ailes.
Castel-Rajac galopa environ pendant deux lieues à francs
étriers. Puis, à un détour du chemin, il aperçut des lueurs de
torches, en même temps que son ouïe, très fine, percevait un
cliquetis d’armes, révélateur d’un proche combat.
– Sangdiou ! grommela-t-il. Est-ce que j’arriverais trop
tard, déjà ?
En quelques bonds de sa monture, il arriva sur le théâtre
de la lutte. Et il aperçut, entourant le carrosse du cardinal, une
bande d’hommes masqués qui ferraillait contre les gardes de
Son Éminence.

Il était hors de doute que l’escorte allait succomber sous le
nombre, et qu’aussi valeureux que soit l’appui que le Gascon
était décidé à leur donner, les conspirateurs ne pouvaient
manquer d’avoir le dessus.
Mais Castel-Rajac, une fois de plus, allait leur prouver que
l’esprit d’un Gascon est capable de triompher des pires
situations.
Sautant à bas de son cheval, et profitant de ce que les
combattants, acharnés dans une bataille sans merci n’avaient
point remarqué sa présence, il grimpa sur un arbre, au pied
duquel le carrosse était arrêté.
Il le fit si doucement et si prestement que personne ne
s’aperçut de rien. Les gardes du cardinal combattaient en
braves, mais visiblement, ils commençaient à faiblir, ce qui
encourageait les sacripants à attaquer de plus belle.
– Il est temps d’intervenir, mordiou ! se dit le chevalier
après avoir prudemment observé les phases de la lutte.
Il tira son épée, qu’il plaça entre ses dents. Puis, sans
hésitation, il se laissa tomber sur la toiture du véhicule.
Le cardinal, effaré, mit la tête à la portière, persuadé que
c’était un de ses ennemis qui allait l’égorger ; mais déjà, Castel-
Rajac s’était dressé, et d’une voix vibrante, qui domina le
tumulte, il clama :
– À moi, mes amis ! À bas les traîtres et vive le cardinal !
Les assaillants, surpris par ce renfort inopiné, levèrent la
tête. Ils aperçurent le Gascon, debout sur le carrosse,
brandissant son épée. Bondissant comme un diable, Gaëtan
sauta sur le dos de l’adversaire le plus proche, qui s’étala
aussitôt en poussant un cri d’agonie : l’épée l’avait traversé de
part en part.
– En avant, en avant ! hurla Castel-Rajac derechef.
Et il se jeta avec furie au milieu de la mêlée.
Convaincus qu’une troupe importante arrivait au secours
de Son Éminence, les conjurés eurent un mouvement
d’hésitation, suivi d’un léger recul. Les gardes en profitèrent
pour les contre-attaquer aussitôt avec succès. Castel-Rajac,
sautant à la gorge d’un des conspirateurs qui le menaçait de son
arme, roula avec lui à terre en hurlant :
– Sangdiou ! Je vais t’apprendre comment on étrangle les
gens, en Gascogne !
Et il le fit avec un tel brio que les conspirateurs, persuadés
qu’un renfort de plusieurs hommes venait de leur tomber sur le
dos, s’empressèrent de rejoindre leurs chevaux, qu’ils avaient
laissés à la lisière d’un champ voisin, et de s’enfuir dans une
galopade effrénée.
Le capitaine des gardes, qui était bien en effet le baron de
Savières, avait reconnu en son sauveur l’homme qui, quelques
années auparavant, lui avait joué, au château de Montgiron, le
tour que l’on n’a pas oublié. Il s’écria :
– Il est vraiment étrange, monsieur le chevalier, que ce soit
à vous que je doive aujourd’hui la vie !
Mais déjà, une voix s’élevait du carrosse :
– N’est-ce point le chevalier de Castel-Rajac ?
– Mais oui, Éminence !

Et l’amant de Marie de Rohan, s’avançant vers l’homme
d’État dit, tout en le saluant en grande cérémonie :
– Vous voyez, Éminence, qu’un bienfait n’est jamais perdu,
puisque votre indulgence à mon égard me vaut l’honneur de
vous délivrer aujourd’hui de ces misérables qui voulaient vous
assassiner !
– Chevalier, dit le cardinal, vous n’aurez point obligé un
ingrat. Je saurai vous récompenser…
– Votre Éminence l’a fait d’avance !
– Comment cela ?
– En me laissant mon fils, Éminence…
Puis, tout haut, il reprit :
– Ne nous attardons pas dans ces parages et évitons de
donner à nos adversaires l’occasion d’un retour offensif. Je vais
vous accompagner par des chemins détournés que je connais
bien, jusqu’au bourg de Saint-Parens, où cantonne, en ce
moment, un régiment de cavalerie qui se chargera d’assurer la
sécurité de Votre Éminence.
Et retournant vers son cheval qui, sans doute exercé aux
bruits de bataille, n’en avait paru nullement effrayé et s’était mis
philosophiquement à arracher les pousses d’un jeune chêne, il
remonta en selle et servit de guide à Richelieu et à ses soldats.
Après être arrivé sans encombre à Saint-Parens, Castel-
Rajac prit congé du ministre. Celui-ci eut un mince sourire.

– Allons, chevalier, je crois que nous finirons par devenir
de très bons amis ! dit-il.
– Je serai déjà heureux si Votre Éminence veut bien me
considérer avec la bienveillance qu’Elle accorde à ses fidèles
serviteurs ! riposta finement le Gascon en s’inclinant devant le
tout-puissant prélat.
Celui-ci accentua son sourire.
– L’avenir ne m’inquiète nullement pour vous chevalier !
Vous êtes brave, loyal, chevaleresque, et ce qui ne gâte rien,
vous avez de l’esprit. Vous deviendrez maréchal de France !
Ce fut sur cette prophétie pleine d’espérance que le jeune
homme se retira.
Mais il n’en avait pas encore fini avec la reconnaissance
que son geste avait provoquée. Dans la cour, au moment où il
allait remonter à cheval, il vit s’avancer un homme vers lui. À la
lueur d’une torche que tenait un soldat, il reconnut le capitaine
de Savières.
– Chevalier, fit celui-ci en lui tendant une main large
comme l’épaule d’un boeuf, je sais ce que nous vous devons tous,
à commencer par Son Éminence Je ne sais pas comment notre
cardinal pense s’acquitter. Mais moi, ce que je veux vous dire,
c’est que, morbleu ! je suis votre ami, et si jamais vous avez
besoin de moi, je serai là !
– Capitaine, répondit le Gascon en lui rendant sa poignée
de main, je suis fier qu’un homme aussi brave que vous
m’appelle son ami, et heureux d’avoir pu vous rendre ce léger
service !

Puis, décidément réconcilié définitivement avec ses anciens
ennemis, le jeune homme sauta sur son cheval et reprit la route
de Pau à fond de train.
Il y arriva au petit matin. Son premier soin fut de ramener
sa monture au château. L’officier de service s’y trouvait
toujours. En quelques mots, Gaëtan lui narra ce qui s’était
passé. L’autre manqua défaillir en pensant à la responsabilité
qu’il avait failli encourir en refusant un cheval à cet inconnu.
Castel-Rajac vit son trouble.
– Ne craignez rien, monsieur ! À l’heure actuelle, Son
Éminence est saine et sauve, et le régiment de cavalerie de
Saint-Parens, où je l’ai conduite, renforcera son escorte et la
conduira jusqu’à Bordeaux !
Il ne tarda pas enfin à regagner l’auberge où il avait laissé
le petit Henry. Il trouva celui-ci dormant toujours de son
sommeil de chérubin et souriant aux anges. Castel-Rajac le
considéra un instant avec attendrissement.
– Ah ! oui ! murmura-t-il. Je suis déjà payé au centuple de
ce que j’ai fait pour le cardinal… Que serais-je devenu, sans cet
enfant ?


vendredi 14 décembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: Chapitre III: UN ENVOYÉ DU CARDINAL


Une fois Durbec fixé sur le gîte où s’étaient réfugiés le
gentilhomme gascon et son fils adoptif, il fit demi-tour, n’ayant
plus rien à faire dans les Pyrénées.
Tout en ruminant ses projets de vengeance, il brûlait les
étapes et avalait les lieues, n’accordant à son cheval et à luimême
que le temps strictement indispensable au repos.
Un fer perdu par son cheval, et une légère boiterie qui en
résulta le retarda un peu. Enfin, un beau matin, il franchit la
barrière d’Enfer, et se trouva dans la capitale.
Onze heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois,
lorsqu’il demanda à être introduit auprès du premier ministre.
Hélas ! cette entrevue, comme les deux précédentes, ne
devait lui réserver que des désillusions. Richelieu accueillit avec
une satisfaction évidente les renseignements qu’il lui
communiqua, mais ne manifesta en aucune façon l’intention de
s’approprier l’enfant de la reine ou même d’intervenir d’une
façon quelconque dans les affaires du Gascon.
Durbec, dépité, insinua quelques perfidies contre Castel-
Rajac, tentant un ultime effort pour dresser contre lui la colère
du prélat. Mais ce fut en vain. Bien au contraire, le ministre
fronça les sourcils et le congédia sèchement.

Le chevalier sortit, en proie à une colère qui, pour être
cachée, n’en était pas moins violente, et jura de se venger. Il
n’avait que trop tardé à agir par lui-même.
Richelieu connaissait trop les hommes et le secret des âmes
pour que la haine de celui qu’il employait lui échappât.
Dès que la porte se fut refermée sur son espion, le cardinal
se plongea dans une profonde méditation.
Enfin, au bout d’un moment, il allongea sa main vers un
cordon de sonnette. Un officier parut.
– Prévenez M. de Navailles que j’ai à lui parler
immédiatement ! ordonna-t-il.
Quelques instants plus tard, le marquis de Navailles faisait
son entrée.
C’était un des fidèles de Richelieu. Mais en même temps,
c’était un des plus loyaux gentilshommes du royaume de
France.
Il s’inclina profondément devant le cardinal et attendit ses
ordres.
– Monsieur de Navailles, dit Richelieu, je connais vos
mérites, et je veux aujourd’hui vous donner une preuve de
confiance en vous chargeant d’une mission délicate entre toutes.
Navailles, un grand et fier gaillard, aux moustaches
conquérantes et aux yeux gris d’acier, répliqua :
– Votre Éminence peut croire que je lui en suis
profondément reconnaissant, et que je m’efforcerai d’accomplir
de mon mieux ce qu’Elle daignera m’ordonner de faire…

– Avant, reprit Richelieu, qui se caressait le menton dans
un geste machinal, je dois vous donner quelques mots
d’explication préliminaire…
« Il existe dans les Pyrénées un petit village, du nom de
Bidarray. C’est là que vous allez vous rendre… »
Navailles réprima un geste de surprise, mais ne dit rien.
– Dans ce village, continua le ministre, vit un jeune enfant,
avec son père, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac, et deux
autres gentilshommes : MM. d’Assignac et de Laparède… J’ai
des raisons spéciales et très graves pour m’intéresser à ce
bambin, et par contre-coup, au chevalier de Castel-Rajac. Il se
pourrait qu’ils soient en butte à des attaques sournoises
d’adversaires qu’ils ne soupçonnent pas… Vous allez donc,
comme je vous l’ai déjà dit, partir pour ce village. Votre mission
consistera à veiller sur la sécurité de ces deux personnes. Je ne
veux pas qu’aucun mal leur arrive. Vous m’avez compris ?
Le marquis de Navailles s’inclina jusqu’à terre.
– J’ai compris, Éminence… Aucun mal ne leur arrivera.
– Merci, monsieur. Je sais que je peux compter sur vous.
– Jusqu’à la mort, Éminence !
– Allez, monsieur… Je vous remercie…
Le gentilhomme se retira, laissant Richelieu à ses
réflexions.

Les révélations de Durbec ne faisaient que confirmer le
cardinal dans la supposition que Mazarin était bien le père
légitime de cet enfant.
Richelieu, bien que décidé à faire surveiller attentivement
Castel-Rajac et son pupille, avait résolu, en même temps, que
cette surveillance serait une protection contre certaines
manoeuvres occultes qu’il ne soupçonnait que trop.
En effet, Durbec, après son entrevue avec le cardinal,
n’avait rien eu de plus pressé que de réenfourcher son cheval et
de reprendre la route des Pyrénées.
Il était persuadé que le grand air lui porterait conseil, et
qu’en route, il trouverait un plan pour se venger enfin de celui
qu’il haïssait.
Un soir, comme il arrivait à l’auberge des Quatre-Frères,
non loin de Bordeaux, il remarqua un cavalier d’élégante
tournure qui mettait lui-même pied à terre devant l’auberge.
Lorsqu’il entra dans la grande salle, le cavalier était déjà
installé devant une table, un pichet de vin du Bordelais devant
lui, attendant paisiblement son dîner. Il se présentait de telle
façon que Durbec ne put que très mal distinguer son visage,
mais il lui sembla que cette silhouette lui était familière.
Ce voyageur n’était autre que le marquis de Navailles, qui
se rendait à son poste, suivant les ordres reçus.
Mais si Durbec avait remarqué ce client sans pouvoir
définir sa personnalité, Navailles, lui, n’avait pas hésité un
instant :

– Morbleu ! pensa Navailles, intrigué, que vient-il faire
dans ce pays, cet oiseau-là ? Aurait-il reçu une mission
similaire ?
Mais à peine cette idée lui eut-elle traversé l’esprit qu’il la
rejeta.
– Non ! non ! C’est impossible. Son Éminence m’a parlé
« d’une mission d’honneur »… Il ne peut l’avoir confiée à ce
traître !
Comme corollaire, une réflexion vint tout de suite se greffer
sur sa première idée.
– Mais alors, s’il n’est pas en mission pour le cardinal, que
vient-il donc faire par ici ?
Navailles avait l’esprit prompt. Il ne tarda pas à se souvenir
de l’algarade qui avait mis aux prises, au château de Montgiron,
les gardes de Richelieu et le chevalier gascon, pendant laquelle
Durbec avait été blessé par Castel-Rajac en personne.
– Tiens… tiens… tiens ! fit lentement le marquis. Ceci
m’ouvrirait de nouveaux horizons… Peut-être Son Éminence
n’a-t-elle pas eu tort en supposant que la sécurité de ce
gentilhomme et de son fils est assez gravement compromise.
Car je crois cet individu capable de tout !
Lorsque Durbec descendit le lendemain matin, après une
excellente nuit, et prêt à reprendre la route, il ne revit point
l’inconnu qu’il avait remarqué la veille au soir. D’ailleurs, son
souvenir même lui était passé de la tête.
Navailles après les soupçons qui l’avaient assailli la veille,
n’avait pas attendu le réveil du chevalier pour prendre le large.

Aussi, dès l’aube, il avait fait seller son cheval et était parti
au galop, espérant gagner une assez grande avance pour arriver
à destination sans être rejoint par Durbec.
Il se rendait compte qu’il avait sur lui un avantage
appréciable : il connaissait sa présence, et peut-être le but de
son voyage, tandis que Durbec, lui, ignorait jusqu’à la mission
dont Navailles était chargé.
Mais le marquis était trop rusé pour se présenter armé de
pied en cap dans ce petit village. À la ville voisine, il laissa son
cheval, acheta des habits modestes, et, vêtu comme un
marchand, arriva à Bidarray.
On l’accueillit sans méfiance. Il en passait tellement ! Sans
hésiter, Navailles se rendit au presbytère. C’était une vieille
maison où vivait un brave curé presque aussi âgé qu’elle.
Sous couleur de lui proposer une pièce de drap et des
almanachs, il réussit à le voir, et là, il lui révéla sa qualité, et
pour quelle raison il était céans.
– Monsieur le curé, conclut-il, vous savez tout. Il me faut
un gîte. Puis-je compter sur vous pour me l’accorder ?
– Mon cher enfant, répondit le vieux prêtre, il y a toujours
eu ici une place pour le pauvre et l’errant. À plus forte raison
lorsqu’il s’agit du service de Son Éminence le cardinal. Tout ce
que j’ai ici est à vous, vous êtes chez vous !
Le bruit courut au village que le marchand était un vague
neveu au curé de Bidarray. Il était naturel qu’il réside chez son
parent quelque temps, après avoir pris la peine de monter
jusqu’en ce pays perdu !

Tandis que ce petit complot s’arrangeait au presbytère, làhaut,
à la gentilhommière, les trois Gascons et leur pupille
filaient des jours sans histoire.
Marie de Chevreuse avait été s’établir dans le village voisin,
et partageait son temps entre cette résidence champêtre et le
logis où des amis fidèles l’hébergeaient, à Pau. Dès qu’elle était à
la montagne, un petit berger partait vers Bidarray et remettait
un message au chevalier gascon… Alors, le soir, à la brune,
celui-ci se glissait jusqu’à l’humble demeure où la grande dame
consentait à demeurer quelques jours pour l’amour de lui…
Puis, après trois ou quatre rencontres, et pour ne pas
éveiller les soupçons, la duchesse retournait à Pau.
De la sorte, chacun était parfaitement heureux, et leur vie
n’aurait été marquée par aucun événement, si la haine n’avait
entrepris de démolir ce bonheur tranquille.
Durbec était arrivé lui aussi à Bidarray. Il n’avait pas eu
besoin de se travestir pour donner le change, son allure le
rendait semblable aux petits bourgeois des environs.
D’ailleurs, il menait la vie la plus discrète qui fût, ne
sortant qu’à la nuit de la maison isolée où il avait trouvé gîte,
afin de rôder autour de la gentilhommière où vivait son ennemi.
Ce fut ainsi qu’il surprit le manège du courrier, et vit, à
différentes reprises, arriver, à toutes jambes, un petit berger,
qui entra au château.
Il le fila, et ne fut pas long à se convaincre que chaque fois
que le petit pâtre venait à Bidarray, Castel-Rajac, à la nuit,
enveloppé d’un grand manteau, enfourchait son cheval et
partait rejoindre sa bien-aimée à travers les défilés de la
montagne.

Voilà qui pouvait être d’une grande utilité… Un accident est
si vite arrivé, la nuit, dans ces parages !
Mais le triste personnage ne pensait point à exécuter luimême
sa sombre besogne. Il savait qu’en cas d’échec, il aurait
risqué trop gros, et il entendait bien obtenir satisfaction avec le
minimum de risques.
Durbec n’était pas un novice dans ces sortes d’expéditions.
Il descendit un jour jusqu’à Pau…
*
* *
– Castel-Rajac ! On te demande, mon ami…
Le gros d’Assignac entra dans la bibliothèque où le Gascon
lisait. Celui-ci se leva d’un bond et jeta son livre.
– Le berger ?
– Oui… fit Hector en clignant malicieusement de l’oeil, car
les deux compères savaient fort bien ce que signifiait pour leur
compagnon l’arrivée du gamin.
Gaëtan n’avait même pas entendu la réponse. Il s’était
élancé dans le vestibule, où l’enfant l’attendait.
– Monseigneur, dit-il, voici une missive pour vous…
– Merci ! Tiens ! attrape !
Le jeune homme lui lança sa bourse en voltige, que l’autre
fit disparaître dans sa veste.

Le Gascon fit sauter le cachet, ne remarquant pas, dans sa
hâte amoureuse, que celui-ci ne portait pas le sceau habituel de
la duchesse…
La lettre ne contenait que ces mots :
« Ce soir ! »
Il ne songea pas non plus à s’étonner de la brièveté du
message. Il était obsédé par l’idée qu’il allait enfin revoir sa belle
maîtresse. Les périodes où elle était absente lui semblaient
désespérément longues…
Lorsque la nuit tomba, Castel-Rajac, après avoir
hâtivement avalé quelques bouchées, fit seller son cheval et se
dirigea vers le petit bourg de Saint-Martin d’Arrossa, où était
descendue Marie de Rohan.
Le chemin était assez difficile, car le sentier côtoyait par
instants de profonds précipices.
Il en aurait fallu davantage pour faire reculer l’intrépide
chevalier ! Il en avait suffisamment vu pour ne point redouter
les embûches que pouvait réserver la montagne nocturne.
Cependant, cette fois-ci, il devait être à deux doigts d’y
laisser sa vie…
Il venait de perdre Bidarray de vue, et il suivait l’étroit
chemin qui reliait les deux villages, sifflotant avec insouciance,
laissant flotter les brides du cheval, tout à son rêve que berçait
encore une nuit idéale de pleine lune.
Soudain, d’une anfractuosité de roc, des hommes jaillirent.

Ce fut tellement inattendu que la monture du chevalier fit
un brusque écart, et sans la poigne solide de celui qui le
montait, ils roulaient tous les deux dans le gouffre.
– Capédédiou, mes drôles ! cria Castel-Rajac, mettant
flamberge au poing, voilà une façon peu civile de souhaiter le
bonsoir au voyageur !
Mais sans lui répondre, un grand escogriffe, qui semblait
avoir pris la tête de l’attaque, s’écria, tourné vers les aigrefins :
– Sus ! Sus ! Jetez-le dans le vallon !
– Ouais ! ricana Gaëtan, faisant faire une demi-volte à son
cheval, et s’adossant à la muraille rocheuse pour éviter d’être
cerné. Vous pouvez toujours essayer, mais je doute que vous
réussissiez !
– Malepeste ! hurla le grand diable, par mon nom de La
Rapière, je veux le perdre si je n’ai pas tes os !
– Ho ! ho ! riposta le Gascon sans s’émouvoir. Voilà une
outrecuidante prétention, mon ami ! J’ai grand peur que tu ne
perdes ton élégant sobriquet, et peut-être même quelque chose
de beaucoup plus précieux !
Ce disant, il allongea prestement le bras, et son épée alla
trouer l’épaule du truand, qui poussa un hurlement de douleur
et de rage.
Ce fut le signal de l’attaque.
Gaëtan, arc-bouté contre la paroi montagneuse, fit face à
ses adversaires. Par deux fois, son épée rencontra un obstacle
humain. Un des vide-goussets alla rouler dans l’abîme avec un
grand cri. Un autre s’affaissa, la gorge traversée.

Ces deux disparitions, loin de ralentir l’audace des autres,
les jetèrent en vociférant vers leur adversaire.
L’éclair bleu des lames rayait la nuit de rayons fulgurants,
et le cliquetis de l’acier se répercutait au loin dans la vallée,
éveillant d’étranges échos…
– En avant ! hurlait La Rapière, qui, bien que blessé, payait
de sa personne.
– Mordiou ! grommela le Gascon en parant un coup d’épée
et en attaquant aussitôt un adversaire plus entreprenant. Il faut
que la récompense soit de taille pour leur inspirer un tel
courage ! Serait-ce à Monsieur le Cardinal que je suis redevable
de cette gracieuse attention ?
Il aurait pu le croire, car la qualité des ferrailleurs et leur
nombre pouvaient en effet donner à penser que le prix payé
était rondelet.
Castel-Rajac était un escrimeur hors ligne. Cependant, il
devenait impossible de faire face à toute cette racaille. Ils étaient
au moins douze contre lui.
– Sangdiou ! s’écria-t-il en éclatant de rire, je vois que Son
Éminence ne mésestime pas mon courage ! Douze hommes
pour me mettre à la raison ! Bravo !
– N’accusez pas Son Éminence ! répondit une voix forte,
qui semblait jaillir des ténèbres. Ce n’est pas Monsieur de
Richelieu qui vous a fait tomber dans ce lâche guet-apens,
chevalier ! En garde, toi, là, sacripant, ou je te transperce !

Et, rapide comme la pensée, l’épée du marquis de
Navailles, car c’était lui, pourfendait le premier misérable
rencontré sur son chemin.
– Et d’un ! Courage, monsieur de Castel-Rajac ! Nous
aurons raison de ces coquins !
– Sangdiou ! monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais ce
dont je suis sûr c’est que j’ai affaire à un brave gentilhomme !
– Vous ne vous trompez pas, monsieur, répondit le
nouveau venu en ferraillant comme un enragé. Je me nomme le
marquis Gustave de Navailles.
– Capédédiou ! monsieur ! riposta le Gascon sans cesser de
parer et d’attaquer furieusement. Voici un nom dont je me
souviendrai, et j’espère pouvoir vous prouver ma
reconnaissance, si cette graine de galère nous en donne loisir !
– Je m’en voudrais de laisser périr un aussi brave cavalier
que vous ! Nous mourrons ensemble ou nous vaincrons
ensemble, chevalier !
– Voilà qui est parlé ! Hé ! toi ! Ton compte est réglé !
Tout en parlant, il avait transpercé un autre coquin. Mais
lui-même venait de recevoir un coup d’épée dans le bras gauche.
– Peuh ! ricana-t-il. Une égratignure ! Canailles, nous
allons vous découper en lanières !
Sur cette hardie gasconnade, il se lança plus
audacieusement que jamais au milieu de la mêlée. Son
compagnon faisait merveille de son côté, tant et si bien que,
malgré les promesses reçues et le coquet acompte déjà touché,
les tire-laine finirent par s’enfuir sans demander leur reste,
trouvant la besogne trop ardue.
Ils s’évanouirent dans les ténèbres tandis que les deux
hommes se serraient énergiquement la main.
– Monsieur le marquis ! s’écria Castel-Rajac, sans vous, je
ne sais trop comment cette aventure-là aurait tourné ! Ils
avaient le nombre pour eux !
– Oui, sourit Navailles, mais nous avions la valeur pour
nous !
Ils éclatèrent de rire, et se séparèrent. Navailles retournant
à Bidarray, et Gaëtan continuant sa route vers Saint-Martin
d’Arrossa.
Là, une étrange surprise l’attendait. Les volets étaient clos,
les lumières éteintes, et à la fenêtre de la chambre qu’occupait
ordinairement sa belle, le chevalier ne distingua nulle lueur.
Il allait mélancoliquement tourner bride, lorsqu’il vit surgir
en courant sur le chemin le petit berger qui regagnait son gîte
en galopant à perdre haleine. Il s’arrêta net en reconnaissant le
chevalier et voulut faire demi-tour. Mais Castel-Rajac, sautant à
bas de son cheval, eut tôt fait de le cueillir par le fond de sa
culotte.
– Hé ! toi ! s’écria-t-il, viens donc ici, mon gars, que nous
ayons deux mots d’explication !
Le gamin baissait le nez.
– Madame la duchesse n’est pas ici, n’est-ce pas ?
Pas de réponse.

Le Gascon tira une pièce d’or de sa bourse, lentement, et la
fit miroiter sous les yeux du gamin ébloui.
– Tu l’auras si tu réponds ! Dans le cas contraire, tu
recevras une volée de bois vert comme jamais tu n’en reçus !
Cette menace acheva de décider le berger.
– Non, Monseigneur ! pleurnicha-t-il.
– En ce cas, qui t’a chargé de porter ce mot ?
– Un cavalier. Monseigneur… un cavalier que je ne connais
pas… Il m’a offert un écu pour la commission… J’ai accepté… Je
ne savais pas…
– Hum ! Je ne suis pas si sûr que cela que ta conscience ne
te reproche rien… Enfin ! Voilà ta pièce. Maintenant, ne t’avise
plus de me jouer des tours pareils, sinon, je te transforme en
pâté !
Le garçon se hâta de disparaître derrière un éboulis de
rochers. Castel-Rajac, riant encore de son effroi, entendit le
bruit des sabots claquant précipitamment sur le sol. Puis tout
s’éteignit.
Le chevalier remonta à cheval et reprit le chemin de
Bidarray, tout songeur. Il était clair que l’agression avait été
voulue, préparée… Mais par qui ?
– Veillons ! conclut-il.
S’il avait été moins préoccupé de combattre et de se
défendre, il aurait aperçu, précautionneusement abrité par une
roche, un homme drapé dans une ample cape brune. Il vit

l’intervention de Navailles, dont le visage était éclairé en plein
par la lune. Il l’entendit se nommer au Gascon.
– Malédiction ! gronda-t-il, les dents serrées. L’homme de
l’auberge ! L’envoyé du cardinal !
C’était pour lui la preuve tangible que Richelieu, loin de
vouloir poursuivre le père adoptif et l’enfant de sa haine,
cherchait au contraire à les protéger.
Durbec, malgré la rage qui l’étouffait, comprit qu’il avait
tout à perdre et rien à gagner dans une lutte, même occulte,
contre le premier ministre. Il regagna Pau par des chemins
détournés.
Le lendemain matin, il reprenait la route de la capitale,
abandonnant ses projets pour l’instant.
– Patience… murmura-t-il. Mon heure sonnera ! Alors…



jeudi 6 décembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: Chapitre II: MARIE DE ROHAN PART POUR UN AGRÉABLE EXIL


Par un beau matin tout poudré de poussière d’or, un de ces
matins parisiens où l’automne s’alanguit sur les berges de la
Seine, le carrosse de la duchesse de Chevreuse quitta une
nouvelle fois la capitale pour l’exil.
À vrai dire, la jeune femme n’était pas trop inquiète, elle
savait bien que sa disgrâce ne serait pas éternelle, car sa royale
amie emploierait toute son influence pour la faire revenir plus
tôt.
L’escorte de la noble dame galopait autour d’elle, sans
s’apercevoir que derrière, à une distance respectueuse, un
cavalier, emmitouflé dans un manteau gris, suivait la même
route. D’ailleurs, le chemin du Roi était à tout le monde, et ce
voyageur ne pouvait leur inspirer aucun soupçon.
Apprenant le départ de Mme de Chevreuse, Durbec s’était
dit qu’il n’aurait jamais meilleure occasion de retrouver la piste
de Castel-Rajac et celle de l’enfant.
Sa haine couvait encore n’attendant qu’un hasard favorable
pour s’assouvir. Il n’avait pas oublié le coup d’épée du chevalier.
Le voyage fut sans histoire. Trottant le jour, s’arrêtant la
nuit, l’équipage de la duchesse, par étapes successives, ne tarda
pas à gagner le village de Saint-Marcelin. On fit halte au Faisan
d’Or.

Bien entendu, quelques instants après, Durbec, le plus
discrètement possible, demandait à son tour une chambre.
Mais, à l’étonnement du chevalier, le lendemain, il n’y eut
point d’ordre de départ.
– Ho ! ho ! grommela Durbec. Est-ce que par hasard, ma
bonne étoile me favoriserait plus tôt que je ne le pense, et
verrais-je arriver notre cher Gascon ?
Mme Lopion, la brave hôtelière, se souvenait bien de la
dame qui accompagnait Castel-Rajac et l’enfant, lors de leur
premier voyage. Elle ne vit pas sans défiance survenir la belle
inconnue. La malheureuse aubergiste se rappelait encore
l’incursion des gardes du cardinal et le beau tapage qui en était
résulté.
Ses craintes ne furent pas diminuées, lorsqu’à la brune, elle
vit arriver à francs étriers un cavalier dont le chapeau était
rabattu sur les yeux, ce qui ne l’empêcha point de reconnaître
Castel-Rajac !
– Bonne Sainte Mère ! murmura la bonne femme en se
signant plusieurs fois. Pour sûr qu’il va y avoir encore du
grabuge !
Marie de Rohan, dès qu’elle avait su son ordre d’exil,
n’avait rien eu de plus pressé que d’envoyer un courrier en
porter la nouvelle à son amant, qui s’était réfugié sur la frontière
espagnole, au petit village de Bidarray, avec l’enfant et ses deux
inséparables compagnons, Laparède et Assignac.
Il avait été convenu que le Gascon retrouverait sa maîtresse
à Saint-Marcelin, et là, l’escorterait jusqu’à leur nouvelle
résidence, afin qu’elle voie l’enfant et puisse, à son retour à
Paris, en porter des nouvelles à la mère.

Les deux jeunes gens se retrouvèrent avec joie. Castel-
Rajac était sincèrement épris de cette gracieuse femme, aussi
spirituelle que jolie. Quant à la duchesse, elle s’était laissé
prendre aux yeux noirs et à la mine conquérante du cadet de
Gascogne, et ces retrouvailles allégeaient beaucoup pour elle les
tristesses de l’exil.
Mais quelqu’un d’autre que la brave Mme Lopion avait aussi
reconnu Castel-Rajac. C’était Durbec, à l’affût derrière la
jalousie de sa chambre.
– C’est bien ce que je pensais ! murmura-t-il. Décidément,
le sort me favorise ! J’espère que cette fois, le cardinal sera
content !
Les deux amants étaient loin de se douter qu’ils étaient
épiés et suivis de la sorte. Ils se livraient à toute la joie de s’être
retrouvés sans arrière-pensée.
– Chère Marie ! dit Castel-Rajac en enveloppant d’un geste
caressant l’épaule de sa maîtresse, quel profond bonheur est
pour moi notre réunion ! Pardonnez-moi mon égoïsme, mais je
bénis la rigueur du cardinal, qui, par votre disgrâce, vous a
rapprochée de moi !
– Fi chevalier ! s’écria Marie en riant. Je devrais vous en
vouloir pour cette parole ! Vous vous réjouissez de mon
malheur !
– M’en voulez-vous vraiment beaucoup ? demanda
tendrement le Gascon en se rapprochant encore de la duchesse.
Il la contemplait, et dans les yeux noirs du jeune homme
brillait le feu d’une telle passion, que Mme de Chevreuse,
troublée, balbutia :

– Comment puis-je vous en vouloir…
Elle n’acheva pas sa phrase. Castel-Rajac l’avait saisie et
l’embrassait avec emportement.
Il la lâcha avec autant de brusquerie qu’il l’avait prise. La
porte s’ouvrait, et Mme Lopion, qui apportait le dîner, entra.
– Excusez-moi…, commença la brave femme. J’ai frappé
trois fois…
– Oui, oui, dit Marie… Cela n’a pas d’importance… Posez
les plats…
L’aubergiste prépara la table, dans la chambre de Marie, où
celle-ci avait prié qu’on la serve, et disparut comme une ombre.
Lorsqu’elle fut sortie, ils ne purent s’empêcher de rire.
– Pauvre femme ! dit Castel-Rajac. Elle semblait toute
confuse. Bah ! je suis certain que cela ne l’empêche pas
maintenant d’écouter à la porte…
Il se leva et, sur la pointe des pieds, ouvrit le battant.
– Oh ! monsieur le chevalier ! s’écria Mme Lopion, rouge
comme le ruban qui ornait sa guimpe, j’allais justement vous
demander si vous aviez encore besoin de mes services…
– Non, non, madame Lopion, rassurez-vous ! fit le Gascon
qui riait sous cape. Vous nous avez apporté tout ce qu’il nous
faut, et maintenant, nous ne désirons plus que la tranquillité…

Gaëtan vint de nouveau s’asseoir sur un petit tabouret, aux
pieds de sa dame. Celle-ci passa sa main, blanche et fine, aux
doigts parfumés, dans la chevelure du jeune homme.
– Çà, mon beau chevalier, fit-elle, badine, avez-vous un peu
rêvé à moi ?
– Si j’ai rêvé à vous, capédédiou ! s’écria-t-il. Je peux dire,
que nuit et jour, votre pensée ne m’a pas quitté…
Il s’arrêta pour baiser avec passion les mains qu’on lui
abandonnait.
– Mon plus vif désir est de vous voir rester ici le plus
longtemps possible… Vous verrez commet notre village est beau
et pittoresque ! On croit habiter le bout du monde… Plus rien,
que la nature devant soi… Vous oublierez Paris, duchesse !
Mme de Chevreuse eut un fugitif sourire.
– Je ne sais trop… Je n’ose vous le promettre… Des devoirs
aussi m’attachent à la Cour, vous le savez bien…
Gaëtan se passa la main sur le front.
– Pardonnez-moi : je rêve encore ! je suis fou… Mais
qu’importe ! Je vous ai pour quelques jours ; ce répit me semble
si beau que j’ose à peine y croire… Laissez-moi l’illusion qu’il est
éternel !
– Enfant ! murmura-t-elle.
– Marie… Je vous aime…
Elle retira son bras, dont il s’était emparé.

– Chut ! soyez sage ! Avant, parlez-moi d’Henry…
– Il est charmant… Il est confié à une nourrice basque, qui
en prend soin comme si c’était son propre enfant. Vous serez
fière de moi lorsque vous le verrez !
– Vous ressemble-t-il déjà ? interrogea-t-elle
malicieusement.
Ils éclatèrent de rire.
– Ce serait bien là le miracle du Saint-Esprit ! s’écria
Gaëtan. Non… Il ressemblerait plutôt… au signor Capeloni…
– Chut ! murmura la duchesse, effrayée, en mettant un
doigt sur ses lèvres. Voilà une imprudente parole, chevalier !
Mme de Chevreuse ne croyait pas encore si bien dire. Car,
derrière le vantail de la porte du couloir, un homme, courbé,
tenait son oreille collée et ne perdait pas une syllabe de la
conversation.
– Oh ! oh ! fit-il pour lui-même en se redressant. Voilà une
indication intéressante ! Après tout, c’est bien possible ! Voyezmoi
ce faquin de Mazarini !
Il se retira sur la pointe des pieds, laissant les amants à leur
tête-à-tête. Il en savait assez pour ce soir-là.
Comme il l’avait prévu, dès le lendemain matin, on se remit
en route, au grand soulagement de Mme Lopion, qui croyait à
chaque instant voir surgir les gardes du cardinal-ministre et
recommencer une bataille comme celle à laquelle elle avait déjà
assisté.

Castel-Rajac chevauchait à côté du carrosse de sa bienaimée,
et tout en marchant, ils réussissaient à échanger
quelques mots. Ils se sentaient l’un et l’autre parfaitement
heureux. Jamais Richelieu n’avait imaginé, pour celle qu’il
espérait punir, une pénitence aussi agréable !
Mais comme un rappel de l’homme rouge qui, de son aire,
les surveillait encore, Durbec, derrière l’escorte, les suivait
comme leur ombre, guidé par l’intérêt qui le liait au service du
cardinal et par sa haine personnelle.
Bientôt, le paysage changea. Après la plaine de Gascogne,
apparurent les premiers contreforts des montagnes
pyrénéennes.
D’un geste, Castel-Rajac les montra à Marie.
– Voyez ! s’écria-t-il. C’est au milieu de cette nature
sauvage que notre filleul est élevé. L’air des montagnes lui fera
des muscles forts et un coeur intrépide…
Marie sourit.
– Dites aussi votre éducation et votre exemple, ami ! Je ne
doute pas que notre cher Henry ne soit aussi un jour un
gentilhomme accompli.
Lorsqu’ils arrivèrent à Bidarray, la jeune femme put se
convaincre que le cadre était en effet idéal.
C’était un tout petit village, dominé par une vieille
gentilhommière qui appartenait à une tante d’Hector
d’Assignac, laquelle avait eu le bon esprit de mourir afin de
laisser son manoir à son neveu.

Il était perché à l’avant d’un rocher faisant éperon, et
dominant toute une verdoyante vallée, au fond de laquelle
mugissait un torrent. Les maisons des paysans s’accrochaient au
petit bonheur à la pierre, et les champs dégringolaient de
terrasse en terrasse coupés çà et là de boqueteaux. Des
troupeaux de chèvres faisaient tinter leurs clochettes ; par
instant, l’aboi bref du chien qui les gardait se répercutait au loin
dans le vallon. Le soleil peignait d’or les flancs de la montagne,
et irradiait les vitres du vieux castel. En face, l’autre versant se
teignait de pourpre et de violet comme une robe cardinalice.
Très haut, dans le ciel, tournoyait un oiseau de proie… Et l’air
était si pur, le ciel était si bleu, que Marie, suffoquée de plaisir,
comprit maintenant pourquoi le jeune homme lui avait dit :
« Vous oublierez Paris… »
Immobile, les narines frémissantes, la duchesse regardait
ce prestigieux spectacle, ne pouvant s’en arracher. Il fallut que
Gaëtan, doucement, lui murmure :
– Marie… Ne voulez-vous point voir le petit ?
La jeune femme tressaillit. Puis, s’arrachant à cette vision
magique, elle se détourna.
– Vous avez raison, mon ami. Menez-moi vers lui !
Elle ne remonta point dans son carrosse, qu’elle avait
quitté pour mieux contempler le splendide paysage. Elle voulut
aller à pied jusqu’au château, dont la grande porte était ouverte
à deux battants sur la cour intérieure.
– Prenez mon bras, ma chère Marie ! murmura Castel-
Rajac.

Soutenant la jeune femme, dont les pieds délicats
s’accommodaient mal des rudes galets des Pyrénées, ils
arrivèrent au pont-levis et entrèrent dans la grande cour.
Des poules, des oies, picoraient, jusqu’entre les pattes d’un
gros chien noir et feu, qui les laissait faire. Un homme s’avança
à leur rencontre, et salua Marie jusqu’à terre. C’était Henri de
Laparède.
– Où donc est monsieur d’Assignac ? interrogea
gracieusement la duchesse.
Laparède eut un sourire.
– Par ma foi, madame, venez donc avec moi, si cela vous
plaît ; je vous le montrerai…
Ils s’approchèrent du grand perron et le gravirent.
– Serait-il malade ? questionna Mme de Chevreuse, avec
sollicitude, inquiète de ne pas avoir vu leur hôte.
– C’est, en tout cas, une maladie sans gravité, répondit
Laparède.
Castel-Rajac devait savoir à quoi s’en tenir, car il souriait
silencieusement.
Laparède ouvrit une porte.
Une nourrice était assise près d’un berceau. Dans celui-ci,
un ravissant bébé riait aux anges. Et devant, le gros d’Assignac
faisait mille pitreries pour distraire le fils adoptif de son ami

dimanche 2 décembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: L’ÉPOPÉE DE LA HAINE. CHAPITRE I: UN ORAGE PROVIDENTIEL


Le coup d’épée envoyé par Castel-Rajac à Durbec était
magistral, car le blessé dut rester alité plus de trois semaines
avant de reprendre une vie normale et obtenir du praticien
l’autorisation de se lever.
Mais pendant cette retraite forcée, la rancune qu’il
éprouvait pour le chevalier gascon ne fit que croître, alimentée
qu’elle était par le dépit qu’il éprouvait à s’être laissé vaincre par
cet adversaire. Il se jura qu’il aurait sa revanche, sa vie entière
devrait-elle y être consacrée.
Il lui tardait de pouvoir repartir, afin de mettre lui-même le
cardinal de Richelieu au courant. Déjà, le baron de Savières
avait dû lui raconter ce qui s’était passé au château de
Montgiron. Mais Durbec connaissait le capitaine des gardes.
C’était un rude soldat, qui ne saurait pas présenter l’histoire de
façon que le ministre conçoive pour ses adversaires une de ces
haines terribles qui ne désarment pas. Tandis que lui, Durbec,
saurait y glisser quelques perfidies propres à exciter la colère du
grand cardinal.
Enfin, ce jour tant attendu arriva. Après avoir visité sa
blessure une dernière fois, le médecin qui le soignait lui
déclara :
– Votre plaie est cicatrisée. Je crois que vous pourrez
repartir lorsque vous le désirerez.
Il y avait longtemps que l’espion du cardinal attendait cette
nouvelle. Aussi poussa-t-il un profond soupir de joie à cette
annonce. Mais lorsque le brave Barbier de Pontlevoy apprit que
son pensionnaire forcé allait repartir, il leva les bras au ciel :
– Je vous regretterai ! affirma-t-il. Avec qui donc vais-je
pouvoir faire ma partie de piquet, désormais ?
– Bast ! répondit Durbec, qui se moquait bien de la partie
de son amphitryon, vous engagerez l’un de vos hommes, ce
brave Sans-Plumet, ou bien Passe-Poil, pour vous servir de
partenaire !
Le lendemain matin, l’homme du cardinal put enfourcher
le cheval que le gouverneur lui prêta. Et après un dernier
échange de compliments, le cavalier piqua des deux vers la
capitale, un peu étourdi par le grand air, mais complètement
guéri.
Sa monture était excellente ; néanmoins, il lui semblait
qu’elle piétinait. Il labourait les flancs de la pauvre bête, penché
sur l’encolure. Toute sa vigueur lui était revenue. Le démon de
la vengeance le portait en avant.
Enfin, après quatre jours de marche forcenée, il distingua
les murs de la capitale ! Il poussa un soupir d’aise : dans deux
heures, il serait auprès du cardinal-ministre.
Celui-ci était dans son cabinet de travail lorsque Durbec se
fit annoncer. Il leva sa tête, que la maladie et les soucis
creusaient, et répondit simplement, en reposant sa plume d’oie :
– Qu’il entre !
Quelques secondes plus tard, le personnage était introduit.
Il s’avança d’un pas rapide vers Richelieu, puis, à quelques pas,
s’immobilisa dans un profond salut, attendant que son maître
veuille bien le questionner.

Celui-ci le considéra un instant, sans grande bienveillance.
Il connaissait le Durbec depuis longtemps, et, s’il l’utilisait, ne
pouvait guère concevoir de l’estime pour lui.
– Eh bien ! monsieur ! dit-il enfin, en lui faisant signe
d’approcher, quelles nouvelles m’apportez-vous ?
– Votre Éminence doit les connaître déjà, répondit Durbec.
M. de Savières a dû vous les communiquer…
– Vous devez vouloir parler de l’attaque, du château de
Montgiron ?
– Oui, Éminence ! Suivant vos ordres, la duchesse de
Chevreuse et l’enfant…
Richelieu l’interrompit.
– Je sais… je suis au courant… Avouez, monsieur, que vous
n’avez pas eu le beau rôle ?
Le ton était sarcastique. Durbec blêmit de colère.
– Que votre Éminence daigne nous excuser ! Mais ces
endiablés…
– Oui, oui… Ce fut là un joli coup de force ! Ces hommes
sont étonnants…
– L’un d’eux, appelé Castel-Rajac, m’a pourfendu d’un
coup d’épée qui m’a forcé à rester étendu plus de trois semaines,
Votre Éminence… C’est pourquoi je n’ai pu venir vous rendre
compte plus tôt de ma mission…

– Savières m’a conté… Je regrette le coup d’épée pour vous,
mais il fallait prêter plus d’attention, monsieur de Durbec…
– Ah ! Monseigneur ! Sans eux, nous obtenions enfin la
vérité sur l’enfant ! La duchesse et ses amis vous ont
indignement joué. Monseigneur…
Une ombre de sourire erra l’espace d’une seconde sur les
lèvres du grand cardinal.
– La poupée mise à la place du bébé… Je sais… Ces
Gascons ont vraiment une imagination étonnante !
Durbec manqua étouffer de rage en voyant Richelieu dans
cette disposition d’esprit. Attendre des cris de colère et des
sanctions terribles, et ne voir qu’un calme presque indifférent
était pour lui une surprise aussi désagréable que consternante.
– Que Votre Éminence m’excuse ! parvint-il à balbutier.
Mais ne croyez-vous pas qu’en pourchassant sans pitié cette
engeance…
Richelieu leva la main.
– Nenni, monsieur ! J’ai déjà eu plusieurs gardes tués dans
cette aventure ; j’ai besoin de la vie de mes hommes et ne veux
point les exposer inutilement. Vous avez été vaincus,
reconnaissez-le loyalement. Tant pis ! Arrangez-vous seulement
pour retrouver la piste de ce Castel-Rajac et de l’enfant.
– Monseigneur ! s’écria Durbec, tentant un dernier effort.
Madame la duchesse s’est moquée de vous, et le signor Capeloni
également ! Si vous ne sévissez pas, ils ne mettront plus de
bornes à leur audace !
Le cardinal-ministre regarda son subordonné sévèrement.
– Depuis quand, monsieur, dois-je recevoir vos conseils sur
la conduite que je dois tenir ? Allez et ne songez qu’à exécuter
mes ordres !
Le chevalier sortit fou de rage en pensant au piètre résultat
de son entrevue.
– Morbleu ! grommela-t-il en descendant les larges degrés
de l’escalier du Palais-Royal. Puisque c’est ainsi je ne confierai à
personne le soin d’assouvir ma vengeance.
Seulement Durbec avait moins d’envergure que le grand
cardinal, et si celui-ci avait les bras assez longs pour étreindre à
la fois tous ses adversaires, le chevalier ne pouvait songer qu’à
Castel-Rajac. Mme de Chevreuse était trop grande dame pour
qu’il osât s’attaquer à elle. Quant au signor Capeloni, il avait
disparu.
Il prit pension dans une auberge qu’il connaissait bien, et
décida de s’y établir quelque temps, afin de voir venir les
événements.
En guise de représailles, le cardinal se contenta de prier la
duchesse de s’éloigner de nouveau de la cour, qu’elle s’était
empressée de rallier dès son retour de Gascogne, autant pour
revoir son illustre amie que pour lui donner des nouvelles de
l’enfant confié à sa garde.
La reine avait donc appris comment son fils, adopté par un
gentilhomme aussi brave que loyal, serait élevé par ses soins et
sous son nom.
Avant que le ministre ait pris la décision d’exiler une fois
de plus Marie de Rohan, elle avait eu le temps de causer
longuement avec Anne d’Autriche, et de lui prodiguer les plus
judicieux conseils.
– Madame, lui dit-elle, alors que les deux femmes, dans le
cabinet de la reine, causaient familièrement, tout ce qui s’est
passé est bel et bon, mais cet enfant ne pourra régner un jour.
– Hélas ! ma mie ! je le sais ! répondit Anne d’Autriche, et
c’est bien ce qui me désespère, car mes ennemis disent déjà qu’il
serait préférable de me répudier si je ne puis donner d’enfant à
la couronne de France.
La duchesse s’emporta.
– Voilà une plaisante histoire ! Si Sa Majesté voulait bien
montrer plus… d’empressement… S’il y a un coupable, ce n’est
certainement pas vous !
Les deux femmes ne purent retenir un éclat de rire en
pensant au poupon resté en Gascogne.
– Richelieu me hait, reprit la reine, et serait heureux de me
voir en disgrâce…
Marie de Rohan avait aussi de bonnes raisons pour ne
point porter dans son coeur celui qu’on nommait « l’homme
rouge. »
– C’est un être de ténèbres et d’intrigues…, reprit-elle
pensivement. Madame, il faut absolument que vous donniez un
héritier au roi…
– Mais comment, ma chère ? Tu sais que mon époux se
targue d’être appelé « le Chaste »…
La duchesse eut un petit clin d’oeil malicieux.
– Bah ! laissez-moi faire… Il faudra bien qu’il cède à la
raison d’État !
Elle pencha sa jolie tête vers son amie, et, longtemps, les
deux jeunes femmes complotèrent…

À quelques jours de là, une grande chasse fut décidée dans
la forêt de Saint-Germain.
Louis XIII était un passionné de ce divertissement. Toute
la cour s’y rendit, et bien entendu, Anne d’Autriche,
accompagnée de Mme de Chevreuse.
Toutes les deux montaient merveilleusement à cheval. La
chasse déroula ses péripéties habituelles jusqu’au soir. Louis
XIII, habituellement triste et perpétuellement ennuyé, se dérida
et fut d’une humeur charmante toute la journée.
Lorsque le soir tomba, il se trouva isolé du gros de la
troupe, dans un sentier écarté, avec M. de Senlis comme seul
compagnon.
– Ma foi ! Monsieur, dit le roi en piquant des deux, j’ai
l’impression que nous voici égarés.
– Et la nuit tombe, ce qui ne facilitera pas notre chemin,
reprit M. de Senlis.
– Entendez-vous des sonneries de trompe ?
– Nullement, Majesté. Mais ce que je vois fort bien, ce sont
de gros nuages noirs qui nous font présager un orage.

– Vous avez raison, palsambleu ! Pressons le pas, sinon,
nous risquons d’être pris dans la tempête.
M. de Senlis jeta un regard vers les nuées qui accouraient
de toutes parts, formant un épais rideau sombre, et un sourire
malicieux souleva sa fine moustache.
– Par la barbe du Père Éternel ! murmura-t-il, si nous
étions de connivence avec le Ciel, celui-ci ne pourrait se montrer
plus propice !
Ils galopèrent un moment en silence. Mais toujours les
arbres, les buissons… et le grand silence forestier.
– Allons ! fit le roi avec découragement, je crois qu’il nous
faudra coucher ici !
– Attendez donc, Majesté… fit tout à coup Senlis, feignant
de se reconnaître soudain. Il me semble que… mais oui…
– Que voulez-vous dire, Monsieur ?
– Si mes souvenirs sont exacts. Sire, nous nous trouvons
tout près d’un pavillon de chasse, où du moins, nous pourrons
nous reposer un peu et laisser passer l’orage…
– Ce serait parfait ! s’écria Louis. Où est donc ce
bienheureux pavillon ?
La nuit était venue, complètement, et noire comme de
l’encre.
– Il me semble que nous devons suivre ce chemin, Sire, et
aussitôt passé le tournant, nous l’apercevrons, si toutefois le
diable ne nous jette pas de la poix dans les yeux.

– Allons !
Ils se remirent en route. Dès le tournant franchi, une masse
sombre se profila. Une lueur brillait à travers les vitres d’une
fenêtre.
– Tiens ! s’écria Sentis, feignant l’étonnement. Je crois que
quelqu’un s’est trouvé dans notre cas !
– Espérons que le premier occupant voudra bien nous
donner l’hospitalité.
Senlis sauta à bas de son cheval et heurta l’huis du
pommeau de son épée.
– Qui est là ? dit une voix de femme.
– Le Roi !
La porte s’ouvrit aussitôt, et la figure spirituelle de Marie
de Rohan parut.
– Quoi, Madame la duchesse, c’est vous qui aviez choisi ce
refuge ? s’écria Senlis.
– Je ne suis pas seule, monsieur le comte ! Sa Majesté est
avec moi…
Anne d’Autriche parut à son tour.
– Madame, dit Senlis en s’inclinant profondément, Sa
Majesté s’est égarée dans le bois avec moi, et fuyant l’orage,
nous sommes venus jusqu’ici…

– Soyez les bienvenus ! dit gracieusement la reine. Nous
allions précisément souper. Marie et moi… Voulez-vous
partager notre modeste repas ?
Le dîner était délicat, la chère abondante et choisie, les vins
généreux. Louis XIII, affamé par la longue course fournie, but et
mangea avec l’entrain d’un vieux routier. Senlis et
Mme de Chevreuse furent étincelants d’esprit. Anne d’Autriche
leur donna la réplique. Ce fut un souper fin comme le roi n’en
avait pas encore connu. Lui-même se sentait tout autre, dans
cette atmosphère légère et pétillante comme le vin qu’on lui
servait généreusement. Un grand feu de bois flambait dans la
cheminée. Dehors, de larges gouttes de pluie claquaient sur le
toit moussu…
Cependant, l’heure s’avançait. Au loin, les grondements de
l’orage s’éloignaient. Senlis se leva.
– Sire, dit-il en s’inclinant, permettez-moi maintenant de
prendre congé.
– Hé ! quoi ! Senlis, vous ne restez pas ? Vous allez vous
perdre, mon pauvre ami !
Un imperceptible sourire erra sur ses lèvres.
– Ma bonne étoile me guidera. Sire ! Mais je dois avertir au
château que vous avez trouvé refuge ici, avec Sa Majesté, sinon,
on s’inquiétera…
Marie de Rohan s’inclina à son tour.
– Que Vos Majestés me donnent le même congé… Je
regagne aussi Saint-Germain…

– Madame, dit le roi, je ne peux autoriser ce départ, la nuit,
par ce temps exécrable… Attendez le jour ici…
Une lueur espiègle fit briller les yeux de la belle duchesse.
– Que Votre Majesté me pardonne ! Mais comme il n’y a
céans qu’une seule couche…
Une rougeur soudaine parut sur les joues de Louis XIII
tandis qu’un vif embarras se peignait sur son visage. Mais Marie
ne lui laissa pas le temps de réfléchir.
– Je suis infiniment reconnaissante à Votre Majesté de sa
sollicitude… Mais sous la protection de M. de Senlis, je ne
risquerai rien…
– Allez donc, et que Dieu vous garde ! soupira le roi, peutêtre
moins fâché qu’il voulait le laisser paraître de ce tête-à-tête
forcé.
La duchesse et le comte de Senlis remontèrent à cheval.
Puis la porte du pavillon se referma sur le couple royal…
Les deux cavaliers piquèrent des deux malgré l’obscurité.
Ce fut sans une hésitation que le gentilhomme s’orienta et se
dirigea vers le château où la Cour avait élu domicile.
Lorsqu’ils furent en vue de la splendide terrasse qui
domine toute la vallée de la Seine, ils ralentirent le train. La
duchesse de Chevreuse se tourna vers son compagnon.
– Monsieur de Senlis, dit-elle, vous avez accompli votre
rôle à la perfection. La reconnaissance de la reine et la mienne
vous sont acquises…

– Ah ! Madame ! fit-il en se rapprochant de la jeune
femme, serez-vous cette nuit plus cruelle que Sa Majesté pour
notre Roi ?
Marie éclata de rire.
– Doucement, monsieur le comte ! La question de la
postérité royale n’est pas en jeu entre nous, que je sache ! Nous
en reparlerons…
Mais l’ordre du cardinal-ministre parvint à la duchesse de
Chevreuse avant qu’elle ait eu le temps d’entamer un autre
entretien à ce sujet avec son galant complice. Elle dut regagner
ses terres, maudissant une fois de plus l’omnipotence de
Richelieu.
Neuf mois plus tard, le héraut royal annonçait la naissance
d’un enfant du sexe masculin du nom de Louis, et surnommé
« Dieudonné » tant l’impatience et le désir de sa venue furent
grands.
Depuis quelque temps déjà, M. de Senlis avait obtenu un
brevet de colonel dans la garde royale, à l’instigation de la reine
Anne d’Autriche…

lundi 26 novembre 2012

VANITES

J'y ai gouté,
limpide et claire
cela n'avait pas le gout du thé,
mais ma foi cela faisait mon affaire.
La première gorgée m'avait désaltéré
mais la deuxième m'avait donné une tête de déterrer.

J'y ai gouté,
loin de l'idée que je m'en faisait,
j'ai été agréablement stupéfait
car la première bouffée m'avait booster.
Mélange de réalité et d'illusion,
des images et mes pensées étaient en collision.

J'y ai gouté,
tendre et doux
je crois que toi aussi y aurais laissé des sous.
D'une grande volupté,
jamais le chaud ne m'avait autant fait frissonner
au point ou je ne voulus plus m'en détourner.

J'y ai gouté,
encore et encore sans vraiment me douter
que mon âme dans un monde obscure s'enlisait,
devenant la proie de ceux qui médisaient.

Huberson Aboya

vendredi 23 novembre 2012

ETREINTE D'UN ANGE

Un ange m'a pris dans ses bras;
De cette étreinte, j'ai senti mon coeur fondre,
Puis envahit par un torrent de feu.
Dans un gouffre d'Amour, j'étais plongé.
Le souffle coupé, le temps me paraissait infini
Et pour la première fois l'éternité m'étais accessible.


Un ange m'a pris dans ses bras.
Tout contre lui, je sentais son souffle puissant
Et dans mon dos poussées des ailes dorées.
Jamais Amour ne fut aussi énivrant et cuisant.
Le ciel et la terre semblait plier à ma volonté.
Et le paradis s'ouvrir à moi.


Un ange m'a pris dans ses bras.
Desserrant son étreinte ,
D'un battement d'aile il s'éloigna.
Mon coeur fut saisi d'une délicieuse douleur,
Et mon âme fut remplis d'un désir sans fin.

Huberson Aboya

mardi 13 novembre 2012

HOMMAGE


Laisse-moi te dire merci
Car aussi loin que portent mes souvenirs
Tu as toujours été là pour moi.

Laisse-moi éponger la sueur de ton front
Car de durs labeurs
Tu en as accomplit pour mon bonheur.

Laisse-moi faire ta fierté
Autant que tu l’es pour moi auprès de tous
Me permettant de jouir d’une profonde estime.

Laisse-moi poser un baiser sur ton front
Marqué par les rides
Dues aux soucis par moi causés.

Laisse-moi te porter en mon cœur
Te garder jalousement avec moi
Comme tu le fis pour moi, enfant.

Laisse-moi dire au monde
Pour toi,
Ma gratitude,
Ma reconnaissance,
Mon Amour,
MAMAN.
                     
HUBERSON ABOYA
               


vendredi 9 novembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: Cahpitre VI: ÉCHEC AU CARDINAL


Le château de Montgiron était situé à deux lieues du village
de Saint-Marcelin.
Il faisait partie du domaine royal et, comme il se trouvait
fort loin de la capitale, jamais encore aucun souverain ne l’avait
honoré de sa visite. Il ne possédait, pour tout hôte, qu’un vieil
officier qui en avait la garde et se donnait encore l’illusion d’être
un chef, parce qu’il commandait à quelques gardes forestiers et
à trois jardiniers chargés d’entretenir la forêt et les jardins qui
s’étendaient autour du vieux manoir.
Ce vieillard qui répondait au nom de Jean-Noël-Hippolyte-
Barbier de Pontlevoy, était un cardinaliste d’autant plus enragé
qu’il devait cette agréable retraite à Richelieu, beaucoup plus
désireux de se débarrasser d’un quémandeur qu’il rencontrait
sans cesse dans ses antichambres, que de récompenser les
services d’un brave mais obscur soldat qui n’avait jamais réussi
qu’à récolter quelques blessures au service du roi.
M. de Durbec, muni d’un blanc-seing du cardinal, était
donc devenu le maître de céans et avait déclaré à
M. de Pontlevoy qu’il n’avait qu’à se conformer à ses
instructions, c’est-à-dire à se tenir tranquille.
Le digne homme qui, au fond, ne demandait pas mieux,
accéda aussitôt à la volonté que lui exprimait si énergiquement
le mandataire du cardinal et, après avoir partagé le souper de ce
dernier, il prit le sage parti de se retirer dans ses appartements,
de se coucher dans son lit moelleux et de s’endormir avec la

même sérénité que d’ordinaire, c’est-à-dire en homme qui a la
conscience nette et la digestion facile.
Vers dix heures du soir, le capitaine des gardes pénétrait
dans le salon où M. de Durbec attendait sa venue en dégustant
un verre de vin d’Espagne. Il était accompagné de la duchesse
de Chevreuse, qui portait dans ses bras l’enfant mystérieux.
M. de Durbec se leva et salua Mme de Chevreuse, qui ne
daigna pas lui répondre.
M. de Savières attaqua :
– Mme la duchesse de Chevreuse a consenti à me suivre
librement et à vous remettre, monsieur, l’enfant que j’étais
chargé de lui réclamer.
Durbec ajouta, insistant particulièrement sur ces mots :
– De la part de Son Éminence le cardinal de Richelieu.
Sans ouvrir la bouche, la duchesse déposa sur la table
l’enfant qu’elle tenait dans ses bras et qui semblait toujours
reposer aussi profondément. Puis, impassible, elle attendit.
M. de Durbec écarta les voiles qui enveloppaient le
nourrisson. Aussitôt, un cri de rage lui échappa :
– Madame, vous nous avez joués.
– Qu’est-ce à dire ? s’exclamait Marie de Rohan, d’un air
hautain.
L’émissaire du cardinal, comprimant avec peine la rage qui
s’était emparée de lui, scanda :

– Ce n’est pas un enfant, mais un mannequin.
– Vous me surprenez fort, dit ironiquement
Mme de Chevreuse.
– Regardez, madame, et constatez vous-même.
– En effet, reconnut la duchesse, c’est bien un véritable
mannequin que j’ai sous les yeux, et fort adroitement arrangé,
n’est-ce pas, monsieur le capitaine des gardes, puisque vousmême,
qui l’avez pris dans son berceau, vous ne vous êtes
aperçu de rien ? Alors, comment voulez-vous, monsieur le
représentant du cardinal, que moi, qui me trouvais dans une
pièce voisine, j’aie pu me rendre compte de cette substitution ?
Les sourcils froncés, le regard mauvais, M. de Durbec
attaqua d’un ton acerbe :
– Madame, je vous engage vivement…
Mais pressentant que l’explication allait être extrêmement
importante et risquait fort de dévoiler, devant une tierce
personne, des secrets que celle-ci n’avait pas à connaître, il
ajouta :
– Monsieur le capitaine, je vous prie de vous retirer.
Le baron de Savières s’empressa de quitter la pièce, fort
vexé du tour que l’on venait de lui jouer, et très inquiet des
conséquences que pouvait avoir pour lui son manque de
perspicacité.
Durbec lança à Mme de Chevreuse un regard de défi qui
exprimait clairement :
– Et maintenant, à nous deux !

Mais la courageuse Marie de Rohan n’en parut nullement
intimidée, et elle demeura debout à la même place, attendant
vaillamment le choc de l’adversaire.
Celui-ci s’empara de la poupée et la jeta sur un meuble.
Puis, revenant vers la duchesse, il lui dit :
– Madame, désirez-vous que je vous communique le blancseing
de Son Éminence ?
– C’est inutile. Les procédés dont vous avez usé envers moi
suffisent à me révéler à la fois la nature des pouvoirs dont vous
êtes investi et des intentions de celui qui vous les a conférés.
– Vous êtes donc irréductible, madame la duchesse ?
– Oui, monsieur, quand il s’agit de mon droit.
– Vous admettrez donc que je le sois aussi, lorsque j’ai à
défendre celui du cardinal.
– Je ne vois pas, monsieur, en quoi le droit de votre maître
est en jeu dans cette affaire.
– N’a-t-il pas le devoir de veiller, avant tout, sur l’honneur
de Sa Majesté et sur la sécurité de l’État ? Mais nous ne sommes
point ici, madame, pour parler politique, et je vous conseille de
répondre catégoriquement à la question que je vais vous poser :
Qu’est devenu l’enfant que vous avez fait baptiser cet après-midi
dans l’église Saint-Marcelin ?
Avec un sang-froid qui semblait inaltérable,
Mme de Chevreuse riposta :

– Demandez-le à son père !
– À M. de Mazarin ! coupa sèchement l’émissaire du
cardinal.
– Vous faites erreur, monsieur, répliqua Marie de Rohan.
M. de Mazarin n’est nullement le père de ce nouveau-né cause
de ce litige. Il en est simplement le parrain, de même que j’en
suis… la marraine.
– Alors, son père, quel est-il ?
– Le chevalier Gaëtan-Nompar-Francequin de Castel-
Rajac.
– Quelle est cette plaisanterie ?
– Monsieur, vous êtes gentilhomme !
– Certes, et je m’en honore.
– Eh bien ! montrez-le, monsieur, d’abord en cessant de
me parler sur un ton qui n’est point celui d’un homme de bonne
compagnie, puis en vous abstenant désormais de mettre ma
parole en doute.
« Décidément, se disait l’espion de Richelieu, cette femme
est encore plus forte que je ne le pensais. Je crois que, pour
avoir raison d’elle, je vais être obligé de me servir des grands
moyens que j’ai ordre de n’employer qu’à la dernière
extrémité. »
D’un ton volontairement radouci, il reprit :
– Croyez, madame, qu’il m’est fort désagréable, je dirai
même fort pénible, d’être obligé de vous parler ainsi et de me

montrer, envers vous, d’une rigueur qu’excuse cependant la
situation, grave entre toutes, dans laquelle vous êtes placée.
Sans doute allez-vous m’accuser encore de me montrer impoli
et brutal envers vous. Mais nous en sommes arrivés à un point
où il est de toute nécessité d’abattre nos cartes.
– Soit, monsieur, acquiesça la duchesse. Je pense que vous
avez beaucoup d’atouts, mais je ne vous cacherai pas que j’en ai
certains, moi aussi, qui sont fort capables de rivaliser avec les
vôtres.
L’émissaire de Richelieu répliqua :
– Dans la nuit du 5 au 6 mai, Sa Majesté la reine Anne
d’Autriche a accouché clandestinement d’un enfant du sexe
masculin, dans une maison qui vous appartient et qui est située
aux environs du château de Chevreuse. La reine vous a chargée
de faire disparaître cet enfant. Dans ce but, vous avez eu recours
à l’un de vos amis, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac et, tous
deux, en compagnie d’une nourrice que vous aviez fait venir en
secret de province, vous avez gagné ce pays, espérant ainsi
mettre à l’abri de toutes poursuites l’enfant illégitime de la
reine. Voilà pourquoi, madame, au nom de la Raison d’État, une
dernière fois, je vous somme de nous restituer cet enfant ! Si
vous acceptez, non seulement vous rentrerez en grâce
immédiate auprès du cardinal, qui est décidé à vous combler de
ses bienfaits et de ses faveurs, mais, en son nom, je prends
l’engagement solennel que cet enfant sera élevé par les soins du
cardinal avec tous les égards dus à son rang, sans que nul,
cependant, ne puisse soupçonner quelles sont ses origines.
Madame, j’attends votre réponse !
– Elle est fort simple, déclara la duchesse, sans se départir
un seul instant de l’attitude qu’elle avait adoptée. Allez
consulter le registre de la paroisse de Saint-Marcelin, et vous y
verrez que cet enfant, que vous attribuez à la reine et à

M. de Mazarin, est, en réalité, celui de Gaëtan de Castel-Rajac et
d’une jeune fille des environs de Marmande, morte, ces jours
derniers, en donnant le jour à son fils.
Redevenu nerveux, M. de Durbec s’écria :
– On peut écrire ce que l’on veut sur un registre de
baptême.
– Je vous ferai observer, monsieur, que ces déclarations
sont signées par Mme la duchesse de Chevreuse, M. de Mazarin,
M. le chevalier de Castel-Rajac, M. le baron d’Assignac, M. le
comte de Laparède. Donc, si nous avons fait une fausse
déclaration, il faudra que vous nous poursuiviez en justice.
Durbec s’écria :
– Ne nous égarons pas en vains subterfuges. Voulez-vous,
oui ou non, madame, me dire ce que vous avez fait de cet
enfant ?
– Demandez-le à son père. Lui seul pourra vous renseigner
à ce sujet.
– C’est votre dernier mot ?
– C’est mon dernier mot.
– En ce cas, madame, vous ne vous en prendrez qu’à vous
seule des conséquences regrettables que vont avoir pour vous
vos façons d’agir.
– Vous devriez savoir, monsieur, que je ne suis pas femme
à me laisser intimider.

Cette fois, Durbec ne répondit rien. Il s’en fut simplement
tirer sur le cordon d’une sonnette. L’un des panneaux de la
porte s’ouvrit, et l’espion de Richelieu dit au garde qui se
présenta :
– Prévenez votre capitaine que je désire lui parler.
Le garde salua et disparut. Durbec jeta un regard vers la
duchesse qui n’avait pas bougé. Toujours debout, près de la
table, en une attitude de sobre dignité, elle attendait la suite des
événements avec la sérénité d’une femme qui vient de faire tout
son devoir et qui est décidée à le remplir jusqu’au bout.
Un instant après, M. de Savières réapparut dans la pièce.
Durbec lui dit, désignant Mme de Chevreuse :
– Veuillez, capitaine, considérer, à partir de ce moment,
Mme la duchesse de Chevreuse comme votre prisonnière.
Conduisez-la dans la chambre où elle doit demeurer enfermée,
jusqu’à nouvel ordre, au secret le plus absolu.
Féru de discipline, le capitaine ne pouvait qu’obéir.
– Suivez-moi, madame, dit-il à Marie de Rohan qui, après
avoir foudroyé Durbec d’un regard de mépris, s’en fut, guidée
par M. de Savières, à travers les corridors sombres et déserts du
vieux château de Montgiron.
Demeuré seul, l’émissaire de Richelieu grinça entre ses
dents :
– Avant demain, j’aurai bien trouvé le moyen de faire
parler cette maudite duchesse.

Le premier mouvement de Gaëtan fut de se précipiter vers
Montgiron, sans trop savoir comment il pourrait délivrer
Mme de Chevreuse.
Cette impétuosité n’était guère dans les manières de
Mazarin qui préférait la réflexion à l’action.
– Je crois, dit-il, qu’il serait beaucoup plus sage d’employer
la ruse. En effet, si nous nous avisons d’occire une grande partie
ou la totalité des gardes du cardinal, celui-ci ne nous le
pardonnera pas et, à moins que nous prenions la décision de
quitter par les moyens les plus rapides le doux pays de France,
nous ne tarderons pas, malgré tous nos efforts, à tomber entre
ses mains. Je crois le connaître assez bien pour pouvoir vous
déclarer que, si nous lui infligions un pareil affront, il serait fort
capable de nous envoyer un régiment à nos trousses, tandis que,
si nous arrivions à pénétrer subrepticement dans le château, à
découvrir l’endroit où est enfermée Mme de Chevreuse et à la
faire s’évader sans attirer sur nous l’attention de ses geôliers,
j’estime que nous aurons accompli une besogne beaucoup plus
salutaire et beaucoup moins compromettante qu’en livrant une
bataille rangée aux gardes du cardinal.
– Mais, objecta Castel-Rajac, comment ferons-nous pour
pénétrer dans le château ?
– Est-il donc d’un accès si difficile ?
Gaëtan réfléchit un instant, puis il reprit :
– Je me souviens que, du côté de la forêt, il existe une
petite porte plutôt vermoulue, par laquelle on doit pouvoir
pénétrer aisément dans les communs.

– Bien. C’est plus qu’il nous en faut, déclara Mazarin, qui
devait s’être déjà tracé dans l’esprit un plan beaucoup plus
arrêté qu’il ne voulait bien le dire.
Et il reprit, d’un air entendu :
– En ce cas, messieurs, il ne nous reste plus qu’à monter à
cheval et, afin d’éviter d’attirer l’attention des espions qui
pourraient très bien rôder aux alentours, choisir des chemins de
traverse que vous devez connaître mieux que personne.
» Une fois arrivés là-bas, par la porte, nous nous
efforcerons de pénétrer dans la place que vient de nous indiquer
M. de Castel-Rajac, et nous rechercherons alors le moyen
d’exploiter ce premier avantage. »
Cinq minutes après, les quatre cavaliers chevauchaient sur
un sentier étroit, entre deux haies drues et hautes. Gaëtan
servait de guide.
Après avoir abouti à une sorte de piste à peine tracée qui
longeait de vastes prairies bordées de peupliers ils atteignirent
une forêt dans laquelle ils s’engagèrent et, protégés ainsi par les
hautes futaies, ils arrivèrent à l’autre lisière d’où, à la clarté de la
lune, ils aperçurent, se détachant sur un petit mamelon qui
surmontait la Garonne, la silhouette du manoir de Montgiron.
Pour l’atteindre, il restait à peine un quart de lieue.
Mazarin fit, toujours sur un ton de camaraderie :
– Je crois que nous ferions bien de laisser ici nos chevaux.
Les trois Gascons sautèrent en bas de leur monture.
Utilisant fort habilement tous les replis de terrains, les fossés
garnis de hautes fougères et les arbres qui se dressaient çà et là,

ils atteignirent ainsi les fossés du château. Celui-ci ne présentait
pour ainsi dire plus de défense. Quelques années auparavant,
Richelieu, qui craignait toujours un retour offensif de la
féodalité, l’avait fait entièrement démanteler. Les douves larges
et profondes qui l’entouraient avaient été comblées.
D’un rapide coup d’oeil, Mazarin se rendit compte de la
situation et il murmura entre ses dents :
– Décidément, M. de Richelieu n’a pas prévu le bon tour
qu’il va se jouer à lui-même.
Se tournant vers Gaëtan, il ajouta :
– Voulez-vous, mon cher chevalier, me conduire jusqu’à la
porte que vous nous avez signalée tout à l’heure ?
– Très volontiers, mon cher comte.
Entouré des trois autres conjurés, Castel-Rajac contourna
le château et, au pied d’une tour il désigna une petite excavation
fermée par un simple pan de bois qui paraissait si peu résistant,
qu’un simple coup d’épaule était capable d’en venir à bout.
– Allons, fit sobrement Mazarin.
Gaëtan, le premier, s’élança vers la porte, qui ne portait
aucune serrure apparente. Il allait la heurter d’un coup de pied,
lorsque Mazarin le retint en disant :
– Oh ! pas de bruit, surtout, mon cher. Voulez-vous me
permettre ?
Docilement, Gaëtan s’effaça pour le laisser passer. Mazarin
appuya de la paume de sa main droite sur la porte, qui résista.
Elle était fermée à l’intérieur.

– Maintenant, dit-il à Castel-Rajac, poussez, mais très
doucement.
Gaëtan s’exécuta. Un craquement se produisit.
Vivement, Mazarin avança la main et retint une planche au
moment où, détachée de son cadre, elle allait choir sur le seuil.
Il plongea son bras à l’intérieur, tâtonna un instant et, trouvant
un loquet, il le fit glisser avec précaution.
La porte s’ouvrit en grinçant légèrement sur ses gonds
rouillés. Mazarin s’avança. Il se trouvait dans un étroit réduit
qui, par un soupirail, prenait jour sur la cour des communs, un
petit escalier de pierre en forme de vis, donnant accès à l’étage
supérieur. Après avoir recommandé à ses amis de faire le moins
de bruit possible, Mazarin commença à gravir les marches et se
trouva bientôt en face d’une porte qui, fort heureusement, était
ouverte, ce qui prouvait que l’excellent Barbier de Pontlevoy,
quelque peu amolli par les délices d’une oisive retraite, avait
cessé de surveiller, même sommairement, les entrées et sorties
du château dont il avait la garde.
Les quatre conjurés se trouvaient dans une cour étroite et
obscure. Elle semblait complètement inhabitée et était entourée
de bâtiments bas qui devaient autrefois former les écuries du
château.
Au travers d’une grille délabrée, rouillée et demeurée
ouverte, on apercevait une seconde cour, qui paraissait plus
importante que celle-ci.
Mazarin, indiquant l’un des bâtiments aux trois Gascons,
leur dit :
– Cachez-vous là, pendant que je vais en reconnaissance.

Tandis que, toujours dociles, Castel-Rajac, Assignac et
Laparède se dissimulaient dans l’ombre, Mazarin, avec la
souplesse d’un chat, se glissait jusque dans l’autre cour, d’où il
pouvait examiner très attentivement les aîtres du château.
Le principal corps de logis formait l’un des côtés de la cour.
À droite, la cuisine, le cellier. À gauche, un corps de garde, dans
lequel quelques chandelles de résine achevaient de se consumer,
et où régnait un profond silence.
Mazarin s’y faufila, et aperçut, étendus sur la planche d’un
lit de camp et ronflant côte à côte à poings fermés, quatre des
gardes du cardinal, dont les manteaux, les chapeaux et les épées
étaient jetés pêle-mêle à leurs pieds.
Mazarin esquissa cet énigmatique sourire qui marquait
chacune de ses joies intérieures puis, s’emparant des quatre
chapeaux, des quatre manteaux et des quatre épées, il s’en fut à
pas de loup les déposer dans la cuisine, légèrement éclairée, elle
aussi, par quelques chandelles qui achevaient de se consumer
dans leurs chandeliers.
Cela fait, il rejoignit les trois Gascons qui l’attendaient avec
une fébrile impatience.
– Décidément, leur annonça-t-il, le destin nous est
favorable. Je viens de surprendre dans un profond sommeil
quatre gardes de Son Éminence, qui avaient cru bon de se
dévêtir à moitié et de se désarmer tout à fait.
» Je me suis emparé de leurs défroques et de leurs épées.
J’ai transporté le tout dans une cuisine, où nous serons à
merveille pour endosser les uniformes de ces messieurs. »

Il les entraîna tous les trois jusqu’à la cuisine et, là, ils
commencèrent à se déshabiller.
Déjà, Castel-Rajac et Laparède avaient mis bas leur
justaucorps et, pleins d’ardeur et d’entrain, ils s’apprêtaient
tous quatre à jouer consciencieusement leur rôle dans la tragicomédie
dont Mazarin était le metteur en scène, lorsque tout à
coup, il leur sembla entendre un bruit de pas précipités sur les
pavés de la cour.
Instinctivement, ils saisirent leurs épées. À peine venaientils
de s’en emparer que huit gardes du cardinal se précipitaient
dans la cuisine, l’épée à la main.
Cédant un moment au nombre, ils durent battre en retraite
et se réfugier dans le cellier, où ils allaient trouver un champ
plus facile pour se défendre.
– Quatre contre huit, s’écria Gaëtan d’une voix éclatante,
c’est une bonne mesure.
Et il fonça sur ses adversaires, en mettant pour commencer
deux à bas, tandis que, de leur côté, Mazarin, Assignac et
Laparède en tuaient et en blessaient trois autres.
Les trois gardes qui étaient restés indemnes prirent le parti
de rallier la cour et de donner l’alarme à ceux du corps de garde,
qui se réveillèrent aussitôt et s’en vinrent à leur rescousse. Mais
ils ne pouvaient pas être d’une grande utilité dans la bataille : ils
étaient sans armes et encore tout alourdis de sommeil.
Castel-Rajac qui, d’emblée, avait repris le commandement
de la bataille, profitant de la panique qui régnait parmi ses
adversaires se précipita sur eux avec ses amis.

Au même moment, une fenêtre du château, qui se trouvait
au premier étage, s’ouvrait, et une voix retentissait :
– Tenez bon ! Sus à ces bandits, à ces misérables, sus aux
ennemis du cardinal !
C’était le capitaine de Savières qui encourageait ses
hommes.
Mettant, lui aussi, l’épée en main, il se précipita à travers le
vestibule, les couloirs, dégringola l’escalier et se précipita dans
la cour.
Quand il arriva, les trois Gascons et l’Italien avaient achevé
de mettre ses gardes à la raison. Tous jonchaient le sol, morts
ou blessés. C’était un véritable carnage.
N’écoutant que son courage, M. de Savières voulut
s’élancer sur les vainqueurs. Mais, du revers de son épée rouge
de sang, Castel-Rajac, qui était décidément l’un des escrimeurs
des plus redoutables qu’il fût possible d’imaginer, envoyait
promener en l’air l’arme du capitaine, sur lequel se jetaient
Assignac et Laparède, qui l’immobilisaient instantanément.
Castel-Rajac s’avançait vers Savières et, approchant son
visage du sien, lui demandait, les yeux dans les yeux :
– Qu’avez-vous fait de Mme de Chevreuse ?
– Je n’ai pas à vous répondre, répliqua l’officier désarmé.
– Vous êtes notre prisonnier.
À peine le Gascon avait-il prononcé ces mots qu’un cri
déchirant partait du château.

Castel-Rajac eut un grand sursaut : il lui sembla que c’était
la duchesse qui appelait au secours.
Bondissant à l’intérieur, escaladant l’escalier quatre à
quatre, il parvint jusqu’au troisième étage et se heurta à un
homme vêtu de noir, l’épée à la main, qui semblait décidé à lui
barrer le passage.
Le Gascon fonça sur lui.
Durbec – car c’était lui – essaya vainement de se mettre en
garde et de parer cette foudroyante attaque. Lourdement, il
retomba sur le sol, le corps traversé de part en part par la lame
du chevalier.
Sautant par-dessus lui, Castel-Rajac franchit en quelques
bonds les marches de l’escalier qui donnait accès au grenier et
d’où continuaient à s’échapper les appels désespérés de
Mme de Chevreuse.
Il se trouva devant une porte entrebâillée sur le seuil de
laquelle, le dos tourné, se tenait un homme.
D’un coup de poing formidable, il l’écarta et, comme une
trombe, il pénétra dans la pièce. Deux autres hommes
s’apprêtaient à étrangler, à l’aide d’un lacet, la duchesse de
Chevreuse, qui se débattait avec l’énergie du désespoir.
Lardés de grands coups d’épée, les deux bandits durent
lâcher prise et, poursuivis par le Gascon, qui, d’un violent coup
de botte, avait à demi écrasé la figure du troisième homme qui
cherchait à se relever, ils s’élancèrent vers une lucarne qui
donnait sur les toits. Mais, dans leur affolement, ils avaient mal
pris leur élan et, glissant sur les tuiles, ils s’en furent s’aplatir
sur les dalles de la cour à côté des autres victimes de la fureur
gasconne.

Comme Mme de Chevreuse, brisée d’émotion, chancelait,
Castel-Rajac dut la retenir dans ses bras ; mais, se ressaisissant,
la vaillante femme s’écria :
– Non, je suis trop heureuse, maintenant, pour m’évanouir.
Gaëtan l’entraînait vers la sortie.
– La victoire est complète, disait-il, allons rejoindre nos
amis !
Tout en tenant son épée d’une main et soutenant la marche
de la duchesse de l’autre, il regagna la cour, sans remarquer que
le corps du chevalier de Durbec n’était plus à l’endroit où il était
tombé.
Rejoignant Mazarin, Assignac et Laparède, il leur annonça
d’une voix triomphante :
– La chasse a été bonne. Il y a douze pièces au tableau !
M. d’Assignac lui désignait le baron de Savières, qui gisait,
ligoté, sur le sol.
– Celui-là, fit-il, est encore en assez bon état.
Mazarin, qui s’était précipité vers Mme de Chevreuse, lui
dit :
– Maintenant, il s’agit de vous mettre rapidement en
sécurité, car, après ce qui vient de se passer ici, je ne réponds
plus de la tête de personne.
– Le mieux, déclara Castel-Rajac, est de gagner le plus
rapidement possible la frontière espagnole. Je crois que je ferais

bien d’emmener aussi mon petit garçon. N’est-ce point votre
avis, madame la duchesse ?
– Certes !
– Et vous, comte Capeloni ?
– Tout à fait.
Les quatre conspirateurs, qui entouraient la duchesse,
quittèrent le château et rejoignirent leurs chevaux qui étaient
restés dans la forêt. Bientôt, ils galopaient dans la direction de
Saint-Marcelin, et le chevalier, qui tenait, doucement serrée
contre sa poitrine, la belle Marie de Rohan qui se cramponnait à
son cou, lui murmurait à l’oreille, entre deux phrases brûlantes
d’amour :
– Je crois que votre amie sera contente de nous.

Quelle ne fut pas la stupéfaction de l’excellent Barbier de
Pontlevoy, lorsque, se réveillant le lendemain matin au chant du
coq, suivant son habitude, après avoir revêtu ses chausses et son
justaucorps, il commença son inspection quotidienne.
À la vue de tous ces cadavres alignés dans la cour et de tous
ces blessés qui gisaient dans les communs, à l’endroit où ils
avaient été frappés, il ne sut que s’écrier, en levant les bras au
ciel :
– Mille millions de gargousses, est-ce que je rêve ou bien
suis-je devenu fou ?

Et il appela, avec toute la force de ses poumons, les deux
invalides qui constituaient avec lui la garnison de Montgiron :
– Passe-Poil et Sans-Plumet !
Ce ne fut qu’au bout de cinq minutes de vociférations
stériles que Passe-Poil, tout en traînant sa jambe de bois,
accourut à son appel.
– Monseigneur, s’écria-t-il, je respire, j’avais peur que vous
eussiez été égorgé pendant votre sommeil.
– Ah ça ! que s’est-il donc passé ?
– Je n’en sais rien, monseigneur, Sans-Plumet et moi, nous
avions profité de votre permission que nous avait value la
présence au château des gardes de Son Éminence pour nous
rendre jusqu’à la ville.
» Tout à l’heure, quand nous sommes rentrés, nous nous
sommes trouvés en face d’un véritable carnage. Nous avons
commencé par relever les blessés, les panser de notre mieux,
puis nous avons découvert M. le capitaine de Savières ligoté et
bâillonné au fond du fournil, où nous l’avons délivré.
– Et où est le capitaine ?
– Auprès de M. de Durbec, qui est grièvement blessé.
– Quelle aventure ! s’écria le brave homme, qui demanda
aussitôt :
» Où avez-vous transporté M. de Durbec ?
– Dans la chambre d’honneur.

– J’y vais.
Tout essoufflé, bouleversé, suant déjà à grosses gouttes, le
vieux soldat s’en fut retrouver Durbec, qui était étendu sur un lit
et semblait souffrir cruellement de sa blessure. Le capitaine de
Savières se trouvait à côté de lui, ainsi qu’un chirurgien que
Sans-Plumet avait été quérir en toute hâte.
Le praticien venait de sonder la plaie et il déclara d’un air
quelque peu hésitant :
– J’espère qu’aucune complication ne se produira, mais il
faut bien compter trois semaines avant que vous puissiez vous
remettre en route.
L’espion du cardinal eut une crispation du visage qui
révélait l’impression fâcheuse que lui produisait ce pronostic.
Mais Pontlevoy s’avançait en s’écriant :
– Vous me voyez furieux, affolé ! Je ne comprends rien,
mais rien…
– Eh bien ! continuez, coupa Durbec, d’un ton sarcastique.
– Cependant, monsieur, permettez-moi, hasarda le colonel.
Durbec reprit :
– N’ayez aucune crainte quant aux responsabilités que
vous avez encourues. Mon intention n’est nullement de rejeter
sur vous l’odieux guet-apens qui a été tendu cette nuit à M. le
capitaine de Savières et à ses gardes, ni de la tentative
d’assassinat dont j’ai été l’objet.
» Soyez donc rassuré, monsieur le gouverneur, et n’ayez
point souci de moi. Si Dieu le veut, je saurai bien me tirer

d’affaire… et, s’il ne le veut pas, eh bien ! il sera fait selon sa
volonté.
» Retournez à vos occupations habituelles et puissiez-vous
dormir aussi bien la nuit prochaine que vous avez dormi la nuit
dernière. »
Le vieil homme allait insister, mais, avec déférence,
M. de Savières lui dit :
– Je crois, monsieur, que M. de Durbec a besoin de
m’entretenir en particulier. Monsieur le chirurgien, à bientôt,
n’est-ce pas ?
Le praticien répliqua :
– Demain matin, je viendrai renouveler le pansement.
Précédé de Sans-Plumet et flanqué de Pontlevoy, il
descendit dans la cour, où il enfourcha sa maigre haridelle et il
s’éloigna, tandis que le gouverneur, rouge, congestionné au
point qu’on aurait pu redouter pour lui une apoplexie
foudroyante, s’écriait, en tournant autour d’un puits qu’il
semblait prendre à témoin de son désarroi :
– Je n’y comprends rien… rien… rien…