vendredi 14 décembre 2012

L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: Chapitre III: UN ENVOYÉ DU CARDINAL


Une fois Durbec fixé sur le gîte où s’étaient réfugiés le
gentilhomme gascon et son fils adoptif, il fit demi-tour, n’ayant
plus rien à faire dans les Pyrénées.
Tout en ruminant ses projets de vengeance, il brûlait les
étapes et avalait les lieues, n’accordant à son cheval et à luimême
que le temps strictement indispensable au repos.
Un fer perdu par son cheval, et une légère boiterie qui en
résulta le retarda un peu. Enfin, un beau matin, il franchit la
barrière d’Enfer, et se trouva dans la capitale.
Onze heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois,
lorsqu’il demanda à être introduit auprès du premier ministre.
Hélas ! cette entrevue, comme les deux précédentes, ne
devait lui réserver que des désillusions. Richelieu accueillit avec
une satisfaction évidente les renseignements qu’il lui
communiqua, mais ne manifesta en aucune façon l’intention de
s’approprier l’enfant de la reine ou même d’intervenir d’une
façon quelconque dans les affaires du Gascon.
Durbec, dépité, insinua quelques perfidies contre Castel-
Rajac, tentant un ultime effort pour dresser contre lui la colère
du prélat. Mais ce fut en vain. Bien au contraire, le ministre
fronça les sourcils et le congédia sèchement.

Le chevalier sortit, en proie à une colère qui, pour être
cachée, n’en était pas moins violente, et jura de se venger. Il
n’avait que trop tardé à agir par lui-même.
Richelieu connaissait trop les hommes et le secret des âmes
pour que la haine de celui qu’il employait lui échappât.
Dès que la porte se fut refermée sur son espion, le cardinal
se plongea dans une profonde méditation.
Enfin, au bout d’un moment, il allongea sa main vers un
cordon de sonnette. Un officier parut.
– Prévenez M. de Navailles que j’ai à lui parler
immédiatement ! ordonna-t-il.
Quelques instants plus tard, le marquis de Navailles faisait
son entrée.
C’était un des fidèles de Richelieu. Mais en même temps,
c’était un des plus loyaux gentilshommes du royaume de
France.
Il s’inclina profondément devant le cardinal et attendit ses
ordres.
– Monsieur de Navailles, dit Richelieu, je connais vos
mérites, et je veux aujourd’hui vous donner une preuve de
confiance en vous chargeant d’une mission délicate entre toutes.
Navailles, un grand et fier gaillard, aux moustaches
conquérantes et aux yeux gris d’acier, répliqua :
– Votre Éminence peut croire que je lui en suis
profondément reconnaissant, et que je m’efforcerai d’accomplir
de mon mieux ce qu’Elle daignera m’ordonner de faire…

– Avant, reprit Richelieu, qui se caressait le menton dans
un geste machinal, je dois vous donner quelques mots
d’explication préliminaire…
« Il existe dans les Pyrénées un petit village, du nom de
Bidarray. C’est là que vous allez vous rendre… »
Navailles réprima un geste de surprise, mais ne dit rien.
– Dans ce village, continua le ministre, vit un jeune enfant,
avec son père, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac, et deux
autres gentilshommes : MM. d’Assignac et de Laparède… J’ai
des raisons spéciales et très graves pour m’intéresser à ce
bambin, et par contre-coup, au chevalier de Castel-Rajac. Il se
pourrait qu’ils soient en butte à des attaques sournoises
d’adversaires qu’ils ne soupçonnent pas… Vous allez donc,
comme je vous l’ai déjà dit, partir pour ce village. Votre mission
consistera à veiller sur la sécurité de ces deux personnes. Je ne
veux pas qu’aucun mal leur arrive. Vous m’avez compris ?
Le marquis de Navailles s’inclina jusqu’à terre.
– J’ai compris, Éminence… Aucun mal ne leur arrivera.
– Merci, monsieur. Je sais que je peux compter sur vous.
– Jusqu’à la mort, Éminence !
– Allez, monsieur… Je vous remercie…
Le gentilhomme se retira, laissant Richelieu à ses
réflexions.

Les révélations de Durbec ne faisaient que confirmer le
cardinal dans la supposition que Mazarin était bien le père
légitime de cet enfant.
Richelieu, bien que décidé à faire surveiller attentivement
Castel-Rajac et son pupille, avait résolu, en même temps, que
cette surveillance serait une protection contre certaines
manoeuvres occultes qu’il ne soupçonnait que trop.
En effet, Durbec, après son entrevue avec le cardinal,
n’avait rien eu de plus pressé que de réenfourcher son cheval et
de reprendre la route des Pyrénées.
Il était persuadé que le grand air lui porterait conseil, et
qu’en route, il trouverait un plan pour se venger enfin de celui
qu’il haïssait.
Un soir, comme il arrivait à l’auberge des Quatre-Frères,
non loin de Bordeaux, il remarqua un cavalier d’élégante
tournure qui mettait lui-même pied à terre devant l’auberge.
Lorsqu’il entra dans la grande salle, le cavalier était déjà
installé devant une table, un pichet de vin du Bordelais devant
lui, attendant paisiblement son dîner. Il se présentait de telle
façon que Durbec ne put que très mal distinguer son visage,
mais il lui sembla que cette silhouette lui était familière.
Ce voyageur n’était autre que le marquis de Navailles, qui
se rendait à son poste, suivant les ordres reçus.
Mais si Durbec avait remarqué ce client sans pouvoir
définir sa personnalité, Navailles, lui, n’avait pas hésité un
instant :

– Morbleu ! pensa Navailles, intrigué, que vient-il faire
dans ce pays, cet oiseau-là ? Aurait-il reçu une mission
similaire ?
Mais à peine cette idée lui eut-elle traversé l’esprit qu’il la
rejeta.
– Non ! non ! C’est impossible. Son Éminence m’a parlé
« d’une mission d’honneur »… Il ne peut l’avoir confiée à ce
traître !
Comme corollaire, une réflexion vint tout de suite se greffer
sur sa première idée.
– Mais alors, s’il n’est pas en mission pour le cardinal, que
vient-il donc faire par ici ?
Navailles avait l’esprit prompt. Il ne tarda pas à se souvenir
de l’algarade qui avait mis aux prises, au château de Montgiron,
les gardes de Richelieu et le chevalier gascon, pendant laquelle
Durbec avait été blessé par Castel-Rajac en personne.
– Tiens… tiens… tiens ! fit lentement le marquis. Ceci
m’ouvrirait de nouveaux horizons… Peut-être Son Éminence
n’a-t-elle pas eu tort en supposant que la sécurité de ce
gentilhomme et de son fils est assez gravement compromise.
Car je crois cet individu capable de tout !
Lorsque Durbec descendit le lendemain matin, après une
excellente nuit, et prêt à reprendre la route, il ne revit point
l’inconnu qu’il avait remarqué la veille au soir. D’ailleurs, son
souvenir même lui était passé de la tête.
Navailles après les soupçons qui l’avaient assailli la veille,
n’avait pas attendu le réveil du chevalier pour prendre le large.

Aussi, dès l’aube, il avait fait seller son cheval et était parti
au galop, espérant gagner une assez grande avance pour arriver
à destination sans être rejoint par Durbec.
Il se rendait compte qu’il avait sur lui un avantage
appréciable : il connaissait sa présence, et peut-être le but de
son voyage, tandis que Durbec, lui, ignorait jusqu’à la mission
dont Navailles était chargé.
Mais le marquis était trop rusé pour se présenter armé de
pied en cap dans ce petit village. À la ville voisine, il laissa son
cheval, acheta des habits modestes, et, vêtu comme un
marchand, arriva à Bidarray.
On l’accueillit sans méfiance. Il en passait tellement ! Sans
hésiter, Navailles se rendit au presbytère. C’était une vieille
maison où vivait un brave curé presque aussi âgé qu’elle.
Sous couleur de lui proposer une pièce de drap et des
almanachs, il réussit à le voir, et là, il lui révéla sa qualité, et
pour quelle raison il était céans.
– Monsieur le curé, conclut-il, vous savez tout. Il me faut
un gîte. Puis-je compter sur vous pour me l’accorder ?
– Mon cher enfant, répondit le vieux prêtre, il y a toujours
eu ici une place pour le pauvre et l’errant. À plus forte raison
lorsqu’il s’agit du service de Son Éminence le cardinal. Tout ce
que j’ai ici est à vous, vous êtes chez vous !
Le bruit courut au village que le marchand était un vague
neveu au curé de Bidarray. Il était naturel qu’il réside chez son
parent quelque temps, après avoir pris la peine de monter
jusqu’en ce pays perdu !

Tandis que ce petit complot s’arrangeait au presbytère, làhaut,
à la gentilhommière, les trois Gascons et leur pupille
filaient des jours sans histoire.
Marie de Chevreuse avait été s’établir dans le village voisin,
et partageait son temps entre cette résidence champêtre et le
logis où des amis fidèles l’hébergeaient, à Pau. Dès qu’elle était à
la montagne, un petit berger partait vers Bidarray et remettait
un message au chevalier gascon… Alors, le soir, à la brune,
celui-ci se glissait jusqu’à l’humble demeure où la grande dame
consentait à demeurer quelques jours pour l’amour de lui…
Puis, après trois ou quatre rencontres, et pour ne pas
éveiller les soupçons, la duchesse retournait à Pau.
De la sorte, chacun était parfaitement heureux, et leur vie
n’aurait été marquée par aucun événement, si la haine n’avait
entrepris de démolir ce bonheur tranquille.
Durbec était arrivé lui aussi à Bidarray. Il n’avait pas eu
besoin de se travestir pour donner le change, son allure le
rendait semblable aux petits bourgeois des environs.
D’ailleurs, il menait la vie la plus discrète qui fût, ne
sortant qu’à la nuit de la maison isolée où il avait trouvé gîte,
afin de rôder autour de la gentilhommière où vivait son ennemi.
Ce fut ainsi qu’il surprit le manège du courrier, et vit, à
différentes reprises, arriver, à toutes jambes, un petit berger,
qui entra au château.
Il le fila, et ne fut pas long à se convaincre que chaque fois
que le petit pâtre venait à Bidarray, Castel-Rajac, à la nuit,
enveloppé d’un grand manteau, enfourchait son cheval et
partait rejoindre sa bien-aimée à travers les défilés de la
montagne.

Voilà qui pouvait être d’une grande utilité… Un accident est
si vite arrivé, la nuit, dans ces parages !
Mais le triste personnage ne pensait point à exécuter luimême
sa sombre besogne. Il savait qu’en cas d’échec, il aurait
risqué trop gros, et il entendait bien obtenir satisfaction avec le
minimum de risques.
Durbec n’était pas un novice dans ces sortes d’expéditions.
Il descendit un jour jusqu’à Pau…
*
* *
– Castel-Rajac ! On te demande, mon ami…
Le gros d’Assignac entra dans la bibliothèque où le Gascon
lisait. Celui-ci se leva d’un bond et jeta son livre.
– Le berger ?
– Oui… fit Hector en clignant malicieusement de l’oeil, car
les deux compères savaient fort bien ce que signifiait pour leur
compagnon l’arrivée du gamin.
Gaëtan n’avait même pas entendu la réponse. Il s’était
élancé dans le vestibule, où l’enfant l’attendait.
– Monseigneur, dit-il, voici une missive pour vous…
– Merci ! Tiens ! attrape !
Le jeune homme lui lança sa bourse en voltige, que l’autre
fit disparaître dans sa veste.

Le Gascon fit sauter le cachet, ne remarquant pas, dans sa
hâte amoureuse, que celui-ci ne portait pas le sceau habituel de
la duchesse…
La lettre ne contenait que ces mots :
« Ce soir ! »
Il ne songea pas non plus à s’étonner de la brièveté du
message. Il était obsédé par l’idée qu’il allait enfin revoir sa belle
maîtresse. Les périodes où elle était absente lui semblaient
désespérément longues…
Lorsque la nuit tomba, Castel-Rajac, après avoir
hâtivement avalé quelques bouchées, fit seller son cheval et se
dirigea vers le petit bourg de Saint-Martin d’Arrossa, où était
descendue Marie de Rohan.
Le chemin était assez difficile, car le sentier côtoyait par
instants de profonds précipices.
Il en aurait fallu davantage pour faire reculer l’intrépide
chevalier ! Il en avait suffisamment vu pour ne point redouter
les embûches que pouvait réserver la montagne nocturne.
Cependant, cette fois-ci, il devait être à deux doigts d’y
laisser sa vie…
Il venait de perdre Bidarray de vue, et il suivait l’étroit
chemin qui reliait les deux villages, sifflotant avec insouciance,
laissant flotter les brides du cheval, tout à son rêve que berçait
encore une nuit idéale de pleine lune.
Soudain, d’une anfractuosité de roc, des hommes jaillirent.

Ce fut tellement inattendu que la monture du chevalier fit
un brusque écart, et sans la poigne solide de celui qui le
montait, ils roulaient tous les deux dans le gouffre.
– Capédédiou, mes drôles ! cria Castel-Rajac, mettant
flamberge au poing, voilà une façon peu civile de souhaiter le
bonsoir au voyageur !
Mais sans lui répondre, un grand escogriffe, qui semblait
avoir pris la tête de l’attaque, s’écria, tourné vers les aigrefins :
– Sus ! Sus ! Jetez-le dans le vallon !
– Ouais ! ricana Gaëtan, faisant faire une demi-volte à son
cheval, et s’adossant à la muraille rocheuse pour éviter d’être
cerné. Vous pouvez toujours essayer, mais je doute que vous
réussissiez !
– Malepeste ! hurla le grand diable, par mon nom de La
Rapière, je veux le perdre si je n’ai pas tes os !
– Ho ! ho ! riposta le Gascon sans s’émouvoir. Voilà une
outrecuidante prétention, mon ami ! J’ai grand peur que tu ne
perdes ton élégant sobriquet, et peut-être même quelque chose
de beaucoup plus précieux !
Ce disant, il allongea prestement le bras, et son épée alla
trouer l’épaule du truand, qui poussa un hurlement de douleur
et de rage.
Ce fut le signal de l’attaque.
Gaëtan, arc-bouté contre la paroi montagneuse, fit face à
ses adversaires. Par deux fois, son épée rencontra un obstacle
humain. Un des vide-goussets alla rouler dans l’abîme avec un
grand cri. Un autre s’affaissa, la gorge traversée.

Ces deux disparitions, loin de ralentir l’audace des autres,
les jetèrent en vociférant vers leur adversaire.
L’éclair bleu des lames rayait la nuit de rayons fulgurants,
et le cliquetis de l’acier se répercutait au loin dans la vallée,
éveillant d’étranges échos…
– En avant ! hurlait La Rapière, qui, bien que blessé, payait
de sa personne.
– Mordiou ! grommela le Gascon en parant un coup d’épée
et en attaquant aussitôt un adversaire plus entreprenant. Il faut
que la récompense soit de taille pour leur inspirer un tel
courage ! Serait-ce à Monsieur le Cardinal que je suis redevable
de cette gracieuse attention ?
Il aurait pu le croire, car la qualité des ferrailleurs et leur
nombre pouvaient en effet donner à penser que le prix payé
était rondelet.
Castel-Rajac était un escrimeur hors ligne. Cependant, il
devenait impossible de faire face à toute cette racaille. Ils étaient
au moins douze contre lui.
– Sangdiou ! s’écria-t-il en éclatant de rire, je vois que Son
Éminence ne mésestime pas mon courage ! Douze hommes
pour me mettre à la raison ! Bravo !
– N’accusez pas Son Éminence ! répondit une voix forte,
qui semblait jaillir des ténèbres. Ce n’est pas Monsieur de
Richelieu qui vous a fait tomber dans ce lâche guet-apens,
chevalier ! En garde, toi, là, sacripant, ou je te transperce !

Et, rapide comme la pensée, l’épée du marquis de
Navailles, car c’était lui, pourfendait le premier misérable
rencontré sur son chemin.
– Et d’un ! Courage, monsieur de Castel-Rajac ! Nous
aurons raison de ces coquins !
– Sangdiou ! monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais ce
dont je suis sûr c’est que j’ai affaire à un brave gentilhomme !
– Vous ne vous trompez pas, monsieur, répondit le
nouveau venu en ferraillant comme un enragé. Je me nomme le
marquis Gustave de Navailles.
– Capédédiou ! monsieur ! riposta le Gascon sans cesser de
parer et d’attaquer furieusement. Voici un nom dont je me
souviendrai, et j’espère pouvoir vous prouver ma
reconnaissance, si cette graine de galère nous en donne loisir !
– Je m’en voudrais de laisser périr un aussi brave cavalier
que vous ! Nous mourrons ensemble ou nous vaincrons
ensemble, chevalier !
– Voilà qui est parlé ! Hé ! toi ! Ton compte est réglé !
Tout en parlant, il avait transpercé un autre coquin. Mais
lui-même venait de recevoir un coup d’épée dans le bras gauche.
– Peuh ! ricana-t-il. Une égratignure ! Canailles, nous
allons vous découper en lanières !
Sur cette hardie gasconnade, il se lança plus
audacieusement que jamais au milieu de la mêlée. Son
compagnon faisait merveille de son côté, tant et si bien que,
malgré les promesses reçues et le coquet acompte déjà touché,
les tire-laine finirent par s’enfuir sans demander leur reste,
trouvant la besogne trop ardue.
Ils s’évanouirent dans les ténèbres tandis que les deux
hommes se serraient énergiquement la main.
– Monsieur le marquis ! s’écria Castel-Rajac, sans vous, je
ne sais trop comment cette aventure-là aurait tourné ! Ils
avaient le nombre pour eux !
– Oui, sourit Navailles, mais nous avions la valeur pour
nous !
Ils éclatèrent de rire, et se séparèrent. Navailles retournant
à Bidarray, et Gaëtan continuant sa route vers Saint-Martin
d’Arrossa.
Là, une étrange surprise l’attendait. Les volets étaient clos,
les lumières éteintes, et à la fenêtre de la chambre qu’occupait
ordinairement sa belle, le chevalier ne distingua nulle lueur.
Il allait mélancoliquement tourner bride, lorsqu’il vit surgir
en courant sur le chemin le petit berger qui regagnait son gîte
en galopant à perdre haleine. Il s’arrêta net en reconnaissant le
chevalier et voulut faire demi-tour. Mais Castel-Rajac, sautant à
bas de son cheval, eut tôt fait de le cueillir par le fond de sa
culotte.
– Hé ! toi ! s’écria-t-il, viens donc ici, mon gars, que nous
ayons deux mots d’explication !
Le gamin baissait le nez.
– Madame la duchesse n’est pas ici, n’est-ce pas ?
Pas de réponse.

Le Gascon tira une pièce d’or de sa bourse, lentement, et la
fit miroiter sous les yeux du gamin ébloui.
– Tu l’auras si tu réponds ! Dans le cas contraire, tu
recevras une volée de bois vert comme jamais tu n’en reçus !
Cette menace acheva de décider le berger.
– Non, Monseigneur ! pleurnicha-t-il.
– En ce cas, qui t’a chargé de porter ce mot ?
– Un cavalier. Monseigneur… un cavalier que je ne connais
pas… Il m’a offert un écu pour la commission… J’ai accepté… Je
ne savais pas…
– Hum ! Je ne suis pas si sûr que cela que ta conscience ne
te reproche rien… Enfin ! Voilà ta pièce. Maintenant, ne t’avise
plus de me jouer des tours pareils, sinon, je te transforme en
pâté !
Le garçon se hâta de disparaître derrière un éboulis de
rochers. Castel-Rajac, riant encore de son effroi, entendit le
bruit des sabots claquant précipitamment sur le sol. Puis tout
s’éteignit.
Le chevalier remonta à cheval et reprit le chemin de
Bidarray, tout songeur. Il était clair que l’agression avait été
voulue, préparée… Mais par qui ?
– Veillons ! conclut-il.
S’il avait été moins préoccupé de combattre et de se
défendre, il aurait aperçu, précautionneusement abrité par une
roche, un homme drapé dans une ample cape brune. Il vit

l’intervention de Navailles, dont le visage était éclairé en plein
par la lune. Il l’entendit se nommer au Gascon.
– Malédiction ! gronda-t-il, les dents serrées. L’homme de
l’auberge ! L’envoyé du cardinal !
C’était pour lui la preuve tangible que Richelieu, loin de
vouloir poursuivre le père adoptif et l’enfant de sa haine,
cherchait au contraire à les protéger.
Durbec, malgré la rage qui l’étouffait, comprit qu’il avait
tout à perdre et rien à gagner dans une lutte, même occulte,
contre le premier ministre. Il regagna Pau par des chemins
détournés.
Le lendemain matin, il reprenait la route de la capitale,
abandonnant ses projets pour l’instant.
– Patience… murmura-t-il. Mon heure sonnera ! Alors…



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