dimanche 2 décembre 2012
L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: L’ÉPOPÉE DE LA HAINE. CHAPITRE I: UN ORAGE PROVIDENTIEL
Le coup d’épée envoyé par Castel-Rajac à Durbec était
magistral, car le blessé dut rester alité plus de trois semaines
avant de reprendre une vie normale et obtenir du praticien
l’autorisation de se lever.
Mais pendant cette retraite forcée, la rancune qu’il
éprouvait pour le chevalier gascon ne fit que croître, alimentée
qu’elle était par le dépit qu’il éprouvait à s’être laissé vaincre par
cet adversaire. Il se jura qu’il aurait sa revanche, sa vie entière
devrait-elle y être consacrée.
Il lui tardait de pouvoir repartir, afin de mettre lui-même le
cardinal de Richelieu au courant. Déjà, le baron de Savières
avait dû lui raconter ce qui s’était passé au château de
Montgiron. Mais Durbec connaissait le capitaine des gardes.
C’était un rude soldat, qui ne saurait pas présenter l’histoire de
façon que le ministre conçoive pour ses adversaires une de ces
haines terribles qui ne désarment pas. Tandis que lui, Durbec,
saurait y glisser quelques perfidies propres à exciter la colère du
grand cardinal.
Enfin, ce jour tant attendu arriva. Après avoir visité sa
blessure une dernière fois, le médecin qui le soignait lui
déclara :
– Votre plaie est cicatrisée. Je crois que vous pourrez
repartir lorsque vous le désirerez.
Il y avait longtemps que l’espion du cardinal attendait cette
nouvelle. Aussi poussa-t-il un profond soupir de joie à cette
annonce. Mais lorsque le brave Barbier de Pontlevoy apprit que
son pensionnaire forcé allait repartir, il leva les bras au ciel :
– Je vous regretterai ! affirma-t-il. Avec qui donc vais-je
pouvoir faire ma partie de piquet, désormais ?
– Bast ! répondit Durbec, qui se moquait bien de la partie
de son amphitryon, vous engagerez l’un de vos hommes, ce
brave Sans-Plumet, ou bien Passe-Poil, pour vous servir de
partenaire !
Le lendemain matin, l’homme du cardinal put enfourcher
le cheval que le gouverneur lui prêta. Et après un dernier
échange de compliments, le cavalier piqua des deux vers la
capitale, un peu étourdi par le grand air, mais complètement
guéri.
Sa monture était excellente ; néanmoins, il lui semblait
qu’elle piétinait. Il labourait les flancs de la pauvre bête, penché
sur l’encolure. Toute sa vigueur lui était revenue. Le démon de
la vengeance le portait en avant.
Enfin, après quatre jours de marche forcenée, il distingua
les murs de la capitale ! Il poussa un soupir d’aise : dans deux
heures, il serait auprès du cardinal-ministre.
Celui-ci était dans son cabinet de travail lorsque Durbec se
fit annoncer. Il leva sa tête, que la maladie et les soucis
creusaient, et répondit simplement, en reposant sa plume d’oie :
– Qu’il entre !
Quelques secondes plus tard, le personnage était introduit.
Il s’avança d’un pas rapide vers Richelieu, puis, à quelques pas,
s’immobilisa dans un profond salut, attendant que son maître
veuille bien le questionner.
Celui-ci le considéra un instant, sans grande bienveillance.
Il connaissait le Durbec depuis longtemps, et, s’il l’utilisait, ne
pouvait guère concevoir de l’estime pour lui.
– Eh bien ! monsieur ! dit-il enfin, en lui faisant signe
d’approcher, quelles nouvelles m’apportez-vous ?
– Votre Éminence doit les connaître déjà, répondit Durbec.
M. de Savières a dû vous les communiquer…
– Vous devez vouloir parler de l’attaque, du château de
Montgiron ?
– Oui, Éminence ! Suivant vos ordres, la duchesse de
Chevreuse et l’enfant…
Richelieu l’interrompit.
– Je sais… je suis au courant… Avouez, monsieur, que vous
n’avez pas eu le beau rôle ?
Le ton était sarcastique. Durbec blêmit de colère.
– Que votre Éminence daigne nous excuser ! Mais ces
endiablés…
– Oui, oui… Ce fut là un joli coup de force ! Ces hommes
sont étonnants…
– L’un d’eux, appelé Castel-Rajac, m’a pourfendu d’un
coup d’épée qui m’a forcé à rester étendu plus de trois semaines,
Votre Éminence… C’est pourquoi je n’ai pu venir vous rendre
compte plus tôt de ma mission…
– Savières m’a conté… Je regrette le coup d’épée pour vous,
mais il fallait prêter plus d’attention, monsieur de Durbec…
– Ah ! Monseigneur ! Sans eux, nous obtenions enfin la
vérité sur l’enfant ! La duchesse et ses amis vous ont
indignement joué. Monseigneur…
Une ombre de sourire erra l’espace d’une seconde sur les
lèvres du grand cardinal.
– La poupée mise à la place du bébé… Je sais… Ces
Gascons ont vraiment une imagination étonnante !
Durbec manqua étouffer de rage en voyant Richelieu dans
cette disposition d’esprit. Attendre des cris de colère et des
sanctions terribles, et ne voir qu’un calme presque indifférent
était pour lui une surprise aussi désagréable que consternante.
– Que Votre Éminence m’excuse ! parvint-il à balbutier.
Mais ne croyez-vous pas qu’en pourchassant sans pitié cette
engeance…
Richelieu leva la main.
– Nenni, monsieur ! J’ai déjà eu plusieurs gardes tués dans
cette aventure ; j’ai besoin de la vie de mes hommes et ne veux
point les exposer inutilement. Vous avez été vaincus,
reconnaissez-le loyalement. Tant pis ! Arrangez-vous seulement
pour retrouver la piste de ce Castel-Rajac et de l’enfant.
– Monseigneur ! s’écria Durbec, tentant un dernier effort.
Madame la duchesse s’est moquée de vous, et le signor Capeloni
également ! Si vous ne sévissez pas, ils ne mettront plus de
bornes à leur audace !
Le cardinal-ministre regarda son subordonné sévèrement.
– Depuis quand, monsieur, dois-je recevoir vos conseils sur
la conduite que je dois tenir ? Allez et ne songez qu’à exécuter
mes ordres !
Le chevalier sortit fou de rage en pensant au piètre résultat
de son entrevue.
– Morbleu ! grommela-t-il en descendant les larges degrés
de l’escalier du Palais-Royal. Puisque c’est ainsi je ne confierai à
personne le soin d’assouvir ma vengeance.
Seulement Durbec avait moins d’envergure que le grand
cardinal, et si celui-ci avait les bras assez longs pour étreindre à
la fois tous ses adversaires, le chevalier ne pouvait songer qu’à
Castel-Rajac. Mme de Chevreuse était trop grande dame pour
qu’il osât s’attaquer à elle. Quant au signor Capeloni, il avait
disparu.
Il prit pension dans une auberge qu’il connaissait bien, et
décida de s’y établir quelque temps, afin de voir venir les
événements.
En guise de représailles, le cardinal se contenta de prier la
duchesse de s’éloigner de nouveau de la cour, qu’elle s’était
empressée de rallier dès son retour de Gascogne, autant pour
revoir son illustre amie que pour lui donner des nouvelles de
l’enfant confié à sa garde.
La reine avait donc appris comment son fils, adopté par un
gentilhomme aussi brave que loyal, serait élevé par ses soins et
sous son nom.
Avant que le ministre ait pris la décision d’exiler une fois
de plus Marie de Rohan, elle avait eu le temps de causer
longuement avec Anne d’Autriche, et de lui prodiguer les plus
judicieux conseils.
– Madame, lui dit-elle, alors que les deux femmes, dans le
cabinet de la reine, causaient familièrement, tout ce qui s’est
passé est bel et bon, mais cet enfant ne pourra régner un jour.
– Hélas ! ma mie ! je le sais ! répondit Anne d’Autriche, et
c’est bien ce qui me désespère, car mes ennemis disent déjà qu’il
serait préférable de me répudier si je ne puis donner d’enfant à
la couronne de France.
La duchesse s’emporta.
– Voilà une plaisante histoire ! Si Sa Majesté voulait bien
montrer plus… d’empressement… S’il y a un coupable, ce n’est
certainement pas vous !
Les deux femmes ne purent retenir un éclat de rire en
pensant au poupon resté en Gascogne.
– Richelieu me hait, reprit la reine, et serait heureux de me
voir en disgrâce…
Marie de Rohan avait aussi de bonnes raisons pour ne
point porter dans son coeur celui qu’on nommait « l’homme
rouge. »
– C’est un être de ténèbres et d’intrigues…, reprit-elle
pensivement. Madame, il faut absolument que vous donniez un
héritier au roi…
– Mais comment, ma chère ? Tu sais que mon époux se
targue d’être appelé « le Chaste »…
La duchesse eut un petit clin d’oeil malicieux.
– Bah ! laissez-moi faire… Il faudra bien qu’il cède à la
raison d’État !
Elle pencha sa jolie tête vers son amie, et, longtemps, les
deux jeunes femmes complotèrent…
À quelques jours de là, une grande chasse fut décidée dans
la forêt de Saint-Germain.
Louis XIII était un passionné de ce divertissement. Toute
la cour s’y rendit, et bien entendu, Anne d’Autriche,
accompagnée de Mme de Chevreuse.
Toutes les deux montaient merveilleusement à cheval. La
chasse déroula ses péripéties habituelles jusqu’au soir. Louis
XIII, habituellement triste et perpétuellement ennuyé, se dérida
et fut d’une humeur charmante toute la journée.
Lorsque le soir tomba, il se trouva isolé du gros de la
troupe, dans un sentier écarté, avec M. de Senlis comme seul
compagnon.
– Ma foi ! Monsieur, dit le roi en piquant des deux, j’ai
l’impression que nous voici égarés.
– Et la nuit tombe, ce qui ne facilitera pas notre chemin,
reprit M. de Senlis.
– Entendez-vous des sonneries de trompe ?
– Nullement, Majesté. Mais ce que je vois fort bien, ce sont
de gros nuages noirs qui nous font présager un orage.
– Vous avez raison, palsambleu ! Pressons le pas, sinon,
nous risquons d’être pris dans la tempête.
M. de Senlis jeta un regard vers les nuées qui accouraient
de toutes parts, formant un épais rideau sombre, et un sourire
malicieux souleva sa fine moustache.
– Par la barbe du Père Éternel ! murmura-t-il, si nous
étions de connivence avec le Ciel, celui-ci ne pourrait se montrer
plus propice !
Ils galopèrent un moment en silence. Mais toujours les
arbres, les buissons… et le grand silence forestier.
– Allons ! fit le roi avec découragement, je crois qu’il nous
faudra coucher ici !
– Attendez donc, Majesté… fit tout à coup Senlis, feignant
de se reconnaître soudain. Il me semble que… mais oui…
– Que voulez-vous dire, Monsieur ?
– Si mes souvenirs sont exacts. Sire, nous nous trouvons
tout près d’un pavillon de chasse, où du moins, nous pourrons
nous reposer un peu et laisser passer l’orage…
– Ce serait parfait ! s’écria Louis. Où est donc ce
bienheureux pavillon ?
La nuit était venue, complètement, et noire comme de
l’encre.
– Il me semble que nous devons suivre ce chemin, Sire, et
aussitôt passé le tournant, nous l’apercevrons, si toutefois le
diable ne nous jette pas de la poix dans les yeux.
– Allons !
Ils se remirent en route. Dès le tournant franchi, une masse
sombre se profila. Une lueur brillait à travers les vitres d’une
fenêtre.
– Tiens ! s’écria Sentis, feignant l’étonnement. Je crois que
quelqu’un s’est trouvé dans notre cas !
– Espérons que le premier occupant voudra bien nous
donner l’hospitalité.
Senlis sauta à bas de son cheval et heurta l’huis du
pommeau de son épée.
– Qui est là ? dit une voix de femme.
– Le Roi !
La porte s’ouvrit aussitôt, et la figure spirituelle de Marie
de Rohan parut.
– Quoi, Madame la duchesse, c’est vous qui aviez choisi ce
refuge ? s’écria Senlis.
– Je ne suis pas seule, monsieur le comte ! Sa Majesté est
avec moi…
Anne d’Autriche parut à son tour.
– Madame, dit Senlis en s’inclinant profondément, Sa
Majesté s’est égarée dans le bois avec moi, et fuyant l’orage,
nous sommes venus jusqu’ici…
– Soyez les bienvenus ! dit gracieusement la reine. Nous
allions précisément souper. Marie et moi… Voulez-vous
partager notre modeste repas ?
Le dîner était délicat, la chère abondante et choisie, les vins
généreux. Louis XIII, affamé par la longue course fournie, but et
mangea avec l’entrain d’un vieux routier. Senlis et
Mme de Chevreuse furent étincelants d’esprit. Anne d’Autriche
leur donna la réplique. Ce fut un souper fin comme le roi n’en
avait pas encore connu. Lui-même se sentait tout autre, dans
cette atmosphère légère et pétillante comme le vin qu’on lui
servait généreusement. Un grand feu de bois flambait dans la
cheminée. Dehors, de larges gouttes de pluie claquaient sur le
toit moussu…
Cependant, l’heure s’avançait. Au loin, les grondements de
l’orage s’éloignaient. Senlis se leva.
– Sire, dit-il en s’inclinant, permettez-moi maintenant de
prendre congé.
– Hé ! quoi ! Senlis, vous ne restez pas ? Vous allez vous
perdre, mon pauvre ami !
Un imperceptible sourire erra sur ses lèvres.
– Ma bonne étoile me guidera. Sire ! Mais je dois avertir au
château que vous avez trouvé refuge ici, avec Sa Majesté, sinon,
on s’inquiétera…
Marie de Rohan s’inclina à son tour.
– Que Vos Majestés me donnent le même congé… Je
regagne aussi Saint-Germain…
– Madame, dit le roi, je ne peux autoriser ce départ, la nuit,
par ce temps exécrable… Attendez le jour ici…
Une lueur espiègle fit briller les yeux de la belle duchesse.
– Que Votre Majesté me pardonne ! Mais comme il n’y a
céans qu’une seule couche…
Une rougeur soudaine parut sur les joues de Louis XIII
tandis qu’un vif embarras se peignait sur son visage. Mais Marie
ne lui laissa pas le temps de réfléchir.
– Je suis infiniment reconnaissante à Votre Majesté de sa
sollicitude… Mais sous la protection de M. de Senlis, je ne
risquerai rien…
– Allez donc, et que Dieu vous garde ! soupira le roi, peutêtre
moins fâché qu’il voulait le laisser paraître de ce tête-à-tête
forcé.
La duchesse et le comte de Senlis remontèrent à cheval.
Puis la porte du pavillon se referma sur le couple royal…
Les deux cavaliers piquèrent des deux malgré l’obscurité.
Ce fut sans une hésitation que le gentilhomme s’orienta et se
dirigea vers le château où la Cour avait élu domicile.
Lorsqu’ils furent en vue de la splendide terrasse qui
domine toute la vallée de la Seine, ils ralentirent le train. La
duchesse de Chevreuse se tourna vers son compagnon.
– Monsieur de Senlis, dit-elle, vous avez accompli votre
rôle à la perfection. La reconnaissance de la reine et la mienne
vous sont acquises…
– Ah ! Madame ! fit-il en se rapprochant de la jeune
femme, serez-vous cette nuit plus cruelle que Sa Majesté pour
notre Roi ?
Marie éclata de rire.
– Doucement, monsieur le comte ! La question de la
postérité royale n’est pas en jeu entre nous, que je sache ! Nous
en reparlerons…
Mais l’ordre du cardinal-ministre parvint à la duchesse de
Chevreuse avant qu’elle ait eu le temps d’entamer un autre
entretien à ce sujet avec son galant complice. Elle dut regagner
ses terres, maudissant une fois de plus l’omnipotence de
Richelieu.
Neuf mois plus tard, le héraut royal annonçait la naissance
d’un enfant du sexe masculin du nom de Louis, et surnommé
« Dieudonné » tant l’impatience et le désir de sa venue furent
grands.
Depuis quelque temps déjà, M. de Senlis avait obtenu un
brevet de colonel dans la garde royale, à l’instigation de la reine
Anne d’Autriche…
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire