jeudi 6 décembre 2012
L'HOMME AU MASQUE DE FER: DEUXIEME PARTIE: Chapitre II: MARIE DE ROHAN PART POUR UN AGRÉABLE EXIL
Par un beau matin tout poudré de poussière d’or, un de ces
matins parisiens où l’automne s’alanguit sur les berges de la
Seine, le carrosse de la duchesse de Chevreuse quitta une
nouvelle fois la capitale pour l’exil.
À vrai dire, la jeune femme n’était pas trop inquiète, elle
savait bien que sa disgrâce ne serait pas éternelle, car sa royale
amie emploierait toute son influence pour la faire revenir plus
tôt.
L’escorte de la noble dame galopait autour d’elle, sans
s’apercevoir que derrière, à une distance respectueuse, un
cavalier, emmitouflé dans un manteau gris, suivait la même
route. D’ailleurs, le chemin du Roi était à tout le monde, et ce
voyageur ne pouvait leur inspirer aucun soupçon.
Apprenant le départ de Mme de Chevreuse, Durbec s’était
dit qu’il n’aurait jamais meilleure occasion de retrouver la piste
de Castel-Rajac et celle de l’enfant.
Sa haine couvait encore n’attendant qu’un hasard favorable
pour s’assouvir. Il n’avait pas oublié le coup d’épée du chevalier.
Le voyage fut sans histoire. Trottant le jour, s’arrêtant la
nuit, l’équipage de la duchesse, par étapes successives, ne tarda
pas à gagner le village de Saint-Marcelin. On fit halte au Faisan
d’Or.
Bien entendu, quelques instants après, Durbec, le plus
discrètement possible, demandait à son tour une chambre.
Mais, à l’étonnement du chevalier, le lendemain, il n’y eut
point d’ordre de départ.
– Ho ! ho ! grommela Durbec. Est-ce que par hasard, ma
bonne étoile me favoriserait plus tôt que je ne le pense, et
verrais-je arriver notre cher Gascon ?
Mme Lopion, la brave hôtelière, se souvenait bien de la
dame qui accompagnait Castel-Rajac et l’enfant, lors de leur
premier voyage. Elle ne vit pas sans défiance survenir la belle
inconnue. La malheureuse aubergiste se rappelait encore
l’incursion des gardes du cardinal et le beau tapage qui en était
résulté.
Ses craintes ne furent pas diminuées, lorsqu’à la brune, elle
vit arriver à francs étriers un cavalier dont le chapeau était
rabattu sur les yeux, ce qui ne l’empêcha point de reconnaître
Castel-Rajac !
– Bonne Sainte Mère ! murmura la bonne femme en se
signant plusieurs fois. Pour sûr qu’il va y avoir encore du
grabuge !
Marie de Rohan, dès qu’elle avait su son ordre d’exil,
n’avait rien eu de plus pressé que d’envoyer un courrier en
porter la nouvelle à son amant, qui s’était réfugié sur la frontière
espagnole, au petit village de Bidarray, avec l’enfant et ses deux
inséparables compagnons, Laparède et Assignac.
Il avait été convenu que le Gascon retrouverait sa maîtresse
à Saint-Marcelin, et là, l’escorterait jusqu’à leur nouvelle
résidence, afin qu’elle voie l’enfant et puisse, à son retour à
Paris, en porter des nouvelles à la mère.
Les deux jeunes gens se retrouvèrent avec joie. Castel-
Rajac était sincèrement épris de cette gracieuse femme, aussi
spirituelle que jolie. Quant à la duchesse, elle s’était laissé
prendre aux yeux noirs et à la mine conquérante du cadet de
Gascogne, et ces retrouvailles allégeaient beaucoup pour elle les
tristesses de l’exil.
Mais quelqu’un d’autre que la brave Mme Lopion avait aussi
reconnu Castel-Rajac. C’était Durbec, à l’affût derrière la
jalousie de sa chambre.
– C’est bien ce que je pensais ! murmura-t-il. Décidément,
le sort me favorise ! J’espère que cette fois, le cardinal sera
content !
Les deux amants étaient loin de se douter qu’ils étaient
épiés et suivis de la sorte. Ils se livraient à toute la joie de s’être
retrouvés sans arrière-pensée.
– Chère Marie ! dit Castel-Rajac en enveloppant d’un geste
caressant l’épaule de sa maîtresse, quel profond bonheur est
pour moi notre réunion ! Pardonnez-moi mon égoïsme, mais je
bénis la rigueur du cardinal, qui, par votre disgrâce, vous a
rapprochée de moi !
– Fi chevalier ! s’écria Marie en riant. Je devrais vous en
vouloir pour cette parole ! Vous vous réjouissez de mon
malheur !
– M’en voulez-vous vraiment beaucoup ? demanda
tendrement le Gascon en se rapprochant encore de la duchesse.
Il la contemplait, et dans les yeux noirs du jeune homme
brillait le feu d’une telle passion, que Mme de Chevreuse,
troublée, balbutia :
– Comment puis-je vous en vouloir…
Elle n’acheva pas sa phrase. Castel-Rajac l’avait saisie et
l’embrassait avec emportement.
Il la lâcha avec autant de brusquerie qu’il l’avait prise. La
porte s’ouvrait, et Mme Lopion, qui apportait le dîner, entra.
– Excusez-moi…, commença la brave femme. J’ai frappé
trois fois…
– Oui, oui, dit Marie… Cela n’a pas d’importance… Posez
les plats…
L’aubergiste prépara la table, dans la chambre de Marie, où
celle-ci avait prié qu’on la serve, et disparut comme une ombre.
Lorsqu’elle fut sortie, ils ne purent s’empêcher de rire.
– Pauvre femme ! dit Castel-Rajac. Elle semblait toute
confuse. Bah ! je suis certain que cela ne l’empêche pas
maintenant d’écouter à la porte…
Il se leva et, sur la pointe des pieds, ouvrit le battant.
– Oh ! monsieur le chevalier ! s’écria Mme Lopion, rouge
comme le ruban qui ornait sa guimpe, j’allais justement vous
demander si vous aviez encore besoin de mes services…
– Non, non, madame Lopion, rassurez-vous ! fit le Gascon
qui riait sous cape. Vous nous avez apporté tout ce qu’il nous
faut, et maintenant, nous ne désirons plus que la tranquillité…
Gaëtan vint de nouveau s’asseoir sur un petit tabouret, aux
pieds de sa dame. Celle-ci passa sa main, blanche et fine, aux
doigts parfumés, dans la chevelure du jeune homme.
– Çà, mon beau chevalier, fit-elle, badine, avez-vous un peu
rêvé à moi ?
– Si j’ai rêvé à vous, capédédiou ! s’écria-t-il. Je peux dire,
que nuit et jour, votre pensée ne m’a pas quitté…
Il s’arrêta pour baiser avec passion les mains qu’on lui
abandonnait.
– Mon plus vif désir est de vous voir rester ici le plus
longtemps possible… Vous verrez commet notre village est beau
et pittoresque ! On croit habiter le bout du monde… Plus rien,
que la nature devant soi… Vous oublierez Paris, duchesse !
Mme de Chevreuse eut un fugitif sourire.
– Je ne sais trop… Je n’ose vous le promettre… Des devoirs
aussi m’attachent à la Cour, vous le savez bien…
Gaëtan se passa la main sur le front.
– Pardonnez-moi : je rêve encore ! je suis fou… Mais
qu’importe ! Je vous ai pour quelques jours ; ce répit me semble
si beau que j’ose à peine y croire… Laissez-moi l’illusion qu’il est
éternel !
– Enfant ! murmura-t-elle.
– Marie… Je vous aime…
Elle retira son bras, dont il s’était emparé.
– Chut ! soyez sage ! Avant, parlez-moi d’Henry…
– Il est charmant… Il est confié à une nourrice basque, qui
en prend soin comme si c’était son propre enfant. Vous serez
fière de moi lorsque vous le verrez !
– Vous ressemble-t-il déjà ? interrogea-t-elle
malicieusement.
Ils éclatèrent de rire.
– Ce serait bien là le miracle du Saint-Esprit ! s’écria
Gaëtan. Non… Il ressemblerait plutôt… au signor Capeloni…
– Chut ! murmura la duchesse, effrayée, en mettant un
doigt sur ses lèvres. Voilà une imprudente parole, chevalier !
Mme de Chevreuse ne croyait pas encore si bien dire. Car,
derrière le vantail de la porte du couloir, un homme, courbé,
tenait son oreille collée et ne perdait pas une syllabe de la
conversation.
– Oh ! oh ! fit-il pour lui-même en se redressant. Voilà une
indication intéressante ! Après tout, c’est bien possible ! Voyezmoi
ce faquin de Mazarini !
Il se retira sur la pointe des pieds, laissant les amants à leur
tête-à-tête. Il en savait assez pour ce soir-là.
Comme il l’avait prévu, dès le lendemain matin, on se remit
en route, au grand soulagement de Mme Lopion, qui croyait à
chaque instant voir surgir les gardes du cardinal-ministre et
recommencer une bataille comme celle à laquelle elle avait déjà
assisté.
Castel-Rajac chevauchait à côté du carrosse de sa bienaimée,
et tout en marchant, ils réussissaient à échanger
quelques mots. Ils se sentaient l’un et l’autre parfaitement
heureux. Jamais Richelieu n’avait imaginé, pour celle qu’il
espérait punir, une pénitence aussi agréable !
Mais comme un rappel de l’homme rouge qui, de son aire,
les surveillait encore, Durbec, derrière l’escorte, les suivait
comme leur ombre, guidé par l’intérêt qui le liait au service du
cardinal et par sa haine personnelle.
Bientôt, le paysage changea. Après la plaine de Gascogne,
apparurent les premiers contreforts des montagnes
pyrénéennes.
D’un geste, Castel-Rajac les montra à Marie.
– Voyez ! s’écria-t-il. C’est au milieu de cette nature
sauvage que notre filleul est élevé. L’air des montagnes lui fera
des muscles forts et un coeur intrépide…
Marie sourit.
– Dites aussi votre éducation et votre exemple, ami ! Je ne
doute pas que notre cher Henry ne soit aussi un jour un
gentilhomme accompli.
Lorsqu’ils arrivèrent à Bidarray, la jeune femme put se
convaincre que le cadre était en effet idéal.
C’était un tout petit village, dominé par une vieille
gentilhommière qui appartenait à une tante d’Hector
d’Assignac, laquelle avait eu le bon esprit de mourir afin de
laisser son manoir à son neveu.
Il était perché à l’avant d’un rocher faisant éperon, et
dominant toute une verdoyante vallée, au fond de laquelle
mugissait un torrent. Les maisons des paysans s’accrochaient au
petit bonheur à la pierre, et les champs dégringolaient de
terrasse en terrasse coupés çà et là de boqueteaux. Des
troupeaux de chèvres faisaient tinter leurs clochettes ; par
instant, l’aboi bref du chien qui les gardait se répercutait au loin
dans le vallon. Le soleil peignait d’or les flancs de la montagne,
et irradiait les vitres du vieux castel. En face, l’autre versant se
teignait de pourpre et de violet comme une robe cardinalice.
Très haut, dans le ciel, tournoyait un oiseau de proie… Et l’air
était si pur, le ciel était si bleu, que Marie, suffoquée de plaisir,
comprit maintenant pourquoi le jeune homme lui avait dit :
« Vous oublierez Paris… »
Immobile, les narines frémissantes, la duchesse regardait
ce prestigieux spectacle, ne pouvant s’en arracher. Il fallut que
Gaëtan, doucement, lui murmure :
– Marie… Ne voulez-vous point voir le petit ?
La jeune femme tressaillit. Puis, s’arrachant à cette vision
magique, elle se détourna.
– Vous avez raison, mon ami. Menez-moi vers lui !
Elle ne remonta point dans son carrosse, qu’elle avait
quitté pour mieux contempler le splendide paysage. Elle voulut
aller à pied jusqu’au château, dont la grande porte était ouverte
à deux battants sur la cour intérieure.
– Prenez mon bras, ma chère Marie ! murmura Castel-
Rajac.
Soutenant la jeune femme, dont les pieds délicats
s’accommodaient mal des rudes galets des Pyrénées, ils
arrivèrent au pont-levis et entrèrent dans la grande cour.
Des poules, des oies, picoraient, jusqu’entre les pattes d’un
gros chien noir et feu, qui les laissait faire. Un homme s’avança
à leur rencontre, et salua Marie jusqu’à terre. C’était Henri de
Laparède.
– Où donc est monsieur d’Assignac ? interrogea
gracieusement la duchesse.
Laparède eut un sourire.
– Par ma foi, madame, venez donc avec moi, si cela vous
plaît ; je vous le montrerai…
Ils s’approchèrent du grand perron et le gravirent.
– Serait-il malade ? questionna Mme de Chevreuse, avec
sollicitude, inquiète de ne pas avoir vu leur hôte.
– C’est, en tout cas, une maladie sans gravité, répondit
Laparède.
Castel-Rajac devait savoir à quoi s’en tenir, car il souriait
silencieusement.
Laparède ouvrit une porte.
Une nourrice était assise près d’un berceau. Dans celui-ci,
un ravissant bébé riait aux anges. Et devant, le gros d’Assignac
faisait mille pitreries pour distraire le fils adoptif de son ami
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