Pour la première fois de ma vie, je sors faire du jogging volontairement. Je déterre des
mochetés de baskets que je n'ai jamais portées, un pantalon de survêt et un tee-shirt, je
me fais des couettes en rougissant des souvenirs qu'elles évoquent, et je prends mon iPod.
Impossible de rester assise une minute de plus devant cette merveille de la technologie à
lire des trucs aussi dérangeants. Je suis trop agitée : je dois brûler de l'énergie. À vrai dire,
j'aurais même envie de courir jusqu'à l'hôtel Heathman pour exiger de me faire baiser par
le maniaque du contrôle. Mais c'est à huit kilomètres de chez moi et je doute de pouvoir en
parcourir ne serait-ce qu'un seul. En plus, il serait capable de refuser, ce qui serait
affreusement humiliant.
Kate sort de sa voiture alors que je franchis la porte. Elle manque de laisser choir ses
courses en me voyant. Ana Steele en chaussures de sport ? Je la salue d'un signe sans
m'arrêter pour subir son inquisition. Il faut que je sois seule. Snow Patrol dans les oreilles,
je m'éloigne dans le crépuscule opale et aigue-marine.
Que faire ? Je le veux, mais dans les conditions qu'il m'impose ? Pas si sûr. Je devrais
peut-être éplucher ce contrat ridicule ligne à ligne pour en négocier les termes. D'après
mon enquête, il n'a aucune valeur juridique. Christian doit le savoir. Je suppose qu'il s'agit
simplement d'établir les paramètres de la relation, ce que je peux attendre de lui et ce qu'il
attend de moi -ma soumission totale. Suis-je prête à la lui accorder ? En suis-je seulement
capable ?
Une question me taraude - pourquoi est’il tel qu'il est ? Est-ce parce qu'il a été séduit
très jeune ? Ça reste une énigme pour moi.
Je m'arrête à côté d'un grand épicéa et j'appuie les mains sur mes genoux pour
reprendre mon souffle. Que c'est bon... purificateur. Je sens ma résolution se durcir. Oui.
Je dois lui préciser ce qui me convient et ce qui ne me convient pas ; lui faire part de mes
remarques par mail, pour que nous en discutions mercredi. J'aspire une grande bouffée
d'air pour me nettoyer les poumons et je retourne à l'appartement au petit trot.
Kate a fait son shopping pour ses vacances aux Bermudes : bikinis et paréos assortis.
Avec sa silhouette mince et pulpeuse, elle sera forcément superbe dans tout ça, mais elle
tient à me faire un défilé de mode. Il n'y a pas trente-six façons de dire « Tu es canon, Kate
». Elle ne fait pas exprès de me complexer, je sais, mais je finis par traîner mes pauvres
fesses en sueur dans ma chambre sous prétexte de faire des cartons. Le moins qu'on
puisse dire, c'est qu'après avoir vu Katherine Kavanagh en bikini, je ne pas me sens à la
hauteur. J'ai pris ma merveille de la technologie avec moi. Je la pose sur mon bureau pour
envoyer un mail à Christian.
De : Anastasia Steele
Objet : Choquée
Date : 23 mai 2011 20:33 A : Christian Grey
Cinquante Nuances de Grey
121
D'accord, j'en ai assez vu.
Ciao, c'était sympa de faire ta connaissance.
Ana
Je clique sur « envoyer », ravie de ma petite plaisanterie. La trouvera-t-il drôle ? Et
merde - sans doute pas. Christian Grey n'est pas réputé pour son sens de l'humour. Mais
je sais qu'il existe, j'en ai eu la preuve. Tout de même... j'ai peut-être un peu poussé.
J'attends sa réponse.
Et j'attends... et j'attends. Je consulte mon réveil. Dix minutes se sont écoulées.
Pour me distraire de l'angoisse qui me noue les tripes, je commence à fourrer mes livres
dans un carton. À 21 heures, toujours pas de nouvelles. Il est peut-être sorti. Je mets mes
écouteurs pour écouter Snow Patrol, et m'assieds pour relire le contrat et noter mes
commentaires.
Je ne sais pas pourquoi je lève les yeux ; je décèle peut-être un léger mouvement du
coin de l'oeil... Il est debout à la porte de ma chambre, dans son pantalon en flanelle grise
et sa chemise en lin blanc, et il fait tournoyer doucement ses clés de voiture. Je retire mes
écouteurs, tétanisée. Merde alors !
— Bonsoir, Anastasia.
Sa voix est froide, son expression impénétrable. Je suis incapable de prononcer un mot.
J'en veux à Kate de l'avoir laissé entrer sans m'avertir. Je suis vaguement consciente d'être
toujours en tenue de jogging, pas douchée, dégueulasse, alors qu'il est délicieusement
appétissant avec son pantalon qui lui fait ce truc affriolant aux hanches, et qui plus est, il
est ici, dans ma chambre.
— Je me suis dit que votre mail méritait qu'on y réponde en personne, m'explique-t-il
sèchement.
J'ouvre la bouche et je la referme à deux reprises. Ma plaisanterie s'est retournée contre
moi. Ni dans cet univers ni dans aucun univers parallèle je ne m'attendais qu'il laisse tout
tomber pour débarquer chez moi.
— Je peux m'asseoir ?
Il a une petite étincelle d'humour dans les yeux maintenant - Dieu merci, il va peut-être
trouver ça drôle ?
Je hoche la tête. La capacité de parler m'échappe toujours. Christian Grey est assis sur
mon lit.
— Je me demandais à quoi ressemblait ta chambre. Je regarde autour de moi comme
pour chercher une issue de secours. Non, il n'y a toujours qu'une porte et une fenêtre. Ma
chambre est fonctionnelle mais douillette avec ses meubles en rotin blanc et son lit double
en fer forgé blanc recouvert d'un édredon en patchwork bleu ciel et blanc confectionné par
ma mère durant sa période artisanat folklorique américain.
— C'est très serein et paisible, ici, murmure-t-il. Pas pour l'instant... pas quand tu es là.
Mon bulbe rachidien retrouve enfin ses fonctions. Je souffle :
— Comment... ? Il me sourit.
— Je suis toujours à l'hôtel Heathman. Je le savais. Ma politesse prend le pas :
— Tu veux boire quelque chose ?
— Non merci, Anastasia.
Il m'adresse un petit sourire en coin en penchant légèrement la tête sur son épaule. Moi,
en tout cas, j'en ai besoin.
— Alors comme ça, c'était sympa de faire ma connaissance ?
Oh la vache, l'aurais-je insulté ? Je regarde mes doigts. Comment vais-je m'en sortir ? Si
je lui dis que c'était une blague, ça ne va pas l'impressionner.
— Je pensais que tu répondrais par mail, dis-je d'une petite voix pathétique.
— Tu la mordilles exprès, ta lèvre ? me demande-t-il, l'air sombre.
Je cligne des yeux en lâchant ma lèvre.
— Je ne me rendais pas compte.
J'ai le coeur qui bat. Ce délicieux courant qui passe toujours entre nous charge la pièce
d'électricité statique. Assis près de moi, il se penche pour défaire l'une de mes couettes et
libère mes cheveux. Hypnotisée, je suis des yeux la main qui se tend vers ma deuxième
couette. Il tire sur l'élastique et démêle la mèche de ses longs doigts experts.
— Alors tu as décidé de te mettre au sport ? souffle-t-il d'une voix mélodieuse.
Ses doigts calent mes cheveux derrière mes oreilles.
— Pourquoi, Anastasia ?
Ses doigts encerclent mon oreille et très doucement, régulièrement, il tire sur le lobe.
C'est terriblement érotique.
— J'avais besoin de réfléchir.
Je suis hypnotisée comme un lapin par des phares, un papillon par une flamme, un
oiseau par un serpent... il sait exactement ce qu'il est en train de me faire.
— Réfléchir à quoi, Anastasia ?
— À toi.
— Et tu as décidé que ça avait été sympa de faire ma connaissance ? Tu l'entends au
sens biblique ?
Je m'empourpre.
— Je ne savais pas que tu connaissais la Bible.
— J'ai suivi des cours de catéchisme, Anastasia. J'y ai beaucoup appris.
— Si mes souvenirs sont bons, il n'est pas question de pinces à seins dans la Bible. Ou
alors, tu l'as lue dans une traduction plus moderne que moi.
Il esquisse un sourire. Je suis fascinée par sa bouche.
— En tout cas, je suis venu te rappeler à quel point c'était sympa de faire ma
connaissance.
Merde alors. Je le regarde fixement, bouche bée, tandis que ses doigts passent de mon
oreille à mon menton.
— Qu'en dites-vous, mademoiselle Steele ?
Son regard de braise me met au défi. Ses lèvres s'entrouvrent - il attend, prêt à bondir
sur sa proie. Un désir aigu, liquide, torride, me brûle au creux du ventre. Optant pour
l'attaque préventive, je me jette sur lui. Je ne sais comment, en un clin d'oeil il me cloue au
lit, les bras allongés au-dessus de la tête ; de sa main libre, il m'attrape le visage ; sa
bouche trouve ma bouche.
Sa langue s'empare de la mienne, et je me délecte de sa force. Je le sens du haut en bas
de mon corps. Ça m'excite qu'il me désire. Moi. Pas Kate avec ses petits bikinis, pas l'une
des quinze, pas la cruelle Mrs Robinson. Moi. Cet homme magnifique me désire. Ma déesse
intérieure est tellement incandescente qu'elle pourrait illuminer Portland. Il s'arrête de
m'embrasser et, quand j'ouvre les yeux, je constate qu'il me regarde.
— Tu me fais confiance ?
J'acquiesce, les yeux écarquillés, le coeur affolé, le sang qui bouillonne dans mes veines.
Il tire de sa poche de pantalon sa cravate en soie gris argent... la cravate en soie tissée
qui a laissé ses empreintes sur ma peau. Il me chevauche pour ligoter mes poignets mais
cette fois, il attache l'autre bout de la cravate à la tête de lit en fer forgé. Il tire sur le lien
pour s'assurer qu'il est solide. Je ne m'échapperai pas. Je suis ligotée à mon propre lit et
ça m'excite comme une dingue.
Il se relève et, debout à côté du lit, il me toise, l'oeil assombri par le désir, l'air à la fois
triomphant et soulagé.
— Voilà qui est mieux, murmure-t-il avec un sourire cruel et avisé.
Il commence à délacer l'une de mes baskets. Non... non... pas mes pieds. Non. Je viens
de faire un jogging.
— Non !
Je proteste en tentant de l'éloigner d'un coup de pied. Il s'arrête.
— Si tu te débats, je te ligote aussi les chevilles. Si tu fais un seul bruit, Anastasia, je te
bâillonne. Tais-toi. Katherine est sans doute en train d'écouter à la porte en ce moment.
Me bâillonner ? Kate ? Je me tais.
Il me retire mes chaussures et mes chaussettes et me débarrasse lentement de mon
pantalon de survêt. Aïe ! Je porte quoi, comme petite culotte ? Il me soulève pour retirer
l'édredon et me repose sur les draps.
— Bon, alors, dit’il en se léchant lentement les lèvres. Tu te mordilles encore, Anastasia.
Tu sais l'effet que ça me fait.
Il pose un index sur ma bouche en guise d'avertissement.
Oh mon Dieu. Allongée, impuissante, j'arrive à peine à me contenir. Le regarder se
mouvoir gracieusement dans ma chambre est un aphrodisiaque puissant. Lentement, en
prenant tout son temps, il retire ses chaussures et ses chaussettes, défait sa ceinture et
passe sa chemise par-dessus sa tête.
— Je crois que tu en as assez vu.
Avec un petit rire entendu, il me chevauche de nouveau et remonte mon tee-shirt ; je
crois qu'il va le retirer, mais il le passe sur ma tête de façon à dégager mon nez et ma
bouche tout en recouvrant mes yeux. Je n'arrive pas à voir à travers.
— Hum... De mieux en mieux. Bon, je vais aller chercher à boire.
Il se penche pour m'embrasser tendrement, je le sens se relever, puis j'entends grincer la
porte de ma chambre. Chercher à boire... Où ? Ici ? À Portland ? À Seattle ? Tendant
l'oreille, je perçois des voix assourdies. Il parle à Kate. Aïe ! Il est pratiquement nu. Que vat-
elle dire de ça ? J'entends un petit « pop ». C'est quoi ? La porte grince de nouveau, ses
pieds nus font craquer le parquet de ma chambre, des glaçons tintent dans un verre. Un
verre de quoi ? Il referme la porte et je l'entends retirer son pantalon. Je sais qu'il est nu. Il
me chevauche de nouveau.
— Tu as soif, Anastasia ? me taquine-t-il.
— Oui.
Tout d'un coup, j'ai la bouche desséchée.
Lorsqu'il m'embrasse, sa bouche déverse un liquide délicieux et frais dans ma bouche.
Du vin blanc. C'est tellement inattendu, tellement chaud, même si le vin est frappé et les
lèvres de Christian, fraîches...
— Encore ?
Je hoche la tête. Le vin est d'autant plus divin qu'il est passé par sa bouche. Il se
penche et je bois une nouvelle gorgée à ses lèvres... oh mon Dieu.
— Assez. On sait que tu tiens mal l'alcool, Anastasia. Je ne peux pas m'empêcher de
sourire ; il me passe une autre gorgée de vin, puis s'allonge à côté de moi. Je sens son
érection contre ma hanche. Je le veux en moi.
— Et ça, c'est sympa ?
Sa voix est tendue. Je me tends à mon tour. Il dépose un petit glaçon dans ma bouche
avec un peu de vin. Lentement, sans se presser, il fait courir un collier de baisers glacés
jusqu'à la base de ma gorge, puis entre nies seins, le long de ma poitrine et jusqu'à mon
ventre. Il crache un glaçon dans mon nombril avec une petite flaque de vin blanc frais qui
me brûle jusqu'au fond du ventre. Waouh.
— Maintenant, ne bouge plus, chuchote-t-il. Si tu bouges, Anastasia, tu vas renverser
du vin sur le lit.
Mes hanches ondulent automatiquement.
— Non ! Si vous renversez du vin, je vous punirai, mademoiselle Steele.
Je geins en luttant désespérément contre l'envie de remuer mes hanches, je tire sur mes
liens... Non... par pitié.
D'un doigt, il rabat l'un après l'autre les bonnets de mon soutien-gorge. Mes seins se
dressent, exposés, vulnérables. Ses lèvres froides tirent sur les pointes. Je résiste à mon
envie de me cambrer vers lui.
— Et ça, c'est sympa ?
Il souffle sur mon sein. Je sens un glaçon sur mon téton droit tandis qu'il tire sur le
gauche avec ses lèvres. Je gémis en m'efforçant de ne pas bouger. C'est une torture atroce,
exquise.
— Si tu renverses du vin, je ne te laisserai pas jouir.
— Non... s'il te plaît... Christian... monsieur... s'il vous plaît.
Il me rend folle. Je devine qu'il sourit.
Le glaçon fond dans mon nombril. Je suis brûlante, glacée, avide. Avide de lui en moi.
Tout de suite.
Ses longs doigts parcourent mon ventre langoureusement. Ma peau est hypersensible,
mes hanches ondulent par réflexe, et le liquide, maintenant réchauffé, déborde de mon
nombril pour couler sur mon ventre. Christian le lape d'un coup de langue, m'embrasse,
me mordille, me suce.
— Mon Dieu, Anastasia, tu as bougé. Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
Je halète bruyamment. Je ne peux me concentrer que sur sa voix et ses caresses. Plus
rien n'est réel. Plus rien ne compte, plus rien ne s'enregistre sur mon radar. Ses doigts
glissent dans ma culotte.
— Ah, bébé, murmure-t-il en m'enfonçant deux doigts. Je pousse un petit cri.
— Tu mouilles tellement vite.
Il remue les doigts dans un lent va-et-vient émoustillant ; je vais à sa rencontre en
soulevant les hanches.
— Tu es une petite gourmande, me gronde-t-il. Son pouce encercle mon clitoris et
appuie dessus.
Je gémis tout haut tandis que mon corps se cabre sous ses caresses expertes. Il tend la
main pour passer mon tee-shirt par-dessus ma tête afin que je le voie. Je cligne des yeux
dans la lumière tamisée de ma lampe de chevet.
— J'ai envie de te toucher.
— Je sais.
Il se penche pour m'embrasser tout en continuant à remuer les doigts en moi pendant
que son pouce appuie sur mon clitoris en décrivant des cercles. De sa main libre, il
attrape mes cheveux pour maintenir ma tête. Sa langue fait écho aux mouvements de ses
doigts, prenant possession de moi. Mes jambes commencent à se raidir, je me pousse
contre sa main. Il ralentit, me ramenant du bord du gouffre, puis il recommence encore, et
encore... C'est tellement frustrant... Je t'en supplie, Christian.
— La voilà, ta punition. Si près et pourtant si loin... C'est sympa, ça ? me souffle-t-il à
l'oreille.
Je gémis, excédée, en tirant sur mes liens. Je suis à la merci de ce tourment érotique.
— S'il te plaît !
Il prend enfin pitié de moi.
— Comment vais-je te baiser, Anastasia ?
Oh... mon corps se met à frémir. Il s'immobilise de nouveau.
— S'il te plaît.
— Qu'est-ce que tu veux, Anastasia ?
— Toi... maintenant !
— Comment vais-je te baiser ? Le choix est infini, me souffle-t-il sur la bouche.
Il retire sa main pour prendre un sachet sur la table de chevet, s'agenouille entre mes
jambes et me retire très lentement ma culotte sans cesser de me regarder, les yeux
brillants. Il passe le préservatif. Je suis fascinée.
— Et ça, c'est sympa ? dit’il en se caressant.
— C'était une plaisanterie.
Baise-moi, je t'en supplie, Christian.
Il hausse un sourcil tandis que sa main remonte et redescend sur une érection d'une
longueur impressionnante.
— Une plaisanterie ? répète-t-il d'une voix doucement menaçante.
— Oui. Je t'en prie, Christian.
— Tu trouves ça drôle, maintenant ?
— Non !
Je suis une boule de tension sexuelle. Il me dévisage un moment pour évaluer mon
degré d'excitation, puis m'attrape tout d'un coup pour me retourner. Mes mains sont
encore ligotées ; je dois me soutenir en m'accoudant. Il repousse mes genoux pour me faire
dresser fesses en l'air, et il les claque, durement. Avant que je ne puisse réagir, il plonge
en moi. Je crie - à cause de la claque et de son assaut soudain - et je jouis
instantanément, m'effondrant sous lui tandis qu'il continue à me pilonner encore, et
encore, et encore... et puis ça remonte... non, ce n'est pas... non...
— Allez, Anastasia, encore, gronde-t-il à travers ses dents.
Et, incroyablement, mon corps répond, se convulsé autour de lui dans un nouvel
orgasme tandis que je crie son nom. Une fois de plus, j'explose en mille morceaux.
Christian se fige et se laisse aller en silence. Il s'effondre sur moi, le souffle court.
— Et ça, c'était sympa ? me demande-t-il, mâchoires serrées.
Oh mon Dieu.
Je gis sur le lit, essoufflée, épuisée, les yeux fermés, quand il se retire lentement de moi.
Il se lève aussitôt pour se rhabiller, avant de me détacher et de me retirer mon tee-shirt.
Je plie et déplie mes doigts, puis je me masse les poignets ; quand je découvre les
empreintes du tissu sur ma peau, je souris. Je rajuste mon soutien-gorge tandis qu'il
rabat le drap et l'édredon sur moi. Je le regarde, complètement sonnée, et je chuchote avec
un sourire timide :
— C'est vraiment sympa d'être venu me voir.
— Encore ce mot.
— Tu ne l'aimes pas ?
— Non. Pas du tout.
— Eh bien, en tout cas, il me semble qu'il aura eu des retombées bénéfiques.
— Non seulement je suis sympa, mais en plus je suis bénéfique ? Pourriez-vous blesser
un peu plus cruellement mon amour-propre, mademoiselle Steele ?
— Je ne crois pas que ton amour-propre puisse être blessé par quoi que ce soit.
Mais au moment où je prononce ces mots, je devine qu'ils sont faux - quelque chose
d'insaisissable me traverse l'esprit, une pensée fugace qui m'échappe avant que je n'aie pu
la saisir.
— Tu crois ?
Sa voix est douce. Il s'est allongé auprès de moi tout habillé, la tête appuyée sur son
bras accoudé. Je ne porte que mon soutien-gorge.
— Pourquoi n'aimes-tu pas être touché ?
— Je n'aime pas, c'est tout.
Il se penche pour poser un baiser sur mon front.
— Donc, ce mail, c'était une plaisanterie ?
Je souris d'un air contrit en haussant les épaules.
— Je vois. Et tu envisages toujours ma proposition ?
— Ta proposition indécente... oui. Mais ça me pose quelques problèmes.
Il me sourit, comme s'il était soulagé.
— Le contraire m'aurait étonné.
— J'allais t'envoyer un mail à ce sujet, mais tu m'as interrompue.
— Coitus interruptus.
Je souris.
— Tu vois, je savais que tu avais un sens de l'humour, même s'il est bien caché.
— Seulement à propos de certains sujets, Anastasia. J'ai cru que tu refusais, sans
discussion.
— Je ne sais pas encore. Je n'ai rien décidé. Tu vas me mettre une laisse ?
Il hausse les sourcils.
— Je vois que tu as fait ta petite enquête. Je ne sais pas, Anastasia, je n'ai jamais mis
de laisse à personne.
Ah... ça devrait m'étonner ? Je sais si peu de choses sur le milieu... Je ne sais pas.
— Et toi, on t'a mis une laisse ?
— Oui.
— Mrs Robinson ?
— Mrs Robinson !?
Il éclate d'un grand rire spontané : il a l'air tellement jeune et insouciant, la tête
renversée en arrière, que son rire me gagne.
— Je vais lui raconter ça, elle va adorer.
— Tu lui parles encore régulièrement ?
Je suis choquée.
— Oui.
Il est sérieux, maintenant. Quant à moi, je suis tout d'un coup folle de jalousie, et la
violence de ce sentiment me trouble.
— Je vois. Donc, toi, tu peux discuter de ton mode de vie alternatif avec quelqu'un, alors
que moi, je n'en ai pas le droit.
Il fronce les sourcils.
— Je n'y ai jamais songé sous cet angle. Mrs Robinson adhère à ce mode de vie. Je te l'ai
déjà dit, c'est une bonne amie, maintenant. Si tu veux, je peux te présenter à l'une de mes
anciennes soumises. Tu pourrais lui parler.
Quoi ? Il cherche à me blesser, là ?
— C'est à mon tour de te demander si tu plaisantes.
— Non, Anastasia. Perplexe, il secoue la tête.
— Pas la peine. Je me débrouillerai seule, merci.
Je tire l'édredon jusqu'à mon menton. Il me regarde, étonné.
— Anastasia, je...
Il ne sait plus quoi dire. Encore une première, sans doute.
— Je ne voulais pas t'offenser.
— Je ne suis pas offensée. Je suis consternée.
— Consternée ?
— Je ne veux pas parler à l'une de tes anciennes copines... esclaves... soumises... peu
importe comment tu les appelles.
— Anastasia Steele, seriez-vous jalouse, par hasard ? Je vire à l'écarlate.
— Tu restes ?
— Non. J'ai un petit déjeuner d'affaires demain matin au Heathman. En plus, je te l'ai
déjà dit, je ne dors pas avec mes copines, mes esclaves, mes soumises, ou qui que ce soit.
Vendredi et samedi, c'était exceptionnel. Ça ne se reproduira pas.
Sa voix est douce mais résolue. Je fais la moue.
— Bon, je suis fatiguée, maintenant.
— Tu me vires ?
Il hausse les sourcils, amusé et un peu déconcerté.
— Oui.
— Eh bien, encore une première. Donc tu ne veux pas discuter maintenant ? Au sujet
du contrat ?
— Non. Je boude.
— Mon Dieu, qu'est-ce que j'aimerais te flanquer une bonne fessée. Ça te ferait du bien,
et à moi aussi.
— Pas question... Je n'ai encore rien signé.
— On peut toujours rêver, Anastasia.
Il se penche pour m'attraper le menton.
— À mercredi ? murmure-t-il en me déposant un léger baiser sur les lèvres.
— À mercredi. Je te raccompagne. Une minute.
Je m'assieds et je le pousse pour attraper mon tee-shirt. Il se lève à contrecoeur.
— Passe-moi mon pantalon, s'il te plaît. Il le ramasse et me le tend.
— Oui madame, dit’il en tentant vainement de ravaler son sourire.
Je plisse les yeux en passant mon pantalon de survêt. J'ai la tignasse en bataille et je
sais que je devrai affronter l'inquisition de Katherine Kavanagh après le départ de
Christian. Attrapant un élastique, je m'avance vers la porte de la chambre et je l'entrouvre
pour voir si Kate est là. Je l'entends parler au téléphone dans sa chambre. Christian sort
derrière moi. Durant le bref parcours qui sépare ma chambre de la porte d'entrée, mes
pensées et mes sentiments fluent et refluent, se transforment. Ma colère a cédé au
chagrin. Je ne veux pas qu'il s'en aille. Quel dommage qu'il ne soit pas normal - je
voudrais une histoire d'amour qui ne nécessite pas un contrat de dix pages, une cravache
et des mousquetons au plafond.
Je lui ouvre la porte, les yeux baissés. C'est la première fois que je fais l'amour chez
moi, et c'était bon, mais maintenant j'ai l'impression de n'être qu'un réceptacle, une coupe
vide qu'il remplit à sa guise. Ma conscience secoue la tête. Tu étais prête à courir jusqu'au
Heathman pour te faire sauter - et tu as eu une livraison express à domicile. De quoi te
plains-tu ? Christian s'arrête sur le seuil et m'attrape le menton pour forcer mon regard à
croiser le sien. Son front se plisse.
— Ça va ? me demande-t-il tendrement en caressant ma lèvre inférieure de son pouce.
— Oui.
En fait, non. Si j'accepte ce qu'il me propose, je sais qu'il me fera souffrir. Il n'est ni
capable ni disposé à m'offrir plus... et j'en veux plus. Beaucoup plus. Ma bouffée de
jalousie de tout à l'heure m'a fait comprendre que j'éprouve pour lui des sentiments
beaucoup plus profonds que je ne me l'étais avoué.
— A mercredi, murmure-t-il en se penchant pour m'embrasser.
Quelque chose change pendant qu'il m'embrasse ; ses lèvres sur les miennes deviennent
plus empressées, il prend ma tête entre ses mains, sa respiration s'accélère, son baiser
devient plus profond. Je pose mes mains sur ses bras. J'aurais envie de les passer dans
ses cheveux, mais je résiste car je sais que ça lui déplairait. Il appuie son front contre le
mien, les yeux fermés, la voix tendue.
— Anastasia, chuchote-t-il, qu'est-ce que tu me fais ?
— Je pourrais te répondre la même chose.
Il inspire profondément, m'embrasse sur le front et s'arrache à moi pour marcher d'un
pas déterminé jusqu'à sa voiture en passant la main dans ses cheveux. Il relève les yeux
en ouvrant sa portière et m'adresse un sourire éblouissant. Mon propre sourire est faible,
car je suis aveuglée par le sien : Icare, volant trop près du soleil. Tandis qu'il monte dans
son cabriolet, je suis prise d'une envie irrésistible de pleurer. Je me précipite dans ma
chambre, referme la porte et m'y adosse en tentant d'y voir clair dans mes sentiments.
Impossible. Je me laisse glisser par terre, la tête entre les mains, et je laisse couler mes
larmes. Kate frappe doucement.
— Ana ?
Je lui ouvre. Dès qu'elle me voit, elle me prend dans ses bras.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qu'il t'a fait, cet enfoiré ?
— Kate, il ne m'a rien fait que je ne voulais pas. Elle m'attire vers le lit et nous nous y
asseyons.
— C'est immonde, ce brushing post-coïtal. Malgré mon chagrin, je pouffe de rire.
— En tout cas, c'était bon. Kate sourit.
— J'aime mieux ça. Pourquoi pleures-tu ? Tu ne pleures jamais.
Elle prend ma brosse sur la table de chevet et, s'asseyant derrière moi, elle se met à me
démêler les cheveux.
— C'est juste que je pense que cette histoire ne mènera à rien.
— Je croyais que tu allais le revoir mercredi ?
— En effet. C'était ce qui était prévu.
— Alors pourquoi a-t’il débarqué ici ce soir ?
— Je lui ai écrit un mail.
— Pour lui demander de passer ?
— Non, pour lui dire que je ne voulais plus le revoir.
— Et il a accouru ? Bien joué !
— En fait, c'était une plaisanterie.
— Ah. Maintenant je n'y comprends plus rien. Patiemment, je lui explique l'essentiel de
mon mail sans rien en trahir.
— Tu pensais qu'il allait te répondre par mail ?
— Oui.
— Mais au lieu de ça, il s'est pointé.
— Oui.
— Si tu veux mon avis, il est fou amoureux de toi. Christian, fou amoureux de moi ? Ça
m'étonnerait. Il cherche simplement un nouveau joujou avec lequel il peut coucher quand
l'envie lui en prend, et auquel il peut faire des trucs innommables. Mon coeur se serre
douloureusement. La voilà, la réalité.
— Il est venu me baiser, c'est tout.
— Tu es d'un romantique, souffle-t-elle, horrifiée.
Ça y est, j'ai choqué Kate. Je ne m'en serais pas crue capable. Je hausse les épaules
pour m'excuser.
— Il se sert du sexe comme d'une arme.
— Il te baise pour te soumettre ?
Elle secoue la tête d'un air désapprobateur. Je cligne des yeux plusieurs fois en
rougissant jusqu'à la racine des cheveux. En plein dans le mille, Katherine Kavanagh, futur
prix Pulitzer du journalisme.
— Ana, je ne comprends pas, tu le laisses simplement te faire l'amour ?
— Non, Kate, on ne fait pas l'amour, on baise - c'est le mot de Christian. L'amour, ça
n'est pas son truc.
— J'ai toujours pensé qu'il était bizarre, ce type. Si tu veux mon avis, il a du mal à
s'engager.
Je hoche la tête comme si j'acquiesçais. Ah, Kate... comme je regrette de ne pas pouvoir
tout te raconter sur cet homme étrange, triste, pervers, pour que tu me dises de l'oublier.
Que tu m'empêches d'être aussi idiote. Je me contente de murmurer :
— Tout ça me dépasse un peu.
C'est le moins qu'on puisse dire. Comme je ne veux plus parler de Christian, je demande
à Kate des nouvelles d'Elliot. Elle se métamorphose aussitôt, comme si elle était illuminée
de l'intérieur.
— Il vient samedi matin à la première heure pour nous aider à charger la fourgonnette.
Elle serre ma brosse à cheveux contre sa poitrine et j'éprouve un pincement d'envie.
Kate s'est trouvé un type normal et ça la rend heureuse.
Je me retourne pour la serrer dans mes bras.
— Tiens, au fait, j'ai oublié de te dire, ton beau-père t'a appelée pendant que tu étais...
en main. Apparemment, Bob s'est blessé, ta mère et lui ne pourront pas venir à la remise
des diplômes. Mais Ray arrive jeudi. Il veut que tu le rappelles.
— Ah bon ? Et ma mère, elle n'a pas téléphoné ? Bob, ça va ?
— Oui. Tu l'appelleras demain matin. Il est tard, là.
— Merci, Kate. Ça va mieux, maintenant. J'appellerai Ray demain matin aussi. Je pense
que je vais me coucher.
Elle me sourit, mais elle a l'air inquiet. Après son départ, je me rassois pour relire le
contrat en prenant des notes. Puis j'allume l'ordinateur. Un mail de Christian m'attend.
De : Christian Grey
Objet : Ce soir
Date : 23 mai 2011 23:16
À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
J'attends vos remarques sur le contrat.
D'ici là, dors bien, bébé.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Problèmes
Date : 24 mai 2011 00:02
À : Christian Grey
Cher monsieur Grey,
Voici ce qui me pose problème. J'espère pouvoir en discuter plus longuement lors de notre dîner de
mercredi. Les numéros renvoient aux clauses :
1: Je ne vois pas en quoi ceci est uniquement pour MON bien - autrement dit, pour explorer MA
sensualité et mes limites. Je suis certaine de ne pas avoir besoin d'un contrat de dix pages pour ça ! Il
me semble que c'est pour VOTRE bien à vous.
3 : Comme vous le savez, vous êtes mon premier partenaire sexuel. Je ne me drogue pas et je n'ai
jamais eu de transfusion sanguine. Je n'ai sans doute aucune maladie. Pouvez-vous en dire autant ?
5 : Je peux résilier dès que je constate que vous ne respectez pas les limites convenues ? D'accord, ça
me va.
8 : Vous obéir en toutes choses ? Accepter sans hésitation votre discipline ? Il faut qu'on en discute.
10 : Période d'essai d'un mois. Pas trois.
11: Je ne peux pas m'engager tous les week-ends. J'ai une vie, ou j'en aurai une. Trois sur quatre,
peut-être ?
14.2 : User de mon corps comme vous le jugez opportun, sexuellement ou autrement : définissez «
autrement », s'il vous plaît.
14.5 : Je ne suis pas sûre de vouloir être fouettée, flagellée, ou de vouloir subir un châtiment corporel.
Je suis certaine que ce serait un manquement aux clauses 1-5. Et « pour toute autre raison », c'est de la
pure méchanceté - vous m'avez pourtant dit que vous n'étiez pas sadique.
14.10 : Comme si le fait de me prêter à un autre était envisageable. Mais je suis contente que ce soit
écrit noir sur blanc.
14.14 : Les Règles : on y reviendra.
14.19 : Me toucher ou me masturber sans votre permission. Faut-il une clause pour ça ? Vous savez
bien que je ne le fais pas de toute façon.
14.21: La discipline - voir la clause 14.5 ci-dessus.
14.22: Je ne peux pas vous regarder dans les yeux ? Pourquoi ?
14.24 : Pourquoi ne puis-je pas vous toucher ?
Règles :
Sommeil - d'accord pour six heures.
Aliments - pas question de me laisser dicter ce que je mange. C'est la liste ou moi. Cette clause est
rédhibitoire. Vêtements - si je ne suis obligée de les porter qu'avec vous, d'accord.
Gym - nous nous étions mis d'accord sur trois heures, ici je vois encore quatre heures.
Limites négociées :
On peut revoir tout ça ensemble ? Fisting, pas question. Suspension, qu'est-ce que c'est ? Pince à
lèvres génitales - vous plaisantez ?
Pourriez-vous me dire comment on fait pour mercredi ? Je travaille jusqu'à 17 heures ce jour-là.
Bonne nuit, Ana
De : Christian Grey
Objet : Problèmes
Date : 24 mai 2011 00:07
À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
La liste est longue. Pourquoi n'êtes-vous pas encore couchée ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Problèmes
Date : 24 mai 2011 00:10
À : Christian Grey
Monsieur,
Permettez-moi de vous rappeler que je rédigeais cette liste lorsque j'ai été détournée de ma tâche et
troussée par un maniaque du contrôle qui passait dans le quartier. Bonne nuit,
Ana
De : Christian Grey
Objet : Au lit !
Date : 24 mai 2011 00:12
À : Anastasia Steele
AU LIT, ANASTASIA.
Christian Grey
P-DG & Maniaque du contrôle, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Le voilà qui me crie encore dessus avec ses majuscules ! J'éteins. Comment peut-il
m'intimider même à huit kilomètres de distance ? Je secoue la tête. J'ai toujours le coeur
lourd. Je me glisse dans mon lit et je succombe aussitôt à un sommeil profond mais agité.
EL James
jeudi 26 décembre 2013
lundi 23 décembre 2013
CINQUANTE NUANCES DE GREY: CHAPITRE XI
L'enveloppe contient plusieurs feuillets que je sors, le coeur battant, en m'adossant
contre mes oreillers.
CONTRAT
Fait ce ..../.... 2011 (« Date de début »)
ENTRE
M. CHRISTIAN GREY
301 Escala, Seattle WA 98889
(Ci-après « Le Dominant »)
ET
Mlle ANASTASIA STEELE
1114 S.W. Green Street, apt. 7, Haven Heights, Vancouver WA 98888
(Ci-après « La Soumise »)
LES PARTIES SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT : MODALITÉS DE BASE :
1. L'objectif fondamental de ce contrat est de permettre à la Soumise d'explorer sa
sensualité et ses limites sans danger, en respectant ses besoins, ses limites et son bienêtre.
2. Le Dominant et la Soumise sont convenus et reconnaissent que tout ce qui aura lieu
dans le cadre de ce contrat sera consensuel, confidentiel et sujet aux limites et mesures de
sécurité définies par ce contrat. Des limites et des mesures de sécurité supplémentaires
sont susceptibles de faire l'objet d'un accord écrit.
3. Le Dominant et la Soumise garantissent l'un et l'autre qu'ils ne souffrent d'aucune
maladie sexuellement transmissible, y compris le VTH, l'herpès et l'hépatite. Si pendant la
durée du contrat (telle que définie ci-dessous) ou un prolongement une telle maladie était
diagnostiquée chez l'une ou l'autre partie, il ou elle s'engage à en informer l'autre partie
immédiatement, avant toute forme de contact physique.
4. Le respect de garanties, accords et engagements définis ci-dessus (ainsi que de toutes
limites et mesures de sécurité supplémentaires déterminées par la clause 2) est le
fondement de ce contrat. Tout manquement le rendra immédiatement caduc, et chaque
partie acceptera la pleine responsabilité des conséquences d'un tel manquement.
5. Tous les articles de ce contrat doivent être lus et interprétés au vu de l'objectif
fondamental et des modalités de base définis par les clauses 1-5.
RÔLES :
6. Le Dominant assume la responsabilité du bien-être, de la formation, de la direction et
de la discipline de la Soumise. Il décidera de leur nature ainsi que du temps et du lieu où
elles seront administrées, étant sujet aux modalités, limites et mesures de sécurité définies
par ce contrat ou faisant l'objet d'un amendement, selon les termes de la clause 2.
7. Si à n'importe quel moment le Dominant ne respecte pas les modalités, limites et
mesures de sécurité définies par ce contrat ou faisant l'objet d'un amendement selon les
termes de la clause 2, la Soumise est en droit de résilier ce contrat immédiatement et de
quitter le service du Dominant sans préavis.
8. Sous réserve de cette condition et des clauses 1-5, la Soumise s'engage à obéir a
Dominant. Sous réserve des modalités, limites et mesures de sécurité définies par ce
contrat ou faisant l'objet d'un amendement selon les termes de la clause 2, elle procurera
au Dominant sans questions ni hésitations le plaisir qu'il exigera et acceptera sans
questions ni hésitations sa formation, sa direction et sa discipline, quelque forme qu'elles
puissent prendre.
DÉBUT ET TERME DU CONTRAT :
9. Le Dominant et la Soumise adhèrent à ce contrat dès sa signature en pleine
conscience de sa nature et s'engagent à en respecter toutes les conditions sans exception.
10. Ce contrat sera en vigueur pendant une période de trois mois du calendrier à partir
de la signature. A l'expiration de ce terme, les parties détermineront si ce contrat et les
accords auxquels ils se sont engagés leur agréent, et si les besoins des deux parties ont été
satisfaits. Chaque partie peut proposer la prorogation de ce contrat, sous réserve de
réajustement de ses modalités ou des accords conclus. En l'absence de prorogation, ce
contrat sera résilié et les deux parties seront libres de reprendre leurs vies de façon
autonome. DISPONIBILITÉ :
11. La Soumise se mettra à la disposition du Dominant du vendredi soir au dimanche
après-midi, toutes les semaines du terme et aux moments précisés par le Dominant («
Périodes allouées »). Des périodes supplémentaires peuvent être déterminées au gré des
circonstances.
12. Le Dominant se réserve le droit de congédier la Soumise à tout moment et pour
n'importe quel motif. La Soumise peut demander son affranchissement à tout moment,
cette requête devant être acceptée par le Dominant dans le cadre des droits de la Soumise
déterminés par les clauses 1-5.
LIEUX:
13. La Soumise se rendra disponible durant les périodes allouées ou faisant l'objet d'un
accord ultérieur dans les lieux déterminés par le Dominant. Le Dominant assumera tous
les frais de déplacement encourus par la Soumise.
PRESTATIONS :
14. Les prestations suivantes ont été discutées, acceptées et les deux parties s'engagent
à y adhérer pour la durée du contrat. Les deux parties reconnaissent que certains
problèmes peuvent surgir qui ne sont pas prévus par les modalités de ce contrat ou que
certains termes sont susceptibles d'être renégociés. Dans de telles circonstances, des
amendements peuvent être proposés. Tout amendement doit être convenu, documenté et
signé par les deux parties, sous réserve des modalités de base définies par les clauses 1-5.
LE DOMINANT :
14.1 Le Dominant fera de la santé et de la sécurité de la Soumise sa priorité en tout
temps. À aucun moment le Dominant ne permettra ou n'exigera de la Soumise qu'elle
participe aux activités définies par l'Annexe 2 ou à un acte considéré dangereux par l'une
ou l'autre partie. Le Dominant n'entreprendra ni ne permettra que soit entrepris aucun
acte pouvant entraîner une blessure ou mettre la vie de la Soumise en danger. Les sousalinéas
de la clause 14 sont sujets à cette réserve et aux modalités de base convenues
dans les clauses 1-5.
14.2 Le Dominant accepte la Soumise comme sa propriété, qu'il peut contrôler, dominer
et discipliner pendant la durée du contrat. Le Dominant peut user du corps de la Soumise
à tout moment durant les périodes allouées ou d'autres périodes convenues entre les
parties, de quelque façon qu'il juge opportune, sexuellement ou autrement.
14.3 Le Dominant fournira à la Soumise toute formation ou conseils nécessaires à ce
qu'elle serve adéquatement le Dominant.
14.4 Le Dominant procurera un environnement stable et sûr où la Soumise pourra
assurer le service du Dominant.
14.5 Le Dominant pourra discipliner la Soumise lorsque nécessaire pour s'assurer que
la Soumise prenne la pleine mesure de sa servitude envers le Dominant et pour
décourager des comportements inacceptables. Le Dominant peut flageller, fesser, fouetter
ou administrer des punitions corporelles à la Soumise comme il l'entend, à des fins
disciplinaires, pour son propre plaisir, ou toute autre raison qu'il n'est pas contraint de
fournir.
14.6 Lors de la formation et de l'administration de la discipline, le Dominant s'assurera
qu'aucune marque permanente n'est faite au corps de la Soumise, ni aucune blessure
nécessitant des soins médicaux.
14.7 Lors de la formation et de l'administration de la discipline, le Dominant s'assurera
que la discipline et les instruments utilisés soient sans danger, qu'ils ne soient pas utilisés
de manière à entraîner des blessures graves, et n'excèdent en aucune façon les limites
définies et déterminées par le présent contrat.
14.8 En cas de maladie ou de blessure, le Dominant soignera la Soumise, s'assurera de
sa santé et de sa sécurité, encouragera et si nécessaire ordonnera des soins médicaux.
14.9 Le Dominant préservera sa propre santé et se procurera des soins médicaux si
nécessaire afin de maintenir un environnement sans risques pour la Soumise.
14.10 Le Dominant ne prêtera pas sa Soumise à un autre Dominant.
14.11 Le Dominant peut attacher, menotter ou ligoter la Soumise à tout moment durant
les périodes allouées ou toute autre période supplémentaire, pour quelque raison que ce
soit, et pour des durées prolongées, en tenant compte de la santé et de la sécurité de la
Soumise.
14.12 Le Dominant s'assurera que tout équipement utilisé dans le but de former et de
discipliner la Soumise sera dans un état d'hygiène et de sécurité adéquat en tout temps.
LA SOUMISE :
14.13 La Soumise accepte le Dominant comme son maître, sachant qu'elle est
désormais la propriété du Dominant. Il pourra user de la Soumise à sa guise pour la durée
du contrat durant les périodes allouées ainsi que toute autre période supplémentaire
convenue.
14.14 La Soumise obéira aux règles (« Les Règles ») définies par l'Annexe 1 de ce contrat.
14.15 La Soumise servira le Dominant de quelque manière qu'il estime opportune et
satisfera le Dominant à tout moment au mieux de ses aptitudes.
14.16 La Soumise prendra toutes les mesures nécessaires pour préserver sa santé et
demandera ou se procurera les soins médicaux nécessaires, en informant immédiatement
le Dominant d'éventuels problèmes de santé.
14.17 La Soumise s'assurera de prendre une contraception orale et de respecter
l'ordonnance afin de prévenir toute grossesse.
14.18 La Soumise acceptera sans questions toute action disciplinaire jugée nécessaire
par le Dominant et se rappellera son rôle et son statut à l'égard du Dominant en toute
circonstance.
14.19 La Soumise ne se touchera ni ne se masturbera sans la permission du Dominant.
14.20 La Soumise se soumettra à toute activité sexuelle exigée par le Dominant sans
hésitation ni discussion.
14.21 La Soumise acceptera le fouet, la fessée, la canne, la palette ou toute autre forme
de discipline que le Dominant décidera de lui administrer, sans hésitation, question ou
plainte.
14.22 La Soumise ne regardera pas le Dominant dans les yeux sauf lorsqu'elle en
recevra l'ordre. La Soumise gardera les yeux baissés et observera une posture
respectueuse en présence du Dominant.
14.23 La Soumise se conduira toujours de façon respectueuse envers le Dominant et
l'appellera uniquement monsieur, M. Grey ou tout autre titre souhaité par le Dominant.
14.24 La Soumise ne touchera pas le Dominant sans y être expressément autorisée.
ACTIVITÉS :
15. La Soumise ne participera à aucune activité ni à aucun acte sexuel considéré par
l'une ou l'autre des parties comme dangereux, ni à aucune des activités définies par
l'Annexe 2.
16. Le Dominant et la Soumise ont discuté des activités définies par l'Annexe 3 et ont
accepté par écrit de les respecter.
MOT D'ALERTE :
17. Le Dominant et la Soumise reconnaissent que le Dominant est susceptible d'exiger
de la Soumise des actes irréalisables sans entraîner des torts physiques, mentaux, affectifs
ou spirituels au moment où ces demandes seront faites à la Soumise. Dans ces
circonstances, la Soumise peut utiliser des mots d'alertes définis ci-après. Ces mots
d'alerte peuvent être prononcés selon la sévérité des exigences.
18. Le mot d'alerte « Jaune » sera utilisé pour signaler au Dominant que la Soumise
approche la limite de son endurance.
19. Le mot d'alerte « Rouge » sera utilisé pour signaler au Dominant que la Soumise ne
peut plus tolérer d'exigences supplémentaires. Lorsque ce mot est prononcé, l'action du
Dominant cessera immédiatement.
CONCLUSION :
20. Les soussignés ont lu et pleinement compris les modalités de ce contrat. Les
signataires en acceptent librement les termes.
Le Dominant : Christian Grey Date
La Soumise : Anastasia Steele Date
ANNEXE 1
RÈGLES
Obéissance :
La Soumise obéira immédiatement et avec enthousiasme à tous les ordres donnés par le
Dominant. La Soumise acceptera toute activité sexuelle estimée opportune et agréable par
le Dominant, à l'exception des activités figurant dans la liste des limites à ne pas franchir
(Annexe 2).
Sommeil :
La Soumise fera en sorte de dormir sept heures par nuit au minimum lorsqu'elle n'est
pas avec le Dominant.
Nourriture :
La Soumise mangera régulièrement les aliments prescrits pour rester bien portante
(Annexe 4). La Soumise ne grignotera pas entre les repas, à l'exception de fruits.
Vêtements :
Pour la durée du Contrat, la Soumise ne portera que des vêtements approuvés par le
Dominant. Le Dominant fournira un budget vestimentaire à la Soumise, que la Soumise
utilisera dans son intégralité. Le Dominant accompagnera la Soumise pour acheter des
vêtements lorsqu'il le jugera opportun. Si le Dominant l'exige, la Soumise portera pour la
durée du Contrat toutes les parures imposées par le Dominant, en présence du Dominant
ou à tout moment jugé opportun par le Dominant. Exercice :
Le Dominant fournira à la Soumise un coach personnel quatre fois par semaine pour
une séance d'une heure, aux moments qui conviendront au coach et à la Soumise. Ce
coach rapportera au Dominant les progrès de la Soumise.
Hygiène personnelle/ Beauté :
La Soumise sera propre et rasée/épilée en tous temps. La Soumise se rendra dans
l'institut de beauté désigné par le Dominant aux moments choisis par lui et se soumettra à
tous les traitements qu'il jugera opportuns.
Sécurité personnelle :
La Soumise n'abusera pas de l'alcool, ne fumera pas, ne prendra pas de drogues et ne
s'exposera pas à des dangers inutiles.
Qualités personnelles :
La Soumise n'aura pas de relations sexuelles avec un autre que le Dominant. La
Soumise se comportera avec respect et pudeur en tous temps. Elle doit reconnaître que
son comportement a des conséquences directes sur la réputation du Dominant. Elle sera
tenue responsable de toute faute, méfait, ou inconduite commis en l'absence du
Dominant.
Toute infraction aux clauses ci-dessus entraînera une punition immédiate, dont la
nature sera déterminée par le Dominant.
ANNEXE 2
LIMITES À NE PAS FRANCHIR Aucun acte impliquant le feu.
Aucun acte impliquant la miction, la défécation ou les produits qui en résultent.
Aucun acte impliquant les épingles, les couteaux, le piercing ou le sang.
Aucun acte impliquant des instruments médicaux. Aucun acte impliquant des enfants
ou des animaux. Aucun acte qui laisserait sur la peau des marques permanentes.
Aucun acte impliquant la suffocation.
Aucune activité impliquant un contact direct du corps avec un courant électrique.
ANNEXE 3
LIMITES NÉGOCIÉES
Elles doivent être discutées et convenues entre les deux parties :
La Soumise consent-elle aux actes suivants :
• Masturbation •Pénétration vaginale
• Cunnilingus •Fisting vaginal
• Fellation •Pénétration anale
• Avaler le sperme •Fisting anal
La Soumise consent-elle à l'usage des accessoires suivants :
• Vibromasseur • Godemichet
• Plug anal • Autres jouets
vaginaux/anaux
La Soumise consent-elle à être ligotée avec les accessoires suivants :
• Cordes • Gros scotch
• Bracelets en cuir • Autres accessoires à
définir
• Menottes/cadenas/chaînes
La Soumise consent-elle à être immobilisée :
• Les mains attachées devant
• Être ligotée à des articles fixés aux murs, meubles, etc.
• Les chevilles attachées
• Les coudes attachés
• Etre ligotée à une barre d'écartement
• Les mains attachées derrière le dos
• Les genoux attachés
• Suspension
• Les poignets attachés aux chevilles
La Soumise consent-elle à avoir les yeux bandés ? La Soumise consent-elle à être
bâillonnée ?
Sur une échelle de 1 à 5, quel degré de douleur la Soumise est-elle prête à subir ?
1 - 2 - 3 - 4 - 5
La Soumise consent-elle à accepter les formes suivantes de douleur/punition/discipline
:
• Fessée • Glace
• Fouet • Palette
• Morsure • Pinces à lèvres vaginales
• Canne • Pinces à seins
• Cire chaude • Autres types/méthodes de douleur
Je n'ai pas le courage de passer à la liste des aliments autorisés. Je déglutis, bouche
sèche, avant de tout relire.
J'ai des bourdonnements dans la tête. Comment pourrais-je envisager de consentir à
tout ça ? Apparemment, c'est pour mon bien, afin que j'explore ma sensualité et mes
limites en toute sécurité - ben voyons ! Je ricane. Servir et obéir en toutes choses. En toutes
choses ! Je secoue la tête. Je n'arrive pas à y croire. Au fait, les voeux de mariage ne
comportent-ils pas ce mot... obéir? Je reste perplexe. Dit-on encore ça quand on se marie
? Trois mois seulement - c'est pour ça qu'elles ont été aussi nombreuses à défiler ? Il s'en
fatigue vite, ou alors ce sont elles qui en ont marre au bout de trois mois. Tous les week-
ends ? C'est trop. Je ne verrais plus Kate ni les amis que je pourrais me faire dans mon
nouveau boulot, si jamais j'en trouve un. Je devrais peut-être me garder un week-end par
mois. Quand j'aurai mes règles, par exemple. Il sera mon maître ! Il fera de moi ce qui lui
plaît ! Bordel de merde.
Je tremble à l'idée d'être flagellée ou fouettée. La fessée, passe encore, même si c'est
humiliant. Et ligotée ? Il est vrai qu'il m'a ligoté les poignets et que c'était... enfin, excitant,
vraiment excitant. Bon, ça pourrait encore aller. Il ne me prêtera pas à un autre Dominant
- y a pas intérêt. Mais qu'est-ce que je fous à me poser ce genre de question ?
Je ne peux pas le regarder dans les yeux. Ça, c'est vraiment trop bizarre. C'est le seul
moment où j'ai une petite chance de deviner ce qu'il pense. Sauf que, même à ce momentlà,
je n'y arrive pas toujours. Mais j'aime le regarder dans les yeux. Il a de très beaux yeux
- captivants, intelligents, profonds, pleins des secrets obscurs. En me rappelant son regard
torride, je serre les cuisses.
Et je n'aurai pas le droit de le toucher. Là, ça ne m'étonne pas. Mais toutes ces règles
idiotes... Non, non, je n'y arriverai pas. Je me prends la tête entre les mains. Ce n'est pas
ça, l'amour. Il faut que je dorme. Je suis exténuée. Mes expériences érotiques des
dernières vingt-quatre heures m'ont vidée physiquement. Et mentalement... mon Dieu, je
n'arriverai jamais à débrouiller tout ça. Comme dirait José, ça me prend la tête. Qui sait ?
Demain matin, tout ça aura peut-être l'air d'une mauvaise plaisanterie.
Je me relève pour me déshabiller. Je devrais peut-être emprunter à Kate son pyjama en
pilou rose ? Je me dirige vers la salle de bains en tee-shirt et en short pour me brosser les
dents.
Je me regarde dans le miroir. Tu n'envisages pas sérieusement de... Pour une fois, ma
conscience ne se moque pas de moi. Quant à ma déesse intérieure, elle sautille sur place
en tapant dans ses mains comme une fillette de cinq ans. S'il te plaît, allez, on y va...
autrement, on va finir toutes seules, entourées de chats et de bouquins.
C'est la première fois que je suis attirée par un homme, et il fallait que je tombe sur un
cinglé qui trimballe un contrat, une cravache et des tas de casseroles. Enfin, au moins
j'aurai obtenu ce que je voulais ce week-end. Ma déesse intérieure arrête de sautiller et
sourit sereinement. Oh oui... articule-t-elle en hochant la tête d'un air suffisant. Je rougis
en me rappelant ses mains et sa bouche sur moi, son sexe en moi. Fermant les yeux, je
savoure le délicieux tiraillement de mes muscles au creux de mon ventre. Et si je
n'acceptais que les clauses « sexe » ? Ça m'étonnerait qu'il soit d'accord.
Suis-je une soumise ? C'est peut-être l'impression que je donne. J'ai dû l'induire en
erreur durant l'interview.
Je suis timide, d'accord... mais soumise ? Je laisse Kate me mener par le bout du nez -
est-ce la même chose ?
Et ces limites à négocier, pour l'amour du ciel... Au moins, elles restent à négocier, c'est
rassurant.
Je retourne dans ma chambre. Ma tête explose. Il faut que je fasse le vide - que j'attaque
le problème sous un nouvel angle demain matin. Je range les documents incriminants
dans mon sac à dos. Demain est un autre jour. Je me couche, éteins et reste allongée à
fixer le plafond des yeux. Je regrette de l'avoir rencontré. Ma déesse intérieure secoue la
tête. Elle et moi, nous savons que je mens. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
Je ferme les yeux et sombre dans un profond sommeil, en rêvant de temps en temps de
lits à baldaquin, de menottes et d'un regard gris intense.
Je suis réveillée par Kate le lendemain.
— Ana, ça fait dix minutes que je frappe à ta porte ! Tu devais être complètement K.-0.
J'ouvre les yeux à regret. Non seulement Kate est levée mais elle est déjà allée faire son
jogging. Je consulte mon réveil. 8 heures du matin. Hou là ! J'ai dormi neuf heures
d'affilée. Je suis encore dans les vapes :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Il y a un colis pour toi. Il faut que tu signes.
— C'est quoi ?
— Je ne sais pas, un gros carton. Allez, lève-toi.
Elle sautille d'un pied sur l'autre et retourne d'un bond dans le salon. Je sors du lit et
prends mon peignoir accroché derrière la porte. Un jeune homme avec un catogan est
debout au milieu du salon.
— Je vais te faire du thé, annonce Kate en disparaissant dans la cuisine.
— Mademoiselle Steele ?
Je devine aussitôt qui m'envoie ce colis.
— Oui ?
— Je dois vous livrer ceci, l'installer et vous montrer comment ça marche.
— Vraiment ? Il n'est pas un peu tôt pour ça ?
— J'ai mes ordres, madame.
Il sourit patiemment, de l'air du pro qui ne s'en laissera pas conter.
Minute... Il vient de m'appeler madame, là ? Ai-je vieilli de dix ans en une nuit ? Si c'est
le cas, c'est la faute du contrat. Je fais la moue, dégoûtée.
— Bon, d'accord. C'est quoi ?
— Un MacBook Pro.
— Tiens donc.
Je lève les yeux au ciel.
— Ils ne sont pas encore en magasin, madame : c'est le tout dernier modèle d'Apple.
Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas ? Je soupire lourdement.
— Posez-le sur la table.
Je passe rejoindre Kate dans la cuisine. Elle a l'air frais et dispos. Elle aussi, elle a bien
dormi.
— Alors, c'est quoi ? me demande-t-elle.
— C'est Christian qui m'envoie un ordinateur portable.
— Pourquoi ? Tu sais bien que tu peux utiliser le mien.
Pas pour ce qu'il a en tête.
— Il me le prête. Il veut que je l'essaie.
Mon excuse me semble peu convaincante, mais Kate acquiesce. Eh ben dis donc... Je
viens d'embobiner Katherine Kavanagh. Une première. Elle me donne mon thé.
Le Mac est aérodynamique, argenté, doté d'un grand écran. Il est vrai que Christian
Grey aime toujours faire les choses en grand - je repense à sa salle de séjour, comme à
tout son appartement, d'ailleurs.
— Il est doté du système d'exploitation le plus récent et de la gamme entière des
programmes, avec un disque dur de 1,5 téraoctet, trente-deux gigas de RAM - vous allez
vous en servir pour quoi ?
— Euh... des mails.
— Des mails ! s'étrangle-t-il. On dirait qu'il va vomir.
— Euh... et des recherches sur Internet ? Je hausse les épaules, gênée. Il soupire.
— Vous avez le Wifi N et je vous ai installé un compte « Me ». Cette petite merveille est
prête à l'emploi, pratiquement partout sur la planète.
Il la regarde d'un air nostalgique.
— Un compte « Me » ?
— Votre nouvelle adresse mail.
J'ai une adresse mail, moi ?
Il désigne une icône tout en continuant à me parler, mais je ne comprends rien à ce qu'il
me raconte, et à vrai dire, je m'en fous. Dites-moi seulement comment l'allumer et l'éteindre,
pour le reste, je me débrouillerai.
Kate siffle, épatée, lorsqu'elle le découvre.
— Mais c'est une petite merveille de la technologie, ce truc-là ! s'exclame-t-elle avant de
me dévisager en haussant les sourcils. La plupart des femmes reçoivent des fleurs ou des
bijoux...
Nous succombons toutes les deux au fou rire. Le type des ordinateurs nous contemple
d'un air vaguement dégoûté. Il termine son installation et me fait signer le récépissé.
Tandis que Kate le raccompagne, je m'assieds avec mon thé et j'ouvre le programme
mail. Un message de Christian m'attend. Mon coeur fait un bond. J'ai reçu un mail de
Christian Grey. Nerveuse, je l'ouvre.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur
Date : 22 mai 2011 23:15
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
Je suppose que vous avez bien dormi. J'espère que vous ferez bon usage de cet ordinateur portable.
Je me réjouis d'avance de dîner avec vous mercredi. D'ici là, je serai ravi de répondre par mail à toute
question que vous souhaiteriez me poser.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je clique sur « répondre ».
De : Anastasia Steele
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:20
A : Christian Grey
J'ai très bien dormi, merci - on se demande pourquoi — monsieur. D'après ce que j'ai compris, cet
ordinateur est un prêt, autrement dit, il n'est pas à moi.
Ana
La réponse me parvient presque instantanément.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:22
À : Anastasia Steele
L'ordinateur est un prêt. Pour une durée indéfinie, mademoiselle Steele. J'en déduis d'après vos
propos que vous avez déjà consulté la documentation que je vous ai remise. Avez-vous des questions à
me poser ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
De : Anastasia Steele
Objet : Curiosité
Date : 23 mai 2011 08:25
À : Christian Grey
J'ai plusieurs questions, mais elles ne peuvent pas être posées par mail, et certains d'entre nous
travaillent pour gagner leur vie. Je ne veux ni n'ai besoin d'un ordinateur pour une durée indéfinie.
À plus tard, et bonne journée. Monsieur.
Ana
Sa réponse, une fois de plus, est instantanée et me fait sourire.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:26
À : Anastasia Steele
À plus, bébé ?
P.-S. : Moi aussi, je travaille pour gagner ma vie.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
J'éteins l'ordinateur en souriant comme une débile. Comment résister à Christian
lorsqu'il est d'humeur enjouée ? Je vais être en retard au boulot. Eh bien, comme c'est ma
dernière semaine, M. et Mme Clayton se montreront sans doute indulgents. Je me
précipite dans la salle de bains, incapable de ravaler ce sourire qui me fend le visage,
excitée comme une puce. L'angoisse provoquée par la lecture du contrat s'est dissipée.
Tout en me lavant les cheveux, je me demande quelles questions je pourrais lui poser par
mail. Il vaut sans doute mieux discuter de vive voix. Et si un hacker accédait à son compte
? Cette idée me fait rougir. Je m'habille rapidement, dis au revoir à Kate et file travailler.
José m'appelle à 11 heures.
— Hé, on va le prendre, ce café ?
Il est redevenu le José d'avant, José mon ami, pas celui qui m'a... quelle était
l'expression de Christian, déjà ? Celui qui m'a « poursuivie de ses assiduités ». Beurk.
— Bien sûr. Je suis au boulot. Tu peux passer, disons, à midi ?
— À tout à l'heure.
Il raccroche et je recommence à mettre des pinceaux en rayon en repensant à Christian
Grey et à son contrat.
José, ponctuel, déboule dans le magasin comme un jeune chien fou.
— Ana !
Quand il me sourit de toutes ses dents, toute ma colère contre lui s'évanouit.
— Salut José, dis-je en le serrant dans mes bras. Je suis affamée. Je vais juste dire à
Mme Clayton que je vais déjeuner.
Tandis que nous nous dirigeons vers le café du coin, je passe mon bras sous celui de
José. Je lui suis reconnaissante d'être aussi... normal. Lui, au moins, je le comprends.
— Dis, Ana, c'est vrai, tu m'as pardonné ?
— José, tu sais bien que je ne peux pas rester longtemps fâchée contre toi.
Il sourit.
Je suis impatiente de rentrer, car j'ai hâte de voir si j'ai un mail de Christian et, en plus,
il faut que j'entame mes recherches. Kate est sortie : je peux consulter mes messages
tranquillement. Comme prévu, un mail de
Christian m'attend. Je me trémousse sur ma chaise tellement je suis contente.
De : Christian Grey
Objet : Travailler pour gagner sa vie
Date : 23 mai 2011 17:24
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
J'espère que vous avez passé une bonne journée au travail.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je clique sur « répondre ».
De : Anastasia Steele
Objet : Travailler pour gagner sa vie
Date : 23 mai 2011 17:48
À : Christian Grey
Monsieur... J'ai passé une très bonne journée, merci.
Ana
De : Christian Grey
Objet : Au boulot !
Date : 23 mai 2011 17:50 À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
Je suis ravi que vous ayez passé une bonne journée. Mais pendant que vous m'écrivez des mails, vous
ne vous documentez pas.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Nuisance
Date : 23 mai 2011 17:53
À : Christian Grey
Monsieur Grey, arrêtez de m'écrire et laissez-moi faire mes devoirs. Je voudrais décrocher une autre
mention « excellent ».
Ana
Je me félicite de ma réponse.
De : Christian Grey
Objet : Impatient
Date : 23 mai 2011 17:55 À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
C'est à vous d'arrêter de m'écrire. Faites vos devoirs. Je voudrais en effet vous décerner une autre
mention « excellent ». La première était largement méritée. ;-)
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Christian Grey qui m'envoie un smiley avec un clin d'oeil ? Pas possible. J'ouvre Google.
De : Anastasia Steele
Objet : Recherche Internet Date : 23 mai 2011 17:59
A : Christian Grey
Monsieur Grey,
Que me suggérez-vous d'entrer comme mot-clé dans la boîte de recherche ?
Ana
De : Christian Grey
Objet : Recherche Internet
Date : 23 mai 2011 18:02
À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
Commencez par Wikipédia. Plus de mails à moins que vous n'ayez des questions. Compris ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Autoritaire !
Date : 23 mai 2011 18:04
À : Christian Grey
Oui... Monsieur.
Qu'est-ce que tu es autoritaire !
Ana
De : Christian Grey
Objet : Contrôle
Date : 23 mai 2011 18:06
À : Anastasia Steele
Anastasia, tu n'as pas idée. Enfin, peut-être un peu, mainte nant. Au boulot.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je tape « Soumission » dans Wikipédia.
Une demi-heure plus tard, je suis vaguement barbouillée et profondément choquée. Aije
vraiment envie d'avoir tout ça dans la tête ? Et merde - c'est donc ça qu'il fabrique dans
la Chambre rouge de la Douleur ? Je scrute l'écran. Une part de moi-même dont je n'ai fait
la connaissance que tout récemment est furieusement excitée. Oh mon Dieu, ces trucs-là,
qu'est-ce que c'est SEXY. Mais est-ce que c'est pour moi ? Merde alors... je pourrais faire
ça, moi ? Il faut que je sorte. J'ai besoin de réfléchir.
EL James
contre mes oreillers.
CONTRAT
Fait ce ..../.... 2011 (« Date de début »)
ENTRE
M. CHRISTIAN GREY
301 Escala, Seattle WA 98889
(Ci-après « Le Dominant »)
ET
Mlle ANASTASIA STEELE
1114 S.W. Green Street, apt. 7, Haven Heights, Vancouver WA 98888
(Ci-après « La Soumise »)
LES PARTIES SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT : MODALITÉS DE BASE :
1. L'objectif fondamental de ce contrat est de permettre à la Soumise d'explorer sa
sensualité et ses limites sans danger, en respectant ses besoins, ses limites et son bienêtre.
2. Le Dominant et la Soumise sont convenus et reconnaissent que tout ce qui aura lieu
dans le cadre de ce contrat sera consensuel, confidentiel et sujet aux limites et mesures de
sécurité définies par ce contrat. Des limites et des mesures de sécurité supplémentaires
sont susceptibles de faire l'objet d'un accord écrit.
3. Le Dominant et la Soumise garantissent l'un et l'autre qu'ils ne souffrent d'aucune
maladie sexuellement transmissible, y compris le VTH, l'herpès et l'hépatite. Si pendant la
durée du contrat (telle que définie ci-dessous) ou un prolongement une telle maladie était
diagnostiquée chez l'une ou l'autre partie, il ou elle s'engage à en informer l'autre partie
immédiatement, avant toute forme de contact physique.
4. Le respect de garanties, accords et engagements définis ci-dessus (ainsi que de toutes
limites et mesures de sécurité supplémentaires déterminées par la clause 2) est le
fondement de ce contrat. Tout manquement le rendra immédiatement caduc, et chaque
partie acceptera la pleine responsabilité des conséquences d'un tel manquement.
5. Tous les articles de ce contrat doivent être lus et interprétés au vu de l'objectif
fondamental et des modalités de base définis par les clauses 1-5.
RÔLES :
6. Le Dominant assume la responsabilité du bien-être, de la formation, de la direction et
de la discipline de la Soumise. Il décidera de leur nature ainsi que du temps et du lieu où
elles seront administrées, étant sujet aux modalités, limites et mesures de sécurité définies
par ce contrat ou faisant l'objet d'un amendement, selon les termes de la clause 2.
7. Si à n'importe quel moment le Dominant ne respecte pas les modalités, limites et
mesures de sécurité définies par ce contrat ou faisant l'objet d'un amendement selon les
termes de la clause 2, la Soumise est en droit de résilier ce contrat immédiatement et de
quitter le service du Dominant sans préavis.
8. Sous réserve de cette condition et des clauses 1-5, la Soumise s'engage à obéir a
Dominant. Sous réserve des modalités, limites et mesures de sécurité définies par ce
contrat ou faisant l'objet d'un amendement selon les termes de la clause 2, elle procurera
au Dominant sans questions ni hésitations le plaisir qu'il exigera et acceptera sans
questions ni hésitations sa formation, sa direction et sa discipline, quelque forme qu'elles
puissent prendre.
DÉBUT ET TERME DU CONTRAT :
9. Le Dominant et la Soumise adhèrent à ce contrat dès sa signature en pleine
conscience de sa nature et s'engagent à en respecter toutes les conditions sans exception.
10. Ce contrat sera en vigueur pendant une période de trois mois du calendrier à partir
de la signature. A l'expiration de ce terme, les parties détermineront si ce contrat et les
accords auxquels ils se sont engagés leur agréent, et si les besoins des deux parties ont été
satisfaits. Chaque partie peut proposer la prorogation de ce contrat, sous réserve de
réajustement de ses modalités ou des accords conclus. En l'absence de prorogation, ce
contrat sera résilié et les deux parties seront libres de reprendre leurs vies de façon
autonome. DISPONIBILITÉ :
11. La Soumise se mettra à la disposition du Dominant du vendredi soir au dimanche
après-midi, toutes les semaines du terme et aux moments précisés par le Dominant («
Périodes allouées »). Des périodes supplémentaires peuvent être déterminées au gré des
circonstances.
12. Le Dominant se réserve le droit de congédier la Soumise à tout moment et pour
n'importe quel motif. La Soumise peut demander son affranchissement à tout moment,
cette requête devant être acceptée par le Dominant dans le cadre des droits de la Soumise
déterminés par les clauses 1-5.
LIEUX:
13. La Soumise se rendra disponible durant les périodes allouées ou faisant l'objet d'un
accord ultérieur dans les lieux déterminés par le Dominant. Le Dominant assumera tous
les frais de déplacement encourus par la Soumise.
PRESTATIONS :
14. Les prestations suivantes ont été discutées, acceptées et les deux parties s'engagent
à y adhérer pour la durée du contrat. Les deux parties reconnaissent que certains
problèmes peuvent surgir qui ne sont pas prévus par les modalités de ce contrat ou que
certains termes sont susceptibles d'être renégociés. Dans de telles circonstances, des
amendements peuvent être proposés. Tout amendement doit être convenu, documenté et
signé par les deux parties, sous réserve des modalités de base définies par les clauses 1-5.
LE DOMINANT :
14.1 Le Dominant fera de la santé et de la sécurité de la Soumise sa priorité en tout
temps. À aucun moment le Dominant ne permettra ou n'exigera de la Soumise qu'elle
participe aux activités définies par l'Annexe 2 ou à un acte considéré dangereux par l'une
ou l'autre partie. Le Dominant n'entreprendra ni ne permettra que soit entrepris aucun
acte pouvant entraîner une blessure ou mettre la vie de la Soumise en danger. Les sousalinéas
de la clause 14 sont sujets à cette réserve et aux modalités de base convenues
dans les clauses 1-5.
14.2 Le Dominant accepte la Soumise comme sa propriété, qu'il peut contrôler, dominer
et discipliner pendant la durée du contrat. Le Dominant peut user du corps de la Soumise
à tout moment durant les périodes allouées ou d'autres périodes convenues entre les
parties, de quelque façon qu'il juge opportune, sexuellement ou autrement.
14.3 Le Dominant fournira à la Soumise toute formation ou conseils nécessaires à ce
qu'elle serve adéquatement le Dominant.
14.4 Le Dominant procurera un environnement stable et sûr où la Soumise pourra
assurer le service du Dominant.
14.5 Le Dominant pourra discipliner la Soumise lorsque nécessaire pour s'assurer que
la Soumise prenne la pleine mesure de sa servitude envers le Dominant et pour
décourager des comportements inacceptables. Le Dominant peut flageller, fesser, fouetter
ou administrer des punitions corporelles à la Soumise comme il l'entend, à des fins
disciplinaires, pour son propre plaisir, ou toute autre raison qu'il n'est pas contraint de
fournir.
14.6 Lors de la formation et de l'administration de la discipline, le Dominant s'assurera
qu'aucune marque permanente n'est faite au corps de la Soumise, ni aucune blessure
nécessitant des soins médicaux.
14.7 Lors de la formation et de l'administration de la discipline, le Dominant s'assurera
que la discipline et les instruments utilisés soient sans danger, qu'ils ne soient pas utilisés
de manière à entraîner des blessures graves, et n'excèdent en aucune façon les limites
définies et déterminées par le présent contrat.
14.8 En cas de maladie ou de blessure, le Dominant soignera la Soumise, s'assurera de
sa santé et de sa sécurité, encouragera et si nécessaire ordonnera des soins médicaux.
14.9 Le Dominant préservera sa propre santé et se procurera des soins médicaux si
nécessaire afin de maintenir un environnement sans risques pour la Soumise.
14.10 Le Dominant ne prêtera pas sa Soumise à un autre Dominant.
14.11 Le Dominant peut attacher, menotter ou ligoter la Soumise à tout moment durant
les périodes allouées ou toute autre période supplémentaire, pour quelque raison que ce
soit, et pour des durées prolongées, en tenant compte de la santé et de la sécurité de la
Soumise.
14.12 Le Dominant s'assurera que tout équipement utilisé dans le but de former et de
discipliner la Soumise sera dans un état d'hygiène et de sécurité adéquat en tout temps.
LA SOUMISE :
14.13 La Soumise accepte le Dominant comme son maître, sachant qu'elle est
désormais la propriété du Dominant. Il pourra user de la Soumise à sa guise pour la durée
du contrat durant les périodes allouées ainsi que toute autre période supplémentaire
convenue.
14.14 La Soumise obéira aux règles (« Les Règles ») définies par l'Annexe 1 de ce contrat.
14.15 La Soumise servira le Dominant de quelque manière qu'il estime opportune et
satisfera le Dominant à tout moment au mieux de ses aptitudes.
14.16 La Soumise prendra toutes les mesures nécessaires pour préserver sa santé et
demandera ou se procurera les soins médicaux nécessaires, en informant immédiatement
le Dominant d'éventuels problèmes de santé.
14.17 La Soumise s'assurera de prendre une contraception orale et de respecter
l'ordonnance afin de prévenir toute grossesse.
14.18 La Soumise acceptera sans questions toute action disciplinaire jugée nécessaire
par le Dominant et se rappellera son rôle et son statut à l'égard du Dominant en toute
circonstance.
14.19 La Soumise ne se touchera ni ne se masturbera sans la permission du Dominant.
14.20 La Soumise se soumettra à toute activité sexuelle exigée par le Dominant sans
hésitation ni discussion.
14.21 La Soumise acceptera le fouet, la fessée, la canne, la palette ou toute autre forme
de discipline que le Dominant décidera de lui administrer, sans hésitation, question ou
plainte.
14.22 La Soumise ne regardera pas le Dominant dans les yeux sauf lorsqu'elle en
recevra l'ordre. La Soumise gardera les yeux baissés et observera une posture
respectueuse en présence du Dominant.
14.23 La Soumise se conduira toujours de façon respectueuse envers le Dominant et
l'appellera uniquement monsieur, M. Grey ou tout autre titre souhaité par le Dominant.
14.24 La Soumise ne touchera pas le Dominant sans y être expressément autorisée.
ACTIVITÉS :
15. La Soumise ne participera à aucune activité ni à aucun acte sexuel considéré par
l'une ou l'autre des parties comme dangereux, ni à aucune des activités définies par
l'Annexe 2.
16. Le Dominant et la Soumise ont discuté des activités définies par l'Annexe 3 et ont
accepté par écrit de les respecter.
MOT D'ALERTE :
17. Le Dominant et la Soumise reconnaissent que le Dominant est susceptible d'exiger
de la Soumise des actes irréalisables sans entraîner des torts physiques, mentaux, affectifs
ou spirituels au moment où ces demandes seront faites à la Soumise. Dans ces
circonstances, la Soumise peut utiliser des mots d'alertes définis ci-après. Ces mots
d'alerte peuvent être prononcés selon la sévérité des exigences.
18. Le mot d'alerte « Jaune » sera utilisé pour signaler au Dominant que la Soumise
approche la limite de son endurance.
19. Le mot d'alerte « Rouge » sera utilisé pour signaler au Dominant que la Soumise ne
peut plus tolérer d'exigences supplémentaires. Lorsque ce mot est prononcé, l'action du
Dominant cessera immédiatement.
CONCLUSION :
20. Les soussignés ont lu et pleinement compris les modalités de ce contrat. Les
signataires en acceptent librement les termes.
Le Dominant : Christian Grey Date
La Soumise : Anastasia Steele Date
ANNEXE 1
RÈGLES
Obéissance :
La Soumise obéira immédiatement et avec enthousiasme à tous les ordres donnés par le
Dominant. La Soumise acceptera toute activité sexuelle estimée opportune et agréable par
le Dominant, à l'exception des activités figurant dans la liste des limites à ne pas franchir
(Annexe 2).
Sommeil :
La Soumise fera en sorte de dormir sept heures par nuit au minimum lorsqu'elle n'est
pas avec le Dominant.
Nourriture :
La Soumise mangera régulièrement les aliments prescrits pour rester bien portante
(Annexe 4). La Soumise ne grignotera pas entre les repas, à l'exception de fruits.
Vêtements :
Pour la durée du Contrat, la Soumise ne portera que des vêtements approuvés par le
Dominant. Le Dominant fournira un budget vestimentaire à la Soumise, que la Soumise
utilisera dans son intégralité. Le Dominant accompagnera la Soumise pour acheter des
vêtements lorsqu'il le jugera opportun. Si le Dominant l'exige, la Soumise portera pour la
durée du Contrat toutes les parures imposées par le Dominant, en présence du Dominant
ou à tout moment jugé opportun par le Dominant. Exercice :
Le Dominant fournira à la Soumise un coach personnel quatre fois par semaine pour
une séance d'une heure, aux moments qui conviendront au coach et à la Soumise. Ce
coach rapportera au Dominant les progrès de la Soumise.
Hygiène personnelle/ Beauté :
La Soumise sera propre et rasée/épilée en tous temps. La Soumise se rendra dans
l'institut de beauté désigné par le Dominant aux moments choisis par lui et se soumettra à
tous les traitements qu'il jugera opportuns.
Sécurité personnelle :
La Soumise n'abusera pas de l'alcool, ne fumera pas, ne prendra pas de drogues et ne
s'exposera pas à des dangers inutiles.
Qualités personnelles :
La Soumise n'aura pas de relations sexuelles avec un autre que le Dominant. La
Soumise se comportera avec respect et pudeur en tous temps. Elle doit reconnaître que
son comportement a des conséquences directes sur la réputation du Dominant. Elle sera
tenue responsable de toute faute, méfait, ou inconduite commis en l'absence du
Dominant.
Toute infraction aux clauses ci-dessus entraînera une punition immédiate, dont la
nature sera déterminée par le Dominant.
ANNEXE 2
LIMITES À NE PAS FRANCHIR Aucun acte impliquant le feu.
Aucun acte impliquant la miction, la défécation ou les produits qui en résultent.
Aucun acte impliquant les épingles, les couteaux, le piercing ou le sang.
Aucun acte impliquant des instruments médicaux. Aucun acte impliquant des enfants
ou des animaux. Aucun acte qui laisserait sur la peau des marques permanentes.
Aucun acte impliquant la suffocation.
Aucune activité impliquant un contact direct du corps avec un courant électrique.
ANNEXE 3
LIMITES NÉGOCIÉES
Elles doivent être discutées et convenues entre les deux parties :
La Soumise consent-elle aux actes suivants :
• Masturbation •Pénétration vaginale
• Cunnilingus •Fisting vaginal
• Fellation •Pénétration anale
• Avaler le sperme •Fisting anal
La Soumise consent-elle à l'usage des accessoires suivants :
• Vibromasseur • Godemichet
• Plug anal • Autres jouets
vaginaux/anaux
La Soumise consent-elle à être ligotée avec les accessoires suivants :
• Cordes • Gros scotch
• Bracelets en cuir • Autres accessoires à
définir
• Menottes/cadenas/chaînes
La Soumise consent-elle à être immobilisée :
• Les mains attachées devant
• Être ligotée à des articles fixés aux murs, meubles, etc.
• Les chevilles attachées
• Les coudes attachés
• Etre ligotée à une barre d'écartement
• Les mains attachées derrière le dos
• Les genoux attachés
• Suspension
• Les poignets attachés aux chevilles
La Soumise consent-elle à avoir les yeux bandés ? La Soumise consent-elle à être
bâillonnée ?
Sur une échelle de 1 à 5, quel degré de douleur la Soumise est-elle prête à subir ?
1 - 2 - 3 - 4 - 5
La Soumise consent-elle à accepter les formes suivantes de douleur/punition/discipline
:
• Fessée • Glace
• Fouet • Palette
• Morsure • Pinces à lèvres vaginales
• Canne • Pinces à seins
• Cire chaude • Autres types/méthodes de douleur
Je n'ai pas le courage de passer à la liste des aliments autorisés. Je déglutis, bouche
sèche, avant de tout relire.
J'ai des bourdonnements dans la tête. Comment pourrais-je envisager de consentir à
tout ça ? Apparemment, c'est pour mon bien, afin que j'explore ma sensualité et mes
limites en toute sécurité - ben voyons ! Je ricane. Servir et obéir en toutes choses. En toutes
choses ! Je secoue la tête. Je n'arrive pas à y croire. Au fait, les voeux de mariage ne
comportent-ils pas ce mot... obéir? Je reste perplexe. Dit-on encore ça quand on se marie
? Trois mois seulement - c'est pour ça qu'elles ont été aussi nombreuses à défiler ? Il s'en
fatigue vite, ou alors ce sont elles qui en ont marre au bout de trois mois. Tous les week-
ends ? C'est trop. Je ne verrais plus Kate ni les amis que je pourrais me faire dans mon
nouveau boulot, si jamais j'en trouve un. Je devrais peut-être me garder un week-end par
mois. Quand j'aurai mes règles, par exemple. Il sera mon maître ! Il fera de moi ce qui lui
plaît ! Bordel de merde.
Je tremble à l'idée d'être flagellée ou fouettée. La fessée, passe encore, même si c'est
humiliant. Et ligotée ? Il est vrai qu'il m'a ligoté les poignets et que c'était... enfin, excitant,
vraiment excitant. Bon, ça pourrait encore aller. Il ne me prêtera pas à un autre Dominant
- y a pas intérêt. Mais qu'est-ce que je fous à me poser ce genre de question ?
Je ne peux pas le regarder dans les yeux. Ça, c'est vraiment trop bizarre. C'est le seul
moment où j'ai une petite chance de deviner ce qu'il pense. Sauf que, même à ce momentlà,
je n'y arrive pas toujours. Mais j'aime le regarder dans les yeux. Il a de très beaux yeux
- captivants, intelligents, profonds, pleins des secrets obscurs. En me rappelant son regard
torride, je serre les cuisses.
Et je n'aurai pas le droit de le toucher. Là, ça ne m'étonne pas. Mais toutes ces règles
idiotes... Non, non, je n'y arriverai pas. Je me prends la tête entre les mains. Ce n'est pas
ça, l'amour. Il faut que je dorme. Je suis exténuée. Mes expériences érotiques des
dernières vingt-quatre heures m'ont vidée physiquement. Et mentalement... mon Dieu, je
n'arriverai jamais à débrouiller tout ça. Comme dirait José, ça me prend la tête. Qui sait ?
Demain matin, tout ça aura peut-être l'air d'une mauvaise plaisanterie.
Je me relève pour me déshabiller. Je devrais peut-être emprunter à Kate son pyjama en
pilou rose ? Je me dirige vers la salle de bains en tee-shirt et en short pour me brosser les
dents.
Je me regarde dans le miroir. Tu n'envisages pas sérieusement de... Pour une fois, ma
conscience ne se moque pas de moi. Quant à ma déesse intérieure, elle sautille sur place
en tapant dans ses mains comme une fillette de cinq ans. S'il te plaît, allez, on y va...
autrement, on va finir toutes seules, entourées de chats et de bouquins.
C'est la première fois que je suis attirée par un homme, et il fallait que je tombe sur un
cinglé qui trimballe un contrat, une cravache et des tas de casseroles. Enfin, au moins
j'aurai obtenu ce que je voulais ce week-end. Ma déesse intérieure arrête de sautiller et
sourit sereinement. Oh oui... articule-t-elle en hochant la tête d'un air suffisant. Je rougis
en me rappelant ses mains et sa bouche sur moi, son sexe en moi. Fermant les yeux, je
savoure le délicieux tiraillement de mes muscles au creux de mon ventre. Et si je
n'acceptais que les clauses « sexe » ? Ça m'étonnerait qu'il soit d'accord.
Suis-je une soumise ? C'est peut-être l'impression que je donne. J'ai dû l'induire en
erreur durant l'interview.
Je suis timide, d'accord... mais soumise ? Je laisse Kate me mener par le bout du nez -
est-ce la même chose ?
Et ces limites à négocier, pour l'amour du ciel... Au moins, elles restent à négocier, c'est
rassurant.
Je retourne dans ma chambre. Ma tête explose. Il faut que je fasse le vide - que j'attaque
le problème sous un nouvel angle demain matin. Je range les documents incriminants
dans mon sac à dos. Demain est un autre jour. Je me couche, éteins et reste allongée à
fixer le plafond des yeux. Je regrette de l'avoir rencontré. Ma déesse intérieure secoue la
tête. Elle et moi, nous savons que je mens. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
Je ferme les yeux et sombre dans un profond sommeil, en rêvant de temps en temps de
lits à baldaquin, de menottes et d'un regard gris intense.
Je suis réveillée par Kate le lendemain.
— Ana, ça fait dix minutes que je frappe à ta porte ! Tu devais être complètement K.-0.
J'ouvre les yeux à regret. Non seulement Kate est levée mais elle est déjà allée faire son
jogging. Je consulte mon réveil. 8 heures du matin. Hou là ! J'ai dormi neuf heures
d'affilée. Je suis encore dans les vapes :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Il y a un colis pour toi. Il faut que tu signes.
— C'est quoi ?
— Je ne sais pas, un gros carton. Allez, lève-toi.
Elle sautille d'un pied sur l'autre et retourne d'un bond dans le salon. Je sors du lit et
prends mon peignoir accroché derrière la porte. Un jeune homme avec un catogan est
debout au milieu du salon.
— Je vais te faire du thé, annonce Kate en disparaissant dans la cuisine.
— Mademoiselle Steele ?
Je devine aussitôt qui m'envoie ce colis.
— Oui ?
— Je dois vous livrer ceci, l'installer et vous montrer comment ça marche.
— Vraiment ? Il n'est pas un peu tôt pour ça ?
— J'ai mes ordres, madame.
Il sourit patiemment, de l'air du pro qui ne s'en laissera pas conter.
Minute... Il vient de m'appeler madame, là ? Ai-je vieilli de dix ans en une nuit ? Si c'est
le cas, c'est la faute du contrat. Je fais la moue, dégoûtée.
— Bon, d'accord. C'est quoi ?
— Un MacBook Pro.
— Tiens donc.
Je lève les yeux au ciel.
— Ils ne sont pas encore en magasin, madame : c'est le tout dernier modèle d'Apple.
Pourquoi est-ce que ça ne me surprend pas ? Je soupire lourdement.
— Posez-le sur la table.
Je passe rejoindre Kate dans la cuisine. Elle a l'air frais et dispos. Elle aussi, elle a bien
dormi.
— Alors, c'est quoi ? me demande-t-elle.
— C'est Christian qui m'envoie un ordinateur portable.
— Pourquoi ? Tu sais bien que tu peux utiliser le mien.
Pas pour ce qu'il a en tête.
— Il me le prête. Il veut que je l'essaie.
Mon excuse me semble peu convaincante, mais Kate acquiesce. Eh ben dis donc... Je
viens d'embobiner Katherine Kavanagh. Une première. Elle me donne mon thé.
Le Mac est aérodynamique, argenté, doté d'un grand écran. Il est vrai que Christian
Grey aime toujours faire les choses en grand - je repense à sa salle de séjour, comme à
tout son appartement, d'ailleurs.
— Il est doté du système d'exploitation le plus récent et de la gamme entière des
programmes, avec un disque dur de 1,5 téraoctet, trente-deux gigas de RAM - vous allez
vous en servir pour quoi ?
— Euh... des mails.
— Des mails ! s'étrangle-t-il. On dirait qu'il va vomir.
— Euh... et des recherches sur Internet ? Je hausse les épaules, gênée. Il soupire.
— Vous avez le Wifi N et je vous ai installé un compte « Me ». Cette petite merveille est
prête à l'emploi, pratiquement partout sur la planète.
Il la regarde d'un air nostalgique.
— Un compte « Me » ?
— Votre nouvelle adresse mail.
J'ai une adresse mail, moi ?
Il désigne une icône tout en continuant à me parler, mais je ne comprends rien à ce qu'il
me raconte, et à vrai dire, je m'en fous. Dites-moi seulement comment l'allumer et l'éteindre,
pour le reste, je me débrouillerai.
Kate siffle, épatée, lorsqu'elle le découvre.
— Mais c'est une petite merveille de la technologie, ce truc-là ! s'exclame-t-elle avant de
me dévisager en haussant les sourcils. La plupart des femmes reçoivent des fleurs ou des
bijoux...
Nous succombons toutes les deux au fou rire. Le type des ordinateurs nous contemple
d'un air vaguement dégoûté. Il termine son installation et me fait signer le récépissé.
Tandis que Kate le raccompagne, je m'assieds avec mon thé et j'ouvre le programme
mail. Un message de Christian m'attend. Mon coeur fait un bond. J'ai reçu un mail de
Christian Grey. Nerveuse, je l'ouvre.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur
Date : 22 mai 2011 23:15
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
Je suppose que vous avez bien dormi. J'espère que vous ferez bon usage de cet ordinateur portable.
Je me réjouis d'avance de dîner avec vous mercredi. D'ici là, je serai ravi de répondre par mail à toute
question que vous souhaiteriez me poser.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je clique sur « répondre ».
De : Anastasia Steele
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:20
A : Christian Grey
J'ai très bien dormi, merci - on se demande pourquoi — monsieur. D'après ce que j'ai compris, cet
ordinateur est un prêt, autrement dit, il n'est pas à moi.
Ana
La réponse me parvient presque instantanément.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:22
À : Anastasia Steele
L'ordinateur est un prêt. Pour une durée indéfinie, mademoiselle Steele. J'en déduis d'après vos
propos que vous avez déjà consulté la documentation que je vous ai remise. Avez-vous des questions à
me poser ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je ne peux pas m'empêcher de sourire.
De : Anastasia Steele
Objet : Curiosité
Date : 23 mai 2011 08:25
À : Christian Grey
J'ai plusieurs questions, mais elles ne peuvent pas être posées par mail, et certains d'entre nous
travaillent pour gagner leur vie. Je ne veux ni n'ai besoin d'un ordinateur pour une durée indéfinie.
À plus tard, et bonne journée. Monsieur.
Ana
Sa réponse, une fois de plus, est instantanée et me fait sourire.
De : Christian Grey
Objet : Votre nouvel ordinateur (prêt)
Date : 23 mai 2011 08:26
À : Anastasia Steele
À plus, bébé ?
P.-S. : Moi aussi, je travaille pour gagner ma vie.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
J'éteins l'ordinateur en souriant comme une débile. Comment résister à Christian
lorsqu'il est d'humeur enjouée ? Je vais être en retard au boulot. Eh bien, comme c'est ma
dernière semaine, M. et Mme Clayton se montreront sans doute indulgents. Je me
précipite dans la salle de bains, incapable de ravaler ce sourire qui me fend le visage,
excitée comme une puce. L'angoisse provoquée par la lecture du contrat s'est dissipée.
Tout en me lavant les cheveux, je me demande quelles questions je pourrais lui poser par
mail. Il vaut sans doute mieux discuter de vive voix. Et si un hacker accédait à son compte
? Cette idée me fait rougir. Je m'habille rapidement, dis au revoir à Kate et file travailler.
José m'appelle à 11 heures.
— Hé, on va le prendre, ce café ?
Il est redevenu le José d'avant, José mon ami, pas celui qui m'a... quelle était
l'expression de Christian, déjà ? Celui qui m'a « poursuivie de ses assiduités ». Beurk.
— Bien sûr. Je suis au boulot. Tu peux passer, disons, à midi ?
— À tout à l'heure.
Il raccroche et je recommence à mettre des pinceaux en rayon en repensant à Christian
Grey et à son contrat.
José, ponctuel, déboule dans le magasin comme un jeune chien fou.
— Ana !
Quand il me sourit de toutes ses dents, toute ma colère contre lui s'évanouit.
— Salut José, dis-je en le serrant dans mes bras. Je suis affamée. Je vais juste dire à
Mme Clayton que je vais déjeuner.
Tandis que nous nous dirigeons vers le café du coin, je passe mon bras sous celui de
José. Je lui suis reconnaissante d'être aussi... normal. Lui, au moins, je le comprends.
— Dis, Ana, c'est vrai, tu m'as pardonné ?
— José, tu sais bien que je ne peux pas rester longtemps fâchée contre toi.
Il sourit.
Je suis impatiente de rentrer, car j'ai hâte de voir si j'ai un mail de Christian et, en plus,
il faut que j'entame mes recherches. Kate est sortie : je peux consulter mes messages
tranquillement. Comme prévu, un mail de
Christian m'attend. Je me trémousse sur ma chaise tellement je suis contente.
De : Christian Grey
Objet : Travailler pour gagner sa vie
Date : 23 mai 2011 17:24
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
J'espère que vous avez passé une bonne journée au travail.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je clique sur « répondre ».
De : Anastasia Steele
Objet : Travailler pour gagner sa vie
Date : 23 mai 2011 17:48
À : Christian Grey
Monsieur... J'ai passé une très bonne journée, merci.
Ana
De : Christian Grey
Objet : Au boulot !
Date : 23 mai 2011 17:50 À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
Je suis ravi que vous ayez passé une bonne journée. Mais pendant que vous m'écrivez des mails, vous
ne vous documentez pas.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Nuisance
Date : 23 mai 2011 17:53
À : Christian Grey
Monsieur Grey, arrêtez de m'écrire et laissez-moi faire mes devoirs. Je voudrais décrocher une autre
mention « excellent ».
Ana
Je me félicite de ma réponse.
De : Christian Grey
Objet : Impatient
Date : 23 mai 2011 17:55 À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
C'est à vous d'arrêter de m'écrire. Faites vos devoirs. Je voudrais en effet vous décerner une autre
mention « excellent ». La première était largement méritée. ;-)
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Christian Grey qui m'envoie un smiley avec un clin d'oeil ? Pas possible. J'ouvre Google.
De : Anastasia Steele
Objet : Recherche Internet Date : 23 mai 2011 17:59
A : Christian Grey
Monsieur Grey,
Que me suggérez-vous d'entrer comme mot-clé dans la boîte de recherche ?
Ana
De : Christian Grey
Objet : Recherche Internet
Date : 23 mai 2011 18:02
À : Anastasia Steele
Mademoiselle Steele,
Commencez par Wikipédia. Plus de mails à moins que vous n'ayez des questions. Compris ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
De : Anastasia Steele
Objet : Autoritaire !
Date : 23 mai 2011 18:04
À : Christian Grey
Oui... Monsieur.
Qu'est-ce que tu es autoritaire !
Ana
De : Christian Grey
Objet : Contrôle
Date : 23 mai 2011 18:06
À : Anastasia Steele
Anastasia, tu n'as pas idée. Enfin, peut-être un peu, mainte nant. Au boulot.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Je tape « Soumission » dans Wikipédia.
Une demi-heure plus tard, je suis vaguement barbouillée et profondément choquée. Aije
vraiment envie d'avoir tout ça dans la tête ? Et merde - c'est donc ça qu'il fabrique dans
la Chambre rouge de la Douleur ? Je scrute l'écran. Une part de moi-même dont je n'ai fait
la connaissance que tout récemment est furieusement excitée. Oh mon Dieu, ces trucs-là,
qu'est-ce que c'est SEXY. Mais est-ce que c'est pour moi ? Merde alors... je pourrais faire
ça, moi ? Il faut que je sorte. J'ai besoin de réfléchir.
EL James
jeudi 19 décembre 2013
CINQUANTE NUANCES DE GREY: CHAPITRE X
Il se retire brusquement de moi, ce qui m'arrache une grimace de douleur, et s'assied
sur le lit pour jeter son préservatif usagé dans la corbeille.
— Allez, on s'habille : je vais te présenter à ma mère. Il se lève d'un bond et passe son
jean à même la peau. J'ai du mal à m'assoir car je suis toujours ligotée.
— Christian, je ne peux pas bouger.
Il se penche pour défaire le noeud. L'empreinte que l'étoffe a laissée sur mes poignets me
trouble. L'oeil pétillant, il m'embrasse rapidement sur le front et m'adresse un sourire
radieux.
— Encore une première, lance-t-il.
Je suis en train de me demander à quoi il fait allusion quand tout d'un coup, je
panique. Sa mère ! Nom de Dieu ! Elle nous a pratiquement surpris en flagrant délit et en
plus, je n'ai pas de vêtements propres à me mettre.
— Il vaut peut-être mieux que je reste ici.
— Pas question, menace Christian. Je peux te prêter quelque chose.
Il enfile un tee-shirt blanc et passe sa main dans ses cheveux ébouriffés. Malgré mon
angoisse, je perds le fil de mes pensées. Sa beauté me stupéfie.
— Anastasia, même avec un sac à pommes de terre tu serais ravissante. Je t'en prie, ne
t'en fais pas. J'ai vraiment envie de te présenter à ma mère. Habille-toi. Je vais aller la
rassurer. Sa bouche se pince.
— Je t'attends dans cinq minutes, sinon je viens te chercher, quelle que soit ta tenue.
Mes tee-shirts sont dans ce tiroir. Mes chemises sont dans le dressing. Sers-toi.
Il me dévisage un moment, songeur, puis s'éclipse.
Et merde, merde, merde. La mère de Christian ! Je n'en demandais pas tant. Cela dit, ça
m'aidera peut-être à reconstituer une partie du puzzle. À comprendre pourquoi Christian
est tel qu'il est... Oui, en fin de compte, j'ai' très envie de la rencontrer. Je ramasse mon
chemisier par terre, ravie de constater qu'il est à peine froissé, et retrouve sous le lit mon
soutien-gorge bleu poudre. Mais s'il y a une chose que je déteste, c'est de ne pas porter de
culotte propre. En fouillant dans les tiroirs de Christian, je déniche ses boxers. Après avoir
passé un Calvin Klein gris ajusté, j'enfile mon jean et mes Converse.
Je me précipite dans la salle de bains : j'ai les yeux trop brillants, les joues trop roses, et
quant à mes cheveux... l'horreur ! Les couettes style « je viens de me faire sauter », ça ne
me va pas, mais alors pas du tout. Je fouille dans l'armoire à la recherche d'une brosse : je
ne trouve qu'un peigne. Je vais devoir m'en contenter. J'attache mes cheveux rapidement
en contemplant ma tenue, désespérée. Je devrais peut-être prendre Christian au mot et
accepter qu'il m'offre des vêtements. Ma conscience, offusquée, lâche le mot « pute ». Je ne
l'écoute pas. J'enfile ma veste, ravie que les manches recouvrent les traces laissées sur
mes poignets par la cravate, et je jette un dernier coup d'oeil anxieux au miroir. Ça va
devoir aller. Je me rends dans la salle de séjour.
— La voici.
Christian se lève du canapé avec un regard chaleureux et admiratif. Une femme aux
cheveux blonds-roux se retourne pour m'adresser un sourire radieux et se lève à son tour.
Dans sa robe en laine mérinos camel et ses chaussures assorties, elle est très élégante, ce
Cinquante Nuances de Grey
93
qui me donne envie de rentrer sous terre : j'ai l'air d'une souillon à côté d'elle.
— Maman, je te présente Anastasia Steele. Anastasia, je te présente Grâce Trevelyan-
Grey.
Le Dr Trevelyan-Grey me tend la main. T, pour Trevelyan ? L'initiale brodée sur le
mouchoir en lin ?
— Ravie de faire votre connaissance, dit-elle.
Si je ne m'abuse, sa voix et son regard noisette chaleureux expriment à la fois
l'émerveillement, l'étonnement et le soulagement. Je lui serre la main en lui rendant son
sourire.
— Docteur Trevelyan-Grey.
— Appelez-moi Grâce, s'il vous plaît. Elle m'adresse un clin d'oeil.
— Et alors, comment vous êtes-vous rencontrés ? Elle interroge Christian du regard.
— Anastasia m'a interviewé pour le journal des étudiants de l'université de Washington,
où je remets les diplômes la semaine prochaine.
Tiens, c'est vrai, j'avais oublié.
— Donc, vous allez recevoir votre diplôme la semaine prochaine ? me demande Grâce.
— Oui.
Mon portable sonne. Je parie que c'est Kate.
— Excusez-moi.
Il est resté sur lé comptoir de la cuisine. Je réponds sans vérifier le numéro d'appel.
— Kate ?
— Dios mio, Ana !
José. Il ne manquait plus que ça.
— Tu es où ? J'ai essayé de te joindre. Je voulais m'excuser, pour vendredi. Pourquoi tu
ne m'as pas rappelé ?
— Écoute, José, tu tombes mal, là.
Je jette un coup d'oeil angoissé à Christian qui m'observe attentivement, impassible, en
murmurant quelque chose à sa mère. Je leur tourne le dos.
— Où es-tu ? Kate ne veut rien me dire, se lamente José.
— Je suis à Seattle.
— Qu'est-ce que tu fous à Seattle ? Tu es avec lui ?
— José, je te rappelle. Je ne peux pas te parler.
Je raccroche et rejoins Christian et sa mère d'un pas nonchalant. Grâce parle à cent à
l'heure.
— ... c'est Elliot qui m'a appelée pour me dire que tu étais dans le coin - ça fait deux
semaines que je ne t'ai pas vu, mon chéri.
— Ah bon, il t'a dit ça ? murmure Christian en me regardant d'un air impénétrable.
— J'avais pensé qu'on pourrait déjeuner ensemble, mais je ne veux pas te déranger, tu
as sûrement d'autres projets.
Elle prend son long manteau crème et se tourne vers lui pour lui tendre sa joue. Il
l'embrasse rapidement mais affectueusement. Elle ne le touche pas.
— Il faut que je raccompagne Anastasia à Portland.
— Bien sûr, mon chéri. Anastasia, j'ai été ravie de faire votre connaissance. J'espère que
nous nous reverrons bientôt.
Elle me tend la main, les yeux brillants. Taylor surgit... d'où ?
— Madame Grey ?
— Merci, Taylor.
Il la raccompagne. Taylor était là ? Depuis combien de temps ? Où se cachait-il ?
Christian me regarde d'un oeil mauvais.
— Alors comme ça, le photographe t'a appelée ? Merde.
— Oui.
— Qu'est-ce qu'il te voulait ?
— Simplement s'excuser pour vendredi dernier. Les paupières de Christian se plissent.
— Je vois. Taylor reparaît.
— Monsieur Grey, il y a un problème avec la cargaison du Darfour.
— Charlie Tango est à Boeing Field ?
— Oui, monsieur.
Taylor m'adresse un signe de tête.
— Mademoiselle Steele.
Je lui souris timidement. Il tourne le dos et disparaît.
— Taylor habite ici ?
— Oui.
Il m'a répondu sèchement. C'est quoi, son problème ? Christian se dirige vers la cuisine
pour prendre son BlackBerry. Il pince les lèvres en composant un numéro.
— Ros, qu'est-ce qui se passe ? aboie-t-il.
Il écoute tout en m'observant d'un oeil préoccupé. Je reste plantée au milieu du salon à
me demander quoi faire.
— Pas question de faire courir un tel risque à l'équipage. Non, annulez l'opération...
Nous parachuterons la livraison... Très bien.
Il raccroche, le regard glacial, et passe dans son bureau pour en ressortir aussitôt.
— Voici le contrat. Lis-le, nous en discuterons le week-end prochain. Je te suggère de te
documenter, pour mieux comprendre ce que ça implique.
Il se tait un instant.
— À supposer que tu acceptes, ce que j'espère sincèrement, fait-il d'une voix anxieuse et
plus douce.
— Me documenter ?
— Tu serais étonnée de tout ce qu'on peut trouver sur Internet.
Internet ? Je n'y ai pas accès, sauf sur le portable de Kate. Impossible d'utiliser celui de
Clayton's, en tout cas pour ce genre de recherche.
— Qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-il en penchant la tête sur son épaule.
— Je n'ai pas d'ordinateur. En général, j'utilise ceux de la fac. Je vais voir si je peux
emprunter le portable de Kate.
Il me tend une enveloppe en papier Kraft.
— Je peux... t'en prêter un. Prends tes affaires, je te raccompagne à Portland en voiture,
on déjeunera en route. Je m'habille.
— Il faut juste que je passe un coup de fil. J'ai besoin d'entendre la voix de Kate.
— Au photographe ?
Sa mâchoire se crispe et ses yeux me lancent des flammes.
— Je n'aime pas partager, mademoiselle Steele. Souvenez-vous-en.
Après m'avoir dévisagée froidement, il se dirige vers sa chambre.
Et merde. Je voulais simplement appeler Kate, ai-je envie de lui lancer, mais sa soudaine
froideur me paralyse. Qu'est’il arrivé à l'homme généreux, détendu et souriant qui me
faisait l'amour il n'y a pas une demi-heure ?
— Prête ? me lance Christian devant la porte du vestibule.
Je hoche la tête timidement. Il est redevenu distant, poli, guindé : bref, il a remis son
masque. Il a pris une housse à costume. Pourquoi a-t’il besoin de ça ? Il dort peut-être à
Portland. Avec son blouson en cuir noir, il n'a pas l'air d'un milliardaire mais d'un
mauvais garçon, d'une rockstar ou d'un top-modèle. Je soupire en mon for intérieur :
hélas, je n'ai pas un dixième de son aisance. Il est tellement calme et maîtrisé. Mais je me
rappelle alors son accès de colère à propos de José.
Taylor rôde encore dans les parages.
— À demain, lance Christian à Taylor, qui hoche la tête.
— Oui monsieur. Quelle voiture prenez-vous, monsieur ?
— La R8.
— Bon voyage, monsieur Grey. Mademoiselle Steele. Taylor me regarde gentiment, avec
un soupçon de pitié au fond des yeux. Sans doute croit-il que j'ai succombé aux moeurs
sexuelles douteuses de monsieur
Grey. Pas encore : simplement à ses talents érotiques exceptionnels, à moins que le sexe
ne soit comme ça pour tout le monde. Je me renfrogne à cette idée. Je n'ai aucun point de
comparaison et je n'ai pas le droit d'interroger Kate. Il va donc falloir que j'en parle avec
Christian. Mais comment m'y prendre alors qu'un instant il est ouvert et se renferme
l'instant d'après ?
Taylor nous tient la porte. Christian appelle l'ascenseur.
— Qu'est-ce qu'il y a, Anastasia ?
Comment a-t’il deviné que je ruminais quelque chose ? Il me relève le menton.
— Arrête de te mordiller la lèvre ou je vais te baiser dans l'ascenseur, tant pis si on nous
surprend.
Je rougis, mais il esquisse un sourire. Apparemment, il a encore changé d'humeur.
— Christian, j'ai un problème.
— Ah?
L'ascenseur arrive. Nous y montons.
— Eh bien...
Je rougis. Comment formuler ça ?
— Il faut que je parle à Kate. Je me pose tellement de questions sur le sexe. Si tu veux
que je fasse tous Ces trucs avec toi, comment pourrais-je savoir...
Je cherche un instant mes mots.
— Bref, je n'ai pas de point de référence. Il lève les yeux au ciel.
— Parle-lui si tu t'y sens obligée. Mais fais en sorte qu'elle n'aille pas tout répéter à
Elliot.
Cette insinuation me hérisse. Kate n'est pas comme ça.
— Elle ne ferait jamais ça, et je ne te raconterais rien de ce qu'elle me dit sur Elliot - à
supposer qu'elle me dise quoi que ce soit.
— Eh bien, la différence entre mon frère et moi, c'est que moi, je ne veux rien savoir de
sa vie sexuelle, murmure Christian sèchement. Elliot est trop curieux. Parle seulement à
Kate de ce qu'on a fait jusqu'à présent. Ta copine m'arracherait les couilles si elle savait ce
que j'ai envie te faire, ajoute-t-il, d'une voix si basse que je ne sais pas si cette remarque
m'est destinée.
Je n'ai aucune envie que Kate arrache les couilles de Christian.
Il esquisse un sourire et secoue la tête.
— Plus vite j'obtiendrai ta soumission, mieux ça vaudra. On pourra arrêter tout ce
cirque.
— Quel cirque ?
— Ta façon de me défier sans arrêt.
Il attrape mon menton et plante un baiser rapide et tendre sur mes lèvres au moment
où s'ouvrent les portes de l'ascenseur. Il me prend par la main et m'entraîne dans le garage
souterrain.
Moi, je le défie ? Comment ?
Ce n'est pas l'Audi noire qui s'ouvre avec un bip mais un cabriolet, noir également - le
genre de bagnole qui devrait inclure dans l'équipement standard une blonde toute en
jambes allongée sur le capot, vêtue uniquement d'une écharpe.
— Jolie bagnole.
Il sourit.
— Je sais.
Pendant une fraction de seconde, j'entraperçois un Christian gentil, jeune et insouciant.
Son enthousiasme m'attendrit. Ah, les garçons et leurs joujoux... Je lève les yeux au ciel
mais je ne peux pas m'empêcher de sourire. Il m'ouvre la portière. Hou là... qu'est-ce que
c'est bas. Christian contourne la voiture d'un pas souple et y glisse son grand corps avec
élégance. Mais comment fait-il ?
— C'est quoi, comme voiture ?
— Une Audi R8 Spyder... Il fait beau. On va pouvoir décapoter. Il y a une casquette de
baseball dans la boîte à gants. Il doit même y en avoir deux. Et des lunettes de soleil, si tu
veux.
Il met le contact et fait vrombir le moteur. La capote se rétracte lentement et la voix de
Bruce Springsteen s'élève. Christian sourit :
— Ah, Bruce... Comment ne pas l'aimer ?
Je sors les casquettes de baseball - celles des Madriers, l'équipe de Seattle. Tiens, je ne
savais pas qu'il était fan. Je lui en tends une, je passe ma queue de cheval à travers
l'arrière de la mienne et je baisse la visière sur mes yeux.
Les gens se retournent sur notre passage. Je pense d'abord que c'est Christian qu'ils
admirent... puis, dans ma paranoïa, je m'imagine que c'est moi qu'ils regardent parce qu'ils
savent ce que j'ai fait au cours des douze dernières heures. Je finis par comprendre que
c'est la voiture qui fait sensation. Perdu dans ses pensées, Christian ne se rend compte de
rien.
Le vent souffle sur nos têtes et Bruce chante le feu du désir. Comme Christian porte ses
Ray-Ban, je ne sais pas à quoi il pense. Sa bouche tressaille légèrement, il pose une main
sur mon genou et le presse doucement. Je retiens ma respiration.
— Tu as faim ? me demande-t-il. Je n'ai pas faim de nourriture.
— Pas spécialement. Sa bouche se durcit.
— Tu dois manger, Anastasia. Je connais un bon petit restaurant près d'Olympia. On va
s'arrêter là.
Il presse à nouveau mon genou, puis remet sa main sur le volant et appuie sur
l'accélérateur, ce qui me plaque contre mon siège. Qu'est-ce qu'elle va vite, cette bagnole...
Le restaurant Cuisine sauvage est un chalet en pleine forêt, intime et rustique, meublé
de chaises dépareillées et de nappes à carreaux, avec des fleurs des champs dans de petits
vases.
— Il y a longtemps que je ne suis pas venu ici... Il n'y a pas de menu, m'explique
Christian. On mange les fruits de la chasse ou de la cueillette du jour.
Il hausse les sourcils comme s'il était horrifié, ce qui me fait pouffer de rire. Quand la
serveuse vient nous demander ce que nous voulons boire, elle s'empourpre dès qu'elle voit
Christian et évite de croiser son regard en voilant ses yeux de sa longue frange blonde.
Elle craque pour lui ! Je ne suis pas la seule !
— Deux verres de pinot gris, tranche Christian. Je fais la moue.
— Quoi ? aboie-t-il.
— Je voudrais un Coca light. Il secoue la tête.
— Leur pinot gris est très correct. Il accompagnera bien les plats, quoi qu'on nous serve,
m'explique-t-il patiemment.
— Quoi qu'on nous serve ?
— Oui.
Il me décoche son sourire éblouissant, la tête penchée sur son épaule, et mon estomac
fait un saut à la perche par-dessus ma rate. Je ne peux pas m'empêcher de répondre à ce
sourire enjôleur.
— Tu as plu à ma mère.
— Vraiment ?
Je rosis de plaisir.
— Oui. Elle s'est toujours imaginé que j'étais gay. J'en reste bouche bée, et je me
rappelle la question de l'interview... Aïe.
— Pourquoi ?
— Parce qu'elle ne m'a jamais vu avec une fille.
— Ah... pas même l'une des quinze ? Il sourit.
— Tu te souviens du nombre. Non, aucune des quinze.
— Ah.
— Tu sais, Anastasia, pour moi aussi, ça a été un week-end avec beaucoup de
premières.
— C'est vrai ?
— Je n'ai jamais dormi avec personne, je n'ai jamais couché avec une femme dans mon
lit, je n'ai jamais fait monter une femme à bord de Charlie Tango, je n'ai jamais présenté
une femme à ma mère. Tu vois quel effet tu me fais ?
Ses yeux s'enflamment. Leur intensité me coupe le souffle.
La serveuse arrive avec nos verres de vin, et j'en avale aussitôt une gorgée. Est’il en
train de se livrer, ou énonce-t-il simplement les faits ?
— Ce week-end, ça m'a vraiment plu, Christian. Il plisse les yeux.
— Arrête de te mordiller la lèvre... À moi aussi, ajoute-t-il.
— Au fait, c'est quoi, le sexe-vanille ? Il éclate de rire.
— Le sexe, tout bêtement, Anastasia, sans joujoux ni accessoires, m'explique-t-il en
haussant les épaules. Tu sais bien... bon, en fait, tu ne sais pas, mais voilà ce que ça veut
dire.
— Ah.
Et moi qui pensais que ce qui s'était passé entre nous, c'était du sexe avec une sauce au
chocolat noir, de la crème Chantilly et une cerise à l'eau de vie ! Mais bon, pour ce que j'en
sais...
La serveuse nous apporte une soupe, que nous examinons tous les deux d'un air
dubitatif.
— Soupe aux orties, nous annonce-t-elle avant de faire volte-face pour s'enfuir vers la
cuisine.
Je crois que ça la vexe, que Christian ne fasse pas attention à elle. Je goûte. C'est
délicieux. Nos regards soulagés se croisent. Je glousse, et il penche la tête sur son épaule.
— C'est un très joli son, murmure-t-il.
— Pourquoi n'as-tu jamais pratiqué le sexe-vanille ? As-tu toujours fait... euh, ce que tu
fais ?
Il hoche lentement la tête.
— Plus ou moins.
Il fronce les sourcils un moment puis relève les yeux, comme s'il avait pris une décision.
— Une amie de ma mère m'a séduit quand j'avais quinze ans.
— Oh ?
— Elle avait des goûts très particuliers. J'ai été son soumis pendant six ans.
Il hausse les épaules. Mon cerveau s'est figé, paralysé par cet aveu stupéfiant.
— Donc je sais ce que ça représente, Anastasia.
Je le fixe, incapable d'articuler un mot - même ma conscience se tait.
— Mon initiation au sexe n'a pas été banale.
Je suis dévorée par la curiosité.
— Tu n'as donc jamais eu de copine à la fac ?
— Non, dit’il en secouant la tête.
Nous nous taisons pendant que la serveuse débarrasse. Dès qu'elle repart, je reprends :
— Pourquoi ?
Il sourit d'un air narquois.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
— Oui.
— Ça ne m'intéressait pas. Elle était tout ce je voulais, tout ce que je désirais. En plus,
elle m'aurait flanqué une volée.
Ce souvenir lui soutire un sourire attendri. Oh mon Dieu, c'est trop d'information -
pourtant, je veux en savoir plus.
— Cette amie de ta mère, elle avait quel âge ?
Il ricane.
— L'âge d'agir en connaissance de cause.
— Tu la revois ?
— Oui.
— Vous faites encore... euh...
Je m'empourpre.
— Non.
Il secoue la tête et me sourit avec indulgence.
— C'est une très bonne amie.
— Ah. Et ta mère, elle est au courant ?
Il me regarde avec l'air de me dire « ne sois pas idiote ».
— Bien sûr que non.
La serveuse revient avec du gibier, mais mon appétit a disparu. Christian, soumis...
merde alors. J'avale une grande gorgée de pinot gris - évidemment, il avait raison, c'est
délicieux. Que de révélations... Il me faudra du temps pour assimiler tout ça, quand je
serai seule. Il sait ce que c'est.
— Mais ce n'était pas à plein temps ?
— En fait, si, même si je ne la voyais pas tout le temps. Ça aurait été... compliqué. Après
tout, j'étais encore au lycée, puis je suis allé en fac. Mange, Anastasia.
— Je n'ai pas faim, Christian.
Tes aveux me coupent l'appétit. Ses traits se durcissent.
— Mange, répète-t-il d'une voix posée, trop posée.
Je fixe cet homme dont on a abusé sexuellement quand il était adolescent, et qui me
parle d'une voix si menaçante.
— Donne-moi un moment.
— D'accord, murmure-t-il en continuant à manger. Si je signe, ça sera tout le temps
comme ça. Est-ce vraiment ce dont j'ai envie ? Je reprends mes couverts pour me découper
un bout de viande. C'est très savoureux.
— C'est à ça que va ressembler notre... relation ? Tu vas me donner des ordres à tout
bout de champ ?
Je n'arrive pas à le regarder dans les yeux.
— Oui.
— Je vois.
— Et qui plus est, tu le désireras, ajoute-t-il à voix basse.
Franchement, j'en doute. Je me découpe une autre bouchée de viande et l'approche de
ma bouche.
— C'est un grand pas à franchir, dis-je avant de la manger.
— En effet.
Il ferme brièvement les yeux. Lorsqu'il les rouvre, ils sont graves.
— Anastasia, tu dois suivre ton instinct. Renseigne-toi, lis le contrat. Je serai à Portland
jusqu'à vendredi. Si tu veux m'en parler avant le week-end prochain, appelle-moi. On
pourrait peut-être dîner ensemble, disons, mercredi ? J'ai vraiment envie que ça marche,
entre nous. À vrai dire, je n'ai jamais autant désiré quoi que ce soit.
Sa sincérité et son désir se reflètent dans ses yeux. Mais justement, voilà ce que je ne
saisis pas. Pourquoi moi ? Pourquoi pas l'une des quinze ? Je suis quoi, moi, dans cette
histoire - un numéro ? La seizième d'une longue succession de femmes ?
— Qu'est-ce qui s'est passé avec les quinze ?
Il hausse les sourcils, étonné, puis secoue la tête d'un air résigné.
— Toutes sortes de choses... mais ça pourrait se résumer à...
Il se tait. Visiblement, il cherche ses mots.
— ... une incompatibilité, lâche-t-il enfin en haussant les épaules.
— Et tu penses que toi et moi, on serait compatibles ?
— Oui.
— Tu ne revois aucune d'entre elles ?
— Non, Anastasia. J'ai des relations monogames. Quel scoop !
— Je vois.
— Renseigne-toi, Anastasia.
Je pose mes couverts. Je ne peux plus rien avaler.
— C'est tout ce que tu comptes manger ?
Je hoche la tête. Il me regarde d'un air furieux mais ne dit rien. Je pousse un petit
soupir de soulagement. Toutes ces informations m'ont noué l'estomac et le vin m'a un peu
tourné la tête. Je le regarde dévorer tout ce qu'il y a dans son assiette. Il mange comme un
ogre. Il doit faire beaucoup de sport pour rester aussi mince. Le souvenir de la façon dont
son pantalon de pyjama lui descendait sur les hanches me revient à l'esprit et me trouble.
Je me tortille sur ma chaise. Il lève les yeux vers moi. Je rougis.
— Je donnerais n'importe quoi pour savoir à quoi tu penses en ce moment, dit’il.
Je m'empourpre davantage. Il me sourit d'un air malicieux.
— Je devine.
— Heureusement que tu ne peux pas lire dans mon esprit.
— Dans ton esprit, non, Anastasia. Mais dans ton corps - j'ai bien appris à le connaître
depuis hier, ronronne-t-il d'une voix suggestive.
Comment fait-il pour changer d'humeur aussi rapidement ? J'ai du mal à suivre.
Il fait signe à la serveuse pour lui demander l'addition. Une fois qu'il a payé, il se lève et
me tend la main.
— Viens.
Il me ramène à la voiture en me tenant toujours par la main. Voilà ce qui me déroute le
plus chez lui : ce contact peau sur peau, si normal, si intime. Je n'arrive pas à concilier un
geste aussi tendre et banal avec ce qu'il veut me faire dans... la Chambre rouge de la
Douleur.
Tous deux plongés dans nos pensées, nous ne parlons pas entre Olympia et Vancouver.
Il est 17 heures quand nous nous garons devant mon appartement. Il y a de la lumière -
Kate est à la maison. Sans doute en train de faire ses cartons, à moins qu'Elliot ne soit
encore avec elle. Christian arrête le moteur et je me rends compte que je vais devoir le
quitter.
— Tu veux entrer ?
Je n'ai aucune envie qu'il s'en aille.
— Non merci. J'ai du travail, se contente-t-il de dire, impassible.
Je baisse la tête, le coeur serré. Il me fait un baisemain.
— Merci pour ce week-end, Anastasia. Ça a été... merveilleux. Alors à mercredi ?
— À mercredi.
Il me fait de nouveau un baisemain et descend m'ouvrir la portière. J'ai une boule dans
la gorge, mais je ne dois pas lui laisser deviner ce que j'éprouve. Affichant un sourire
factice, je sors de la voiture pour remonter l'allée, sachant que je vais devoir affronter Kate.
À mi-chemin, je me retourne pour le regarder. Du courage, Steele.
— Ah, au fait, je porte un de tes boxers.
Je lui fais un petit sourire en tirant sur l'élastique du Calvin Klein pour qu'il le voie.
Christian en reste bouche bée. Sa réaction me remonte aussitôt le moral et je rentre chez
moi en me déhanchant. J'aurais envie de sauter sur place en donnant des coups de poings
en l'air. OUI ! Ma déesse intérieure est aux anges.
Kate est en train de ranger ses livres dans des cartons.
— Te voilà ! Où est Christian ? Et toi, ça va ?
Elle s'élance vers moi pour m'attraper par les épaules et scruter minutieusement mon
visage, avant même que je ne l'aie saluée.
Merde... Kate va exiger de tout savoir, et j'ai signé un accord m'interdisant de parler.
Comment vais-je m'en tirer ?
— Alors, c'était comment ? Je n'ai pas arrêté de penser à toi, enfin... après le départ
d'Elliot.
Elle sourit malicieusement.
Je ne peux m'empêcher de lui sourire à mon tour en la voyant s'inquiéter autant pour
moi, mais tout d'un coup, prise d'un accès de pudeur, je rosis. C'est très intime, ce que j'ai
vécu. Tout ce que j'ai vu, tout ce que je sais de Christian, tout ce que je dois cacher. Mais il
faut que je livre quelques détails à Kate, sinon elle ne me lâchera pas.
— C'était bon, Kate. Très bon, je crois, dis-je en tentant de ravaler un sourire révélateur.
— Tu crois ?
— Je n'ai pas de point de comparaison, tu sais bien.
Je hausse les épaules comme pour m'excuser.
— Il t'a fait jouir ?
Merde, qu'est-ce qu'elle est directe. Je vire au cramoisi.
— Oui.
Kate m'attire vers le canapé et prend mes mains dans les siennes.
— Alors oui, pour une première fois, c'est génial, s'exclame-t-elle. Christian doit
vraiment être doué.
Kate, si seulement tu savais.
— Moi, ma première fois, c'était immonde, reprend-elle en feignant une tristesse
comique.
— Ah?
Elle ne m'en a jamais parlé auparavant.
— Steve Patrone. Au lycée. Un con d'athlète. Il a été brutal. Je n'étais pas prête. On était
tous les deux bourrés. Accident d'après-boum. Pouah. J'ai mis des mois à me décider à
retenter le coup. Pas avec lui, cette couille molle. J'étais trop jeune. Tu as eu raison
d'attendre.
— Ma pauvre.
Kate a l'air nostalgique.
— Ouais, j'ai mis près d'un an à avoir un orgasme durant la pénétration, et toi... dès la
première fois ?
Je hoche la tête pudiquement. Ma déesse intérieure s'est mise en position du lotus, l'air
serein malgré son sourire crâneur.
— Je suis ravie que tu aies perdu ta virginité avec quelqu'un qui sait distinguer son cul
de son coude, décrète-t-elle en me faisant un clin d'oeil. Alors, tu le revois quand ?
— Mercredi. On dîne ensemble.
— Il te plaît toujours ?
— Oui. Mais je ne sais pas... où ça peut mener.
— Pourquoi ?
— Il est compliqué, Kate. Tu comprends, il vit dans un monde très différent du mien.
Génial, comme excuse. Crédible, en plus. Bien mieux que : Il a une Chambre rouge de la
Douleur et il veut faire de moi son esclave sexuelle.
— Je t'en prie, n'en fais pas une affaire d'argent, Ana. D'après Elliot, c'est très rare que
Christian sorte avec une fille.
— Ah bon ?
Ma voix vient de gravir plusieurs octaves.
Cache ton jeu, Steele ! Ma conscience me foudroie du regard en agitant un long doigt
osseux, puis se transforme en balance de la justice pour me rappeler que Christian
pourrait me faire un procès si je parle. Et alors ? Qu'est-ce que je risque, au juste ? Qu'il me
prenne tous les sous que je n'ai pas ? Il faudra que je recherche sur Google « pénalités pour
infraction à un accord de confidentialité ». C'est comme si j'avais des devoirs à faire. Il
notera peut-être ma copie. Je rougis, en me rappelant que j'ai été reçue avec mention à
l'oral de ce matin.
— Ana, qu'est-ce qu'il y a ?
— Je viens de me rappeler un truc que m'a dit Christian.
— Tu n'as plus la même tête, dit Kate affectueusement.
— Je me sens différente. En plus, j'ai mal.
— Mal?
— Un peu. Je rougis.
— Moi aussi. Ah, les hommes, glousse-t-elle en feignant le dégoût. Tous des bêtes.
Nous éclatons de rire. Tout de même, ça m'étonne :
— Tu as mal toi aussi ?
— Oui... j'ai un peu abusé.
Je glousse.
— Raconte-moi comment Elliot a abusé de toi ?
J'ai l'impression de me détendre pour la première fois depuis que je faisais la queue au
bar... avant le coup de fil qui a tout déclenché, quand j'admirais encore de loin M. Grey.
Une époque heureuse, sans complications.
Kate s'empourpre. Oh mon Dieu... Katherine Agnes Kavanagh qui se la joue Anastasia
Rose Steele. Elle a l'oeil embué. Je ne l'ai jamais vue se mettre dans cet état à cause d'un
homme. J'en reste ébahie. Qu'avez-vous fait de Kate ? Rendez-la-moi !
— Oh mon Dieu, Ana, s'épanche-t-elle, il est tellement... tout. Et quand on... ah la la,
qu'est-ce que c'est bon.
Elle en est tellement retournée qu'elle n'arrive même plus à formuler une phrase
cohérente.
— Bref, il te plaît.
Elle hoche la tête en souriant comme une bienheureuse.
— Et je le revois samedi. Il va nous aider à déménager. Elle se lève d'un bond pour faire
des pirouettes dans le salon en applaudissant. Le déménagement... Merde, j'avais oublié,
malgré les cartons qui nous entourent.
— C'est gentil.
Peut-être que si j'apprenais à connaître Elliot, il pourrait m'aider à comprendre son
frère.
— Alors, vous avez fait quoi hier soir, Elliot et toi ?
Kate penche la tête sur son épaule et hausse un sourcil en me regardant avec l'air de
dire « à ton avis, idiote ? ».
— La même chose que toi, sauf qu'on est allés dîner avant, me sourit-elle. Tu es sûre
que ça va ? Tu as l'air un peu sonnée.
— En effet. Christian est tellement impétueux.
— Ça ne m'étonne pas. Mais il a été gentil avec toi, au moins ?
— Oh oui. Je suis morte de faim, tu veux que je fasse à dîner ?
Elle hoche la tête tout en prenant des livres pour les mettre dans un carton.
— Tu vas faire quoi de ses bouquins à quatorze mille dollars ?
— Je vais les lui rendre.
— Vraiment ?
— C'est trop extravagant, comme cadeau. Je ne peux pas les accepter, surtout
maintenant.
Je souris à Kate qui acquiesce.
— Je comprends. Ah, au fait, tu as reçu deux lettres, et José a appelé toutes les heures.
Il a l'air désespéré.
— Je vais le rappeler.
Si je raconte à Kate ce qui s'est passé avec José, elle va le bouffer tout cru. Je prends
mes lettres sur la table de la salle.
— Hé, j'ai des entretiens pour deux stages ! Dans quinze jours, à Seattle !
— Dans quelles maisons d'édition ?
— Les deux que j'ai contactées.
— Je t'avais bien dit qu'avec tes résultats ce serait facile.
Évidemment, Kate a déjà décroché un stage au Seattle Times. Son père a des relations.
— Et Elliot, qu'est-ce qu'il en pense, du fait que tu partes en vacances ?
Kate me rejoint dans la cuisine, et pour la première fois de la soirée, elle a l'air triste.
— Il comprend. Quelque part, je n'ai pas envie d'y aller, mais c'est tentant de buller au
soleil pendant quinze jours. D'autant plus que maman y tient : d'après elle, ce seront nos
dernières vraies vacances en famille avant qu'on trouve des jobs, Ethan et moi.
Moi, je n'ai jamais quitté le territoire américain. Kate, elle, part aux Bermudes avec ses
parents et son frère Ethan pour quinze jours. Je serai seule dans notre nouvel
appartement. Ça me fera tout drôle. Ethan parcourt le monde depuis qu'il est sorti de fac
l'an dernier. Je me demande si je le verrai avant qu'ils ne partent en vacances. Il est
adorable.
La sonnerie du téléphone me tire de ma rêverie.
— C'est sûrement José. Je soupire.
— Allô ?
— Ana, tu es rentrée ! hurle José.
— Manifestement.
Ma voix dégouline d'ironie. Il se tait un moment.
— On peut se voir ? Je suis désolé, pour vendredi soir. J'étais bourré et toi... enfin, Ana,
s'il te plaît, pardonne-moi.
— Évidemment, que je te pardonne, José. Mais ne me refais plus jamais ce coup-là. Tu
sais que je n'éprouve pas ce genre de sentiment pour toi.
Il soupire tristement.
— Je sais, Ana. Je pensais juste que si je t'embrassais, tu pourrais changer d'avis.
— José, je t'aime énormément, je tiens beaucoup à toi. Tu es le frère que je n'ai jamais
eu et ça ne changera pas, tu le sais.
Ça me désole de lui faire de la peine, mais c'est la vérité.
— Alors tu es avec lui, maintenant ? me demande-t-il d'une voix hargneuse.
— José, je ne suis avec personne.
— Mais tu as passé la nuit avec lui.
— Ça ne te regarde pas !
— C'est parce qu'il est riche ?
— José ! Comment oses-tu dire une chose pareille ? Je ne me sens pas de force à
affronter une scène de jalousie. Je sais que je l'ai blessé, mais Christian Grey me donne
déjà bien assez de fil à retordre. José est mon ami et je l'aime beaucoup. Pour l'instant, je
n'ai aucune envie de discuter avec lui, mais je veux me montrer conciliante :
— On prend un café demain.
— O.K., à demain, alors. Tu m'appelles ? Sa voix pleine d'espoir me fend le coeur.
— Oui. Bonne soirée, José.
Je raccroche sans attendre sa réponse.
— C'est quoi, cette histoire ? me demande Kate, les poings sur les hanches, l'air plus
intraitable que jamais.
J'opte pour la franchise.
— José m'a sauté dessus vendredi.
— José ? Et Christian Grey ? Ana, tes phéromones fonctionnent à plein tube ! Mais
qu'est-ce qu'il s'imaginait, ce con ?
Elle secoue la tête, dégoûtée, et retourne faire ses cartons.
Trois-quarts d'heure plus tard, nous prenons une pause pour savourer la spécialité de
la maison, mes lasagnes. Kate débouche une bouteille de vin, et nous nous attablons
parmi les cartons pour regarder une émission de télé idiote. La vie normale, quoi. Ça me
remet les pieds sur terre après ces dernières quarante-huit heures de... folie. C'est la
première fois depuis cette fameuse soirée tequila que je mange tranquillement, sans me
faire bousculer ni engueuler. C'est quoi, cette obsession de la bouffe ? Kate débarrasse
tandis que je finis de faire les cartons dans le salon. Il nous reste une semaine pour tout
emballer.
Le téléphone sonne de nouveau. C'est Elliot. Kate me fait un clin d'oeil et gambade vers
sa chambre comme une gamine de quatorze ans. Elle devrait être en train de rédiger son
discours pour la cérémonie de remise des diplômes, puisqu'elle est major de notre
promotion, mais, apparemment, Elliot a la priorité. Qu'est-ce qu'ils ont de si spécial, les
frères Grey ? Qu'est-ce qui les rend aussi fascinants, dévorants, irrésistibles ? J'avale une
gorgée de vin en zappant d'une chaîne à l'autre. En fait, je cherche à gagner du temps. Le
fameux contrat est en train de faire un trou dans mon sac. Aurai-je la force de le lire ce
soir ?
Je prends ma tête entre mes mains. José est facile à gérer. Mais Christian... Christian
est bien plus difficile à comprendre. Une partie de moi aurait envie de fuir, de se cacher.
Que faire ? Au souvenir de son regard de braise, je tressaille. Il n'est même pas là, et je
suis excitée. Ce n'est pas seulement une histoire de cul, tout de même ? Je me rappelle
notre conversation détendue au petit déjeuner, sa joie face à mon émerveillement dans
l'hélicoptère, sa façon de jouer au piano cet air doux et mélancolique...
Il est tellement compliqué. Maintenant, je comprends un peu mieux pourquoi. Il a été
privé de son adolescence par une espèce de Mrs Robinson qui a abusé de lui
sexuellement... pas étonnant qu'il ait vieilli avant l'heure. J'ai le coeur serré en songeant à
ce qu'il a dû subir. Je suis trop ignorante pour savoir ce que c'est au juste, mais mon
enquête devrait m'en apprendre plus long. Cela dit, ai-je vraiment envie de savoir ? Est-ce
que je tiens à explorer ce monde dont j'ignore tout ? C'est un grand pas à franchir.
Si je ne l'avais pas rencontré, je serais encore plongée dans une bienheureuse
ignorance. Je repense aux expériences incroyablement sensuelles que je viens de vivre.
Serais-je prête à renoncer à tout ça ? Non ! hurle ma conscience... ma déesse intérieure
acquiesce dans un silence zen.
Kate revient dans le salon en souriant d'une oreille à l'autre. Elle est peut-être
amoureuse. Je la fixe des yeux, ébahie. Elle ne s'est jamais comportée de la sorte.
— Ana, je vais me coucher. Je suis crevée.
— Moi aussi.
Elle me serre dans ses bras.
— Je suis ravie que tu sois rentrée en bon état. Il y a quelque chose chez Christian qui
me fait froid dans le dos...
Je lui adresse un petit sourire rassurant, tout en me demandant comment elle a bien pu
deviner. Voilà ce qui fera d'elle une grande journaliste : son intuition infaillible.
J'entre dans ma chambre d'un pas traînant, épuisée par mes ébats et mon dilemme. Je
m'assieds sur mon lit pour tirer l'enveloppe en papier Kraft de mon sac. Je la retourne
entre mes mains. Suis-je prête à découvrir la dépravation de Christian dans toute son
ampleur ? Jai peur. J’inspire profondément, et l'estomac noué, j'ouvre l'enveloppe.
EL James
sur le lit pour jeter son préservatif usagé dans la corbeille.
— Allez, on s'habille : je vais te présenter à ma mère. Il se lève d'un bond et passe son
jean à même la peau. J'ai du mal à m'assoir car je suis toujours ligotée.
— Christian, je ne peux pas bouger.
Il se penche pour défaire le noeud. L'empreinte que l'étoffe a laissée sur mes poignets me
trouble. L'oeil pétillant, il m'embrasse rapidement sur le front et m'adresse un sourire
radieux.
— Encore une première, lance-t-il.
Je suis en train de me demander à quoi il fait allusion quand tout d'un coup, je
panique. Sa mère ! Nom de Dieu ! Elle nous a pratiquement surpris en flagrant délit et en
plus, je n'ai pas de vêtements propres à me mettre.
— Il vaut peut-être mieux que je reste ici.
— Pas question, menace Christian. Je peux te prêter quelque chose.
Il enfile un tee-shirt blanc et passe sa main dans ses cheveux ébouriffés. Malgré mon
angoisse, je perds le fil de mes pensées. Sa beauté me stupéfie.
— Anastasia, même avec un sac à pommes de terre tu serais ravissante. Je t'en prie, ne
t'en fais pas. J'ai vraiment envie de te présenter à ma mère. Habille-toi. Je vais aller la
rassurer. Sa bouche se pince.
— Je t'attends dans cinq minutes, sinon je viens te chercher, quelle que soit ta tenue.
Mes tee-shirts sont dans ce tiroir. Mes chemises sont dans le dressing. Sers-toi.
Il me dévisage un moment, songeur, puis s'éclipse.
Et merde, merde, merde. La mère de Christian ! Je n'en demandais pas tant. Cela dit, ça
m'aidera peut-être à reconstituer une partie du puzzle. À comprendre pourquoi Christian
est tel qu'il est... Oui, en fin de compte, j'ai' très envie de la rencontrer. Je ramasse mon
chemisier par terre, ravie de constater qu'il est à peine froissé, et retrouve sous le lit mon
soutien-gorge bleu poudre. Mais s'il y a une chose que je déteste, c'est de ne pas porter de
culotte propre. En fouillant dans les tiroirs de Christian, je déniche ses boxers. Après avoir
passé un Calvin Klein gris ajusté, j'enfile mon jean et mes Converse.
Je me précipite dans la salle de bains : j'ai les yeux trop brillants, les joues trop roses, et
quant à mes cheveux... l'horreur ! Les couettes style « je viens de me faire sauter », ça ne
me va pas, mais alors pas du tout. Je fouille dans l'armoire à la recherche d'une brosse : je
ne trouve qu'un peigne. Je vais devoir m'en contenter. J'attache mes cheveux rapidement
en contemplant ma tenue, désespérée. Je devrais peut-être prendre Christian au mot et
accepter qu'il m'offre des vêtements. Ma conscience, offusquée, lâche le mot « pute ». Je ne
l'écoute pas. J'enfile ma veste, ravie que les manches recouvrent les traces laissées sur
mes poignets par la cravate, et je jette un dernier coup d'oeil anxieux au miroir. Ça va
devoir aller. Je me rends dans la salle de séjour.
— La voici.
Christian se lève du canapé avec un regard chaleureux et admiratif. Une femme aux
cheveux blonds-roux se retourne pour m'adresser un sourire radieux et se lève à son tour.
Dans sa robe en laine mérinos camel et ses chaussures assorties, elle est très élégante, ce
Cinquante Nuances de Grey
93
qui me donne envie de rentrer sous terre : j'ai l'air d'une souillon à côté d'elle.
— Maman, je te présente Anastasia Steele. Anastasia, je te présente Grâce Trevelyan-
Grey.
Le Dr Trevelyan-Grey me tend la main. T, pour Trevelyan ? L'initiale brodée sur le
mouchoir en lin ?
— Ravie de faire votre connaissance, dit-elle.
Si je ne m'abuse, sa voix et son regard noisette chaleureux expriment à la fois
l'émerveillement, l'étonnement et le soulagement. Je lui serre la main en lui rendant son
sourire.
— Docteur Trevelyan-Grey.
— Appelez-moi Grâce, s'il vous plaît. Elle m'adresse un clin d'oeil.
— Et alors, comment vous êtes-vous rencontrés ? Elle interroge Christian du regard.
— Anastasia m'a interviewé pour le journal des étudiants de l'université de Washington,
où je remets les diplômes la semaine prochaine.
Tiens, c'est vrai, j'avais oublié.
— Donc, vous allez recevoir votre diplôme la semaine prochaine ? me demande Grâce.
— Oui.
Mon portable sonne. Je parie que c'est Kate.
— Excusez-moi.
Il est resté sur lé comptoir de la cuisine. Je réponds sans vérifier le numéro d'appel.
— Kate ?
— Dios mio, Ana !
José. Il ne manquait plus que ça.
— Tu es où ? J'ai essayé de te joindre. Je voulais m'excuser, pour vendredi. Pourquoi tu
ne m'as pas rappelé ?
— Écoute, José, tu tombes mal, là.
Je jette un coup d'oeil angoissé à Christian qui m'observe attentivement, impassible, en
murmurant quelque chose à sa mère. Je leur tourne le dos.
— Où es-tu ? Kate ne veut rien me dire, se lamente José.
— Je suis à Seattle.
— Qu'est-ce que tu fous à Seattle ? Tu es avec lui ?
— José, je te rappelle. Je ne peux pas te parler.
Je raccroche et rejoins Christian et sa mère d'un pas nonchalant. Grâce parle à cent à
l'heure.
— ... c'est Elliot qui m'a appelée pour me dire que tu étais dans le coin - ça fait deux
semaines que je ne t'ai pas vu, mon chéri.
— Ah bon, il t'a dit ça ? murmure Christian en me regardant d'un air impénétrable.
— J'avais pensé qu'on pourrait déjeuner ensemble, mais je ne veux pas te déranger, tu
as sûrement d'autres projets.
Elle prend son long manteau crème et se tourne vers lui pour lui tendre sa joue. Il
l'embrasse rapidement mais affectueusement. Elle ne le touche pas.
— Il faut que je raccompagne Anastasia à Portland.
— Bien sûr, mon chéri. Anastasia, j'ai été ravie de faire votre connaissance. J'espère que
nous nous reverrons bientôt.
Elle me tend la main, les yeux brillants. Taylor surgit... d'où ?
— Madame Grey ?
— Merci, Taylor.
Il la raccompagne. Taylor était là ? Depuis combien de temps ? Où se cachait-il ?
Christian me regarde d'un oeil mauvais.
— Alors comme ça, le photographe t'a appelée ? Merde.
— Oui.
— Qu'est-ce qu'il te voulait ?
— Simplement s'excuser pour vendredi dernier. Les paupières de Christian se plissent.
— Je vois. Taylor reparaît.
— Monsieur Grey, il y a un problème avec la cargaison du Darfour.
— Charlie Tango est à Boeing Field ?
— Oui, monsieur.
Taylor m'adresse un signe de tête.
— Mademoiselle Steele.
Je lui souris timidement. Il tourne le dos et disparaît.
— Taylor habite ici ?
— Oui.
Il m'a répondu sèchement. C'est quoi, son problème ? Christian se dirige vers la cuisine
pour prendre son BlackBerry. Il pince les lèvres en composant un numéro.
— Ros, qu'est-ce qui se passe ? aboie-t-il.
Il écoute tout en m'observant d'un oeil préoccupé. Je reste plantée au milieu du salon à
me demander quoi faire.
— Pas question de faire courir un tel risque à l'équipage. Non, annulez l'opération...
Nous parachuterons la livraison... Très bien.
Il raccroche, le regard glacial, et passe dans son bureau pour en ressortir aussitôt.
— Voici le contrat. Lis-le, nous en discuterons le week-end prochain. Je te suggère de te
documenter, pour mieux comprendre ce que ça implique.
Il se tait un instant.
— À supposer que tu acceptes, ce que j'espère sincèrement, fait-il d'une voix anxieuse et
plus douce.
— Me documenter ?
— Tu serais étonnée de tout ce qu'on peut trouver sur Internet.
Internet ? Je n'y ai pas accès, sauf sur le portable de Kate. Impossible d'utiliser celui de
Clayton's, en tout cas pour ce genre de recherche.
— Qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-il en penchant la tête sur son épaule.
— Je n'ai pas d'ordinateur. En général, j'utilise ceux de la fac. Je vais voir si je peux
emprunter le portable de Kate.
Il me tend une enveloppe en papier Kraft.
— Je peux... t'en prêter un. Prends tes affaires, je te raccompagne à Portland en voiture,
on déjeunera en route. Je m'habille.
— Il faut juste que je passe un coup de fil. J'ai besoin d'entendre la voix de Kate.
— Au photographe ?
Sa mâchoire se crispe et ses yeux me lancent des flammes.
— Je n'aime pas partager, mademoiselle Steele. Souvenez-vous-en.
Après m'avoir dévisagée froidement, il se dirige vers sa chambre.
Et merde. Je voulais simplement appeler Kate, ai-je envie de lui lancer, mais sa soudaine
froideur me paralyse. Qu'est’il arrivé à l'homme généreux, détendu et souriant qui me
faisait l'amour il n'y a pas une demi-heure ?
— Prête ? me lance Christian devant la porte du vestibule.
Je hoche la tête timidement. Il est redevenu distant, poli, guindé : bref, il a remis son
masque. Il a pris une housse à costume. Pourquoi a-t’il besoin de ça ? Il dort peut-être à
Portland. Avec son blouson en cuir noir, il n'a pas l'air d'un milliardaire mais d'un
mauvais garçon, d'une rockstar ou d'un top-modèle. Je soupire en mon for intérieur :
hélas, je n'ai pas un dixième de son aisance. Il est tellement calme et maîtrisé. Mais je me
rappelle alors son accès de colère à propos de José.
Taylor rôde encore dans les parages.
— À demain, lance Christian à Taylor, qui hoche la tête.
— Oui monsieur. Quelle voiture prenez-vous, monsieur ?
— La R8.
— Bon voyage, monsieur Grey. Mademoiselle Steele. Taylor me regarde gentiment, avec
un soupçon de pitié au fond des yeux. Sans doute croit-il que j'ai succombé aux moeurs
sexuelles douteuses de monsieur
Grey. Pas encore : simplement à ses talents érotiques exceptionnels, à moins que le sexe
ne soit comme ça pour tout le monde. Je me renfrogne à cette idée. Je n'ai aucun point de
comparaison et je n'ai pas le droit d'interroger Kate. Il va donc falloir que j'en parle avec
Christian. Mais comment m'y prendre alors qu'un instant il est ouvert et se renferme
l'instant d'après ?
Taylor nous tient la porte. Christian appelle l'ascenseur.
— Qu'est-ce qu'il y a, Anastasia ?
Comment a-t’il deviné que je ruminais quelque chose ? Il me relève le menton.
— Arrête de te mordiller la lèvre ou je vais te baiser dans l'ascenseur, tant pis si on nous
surprend.
Je rougis, mais il esquisse un sourire. Apparemment, il a encore changé d'humeur.
— Christian, j'ai un problème.
— Ah?
L'ascenseur arrive. Nous y montons.
— Eh bien...
Je rougis. Comment formuler ça ?
— Il faut que je parle à Kate. Je me pose tellement de questions sur le sexe. Si tu veux
que je fasse tous Ces trucs avec toi, comment pourrais-je savoir...
Je cherche un instant mes mots.
— Bref, je n'ai pas de point de référence. Il lève les yeux au ciel.
— Parle-lui si tu t'y sens obligée. Mais fais en sorte qu'elle n'aille pas tout répéter à
Elliot.
Cette insinuation me hérisse. Kate n'est pas comme ça.
— Elle ne ferait jamais ça, et je ne te raconterais rien de ce qu'elle me dit sur Elliot - à
supposer qu'elle me dise quoi que ce soit.
— Eh bien, la différence entre mon frère et moi, c'est que moi, je ne veux rien savoir de
sa vie sexuelle, murmure Christian sèchement. Elliot est trop curieux. Parle seulement à
Kate de ce qu'on a fait jusqu'à présent. Ta copine m'arracherait les couilles si elle savait ce
que j'ai envie te faire, ajoute-t-il, d'une voix si basse que je ne sais pas si cette remarque
m'est destinée.
Je n'ai aucune envie que Kate arrache les couilles de Christian.
Il esquisse un sourire et secoue la tête.
— Plus vite j'obtiendrai ta soumission, mieux ça vaudra. On pourra arrêter tout ce
cirque.
— Quel cirque ?
— Ta façon de me défier sans arrêt.
Il attrape mon menton et plante un baiser rapide et tendre sur mes lèvres au moment
où s'ouvrent les portes de l'ascenseur. Il me prend par la main et m'entraîne dans le garage
souterrain.
Moi, je le défie ? Comment ?
Ce n'est pas l'Audi noire qui s'ouvre avec un bip mais un cabriolet, noir également - le
genre de bagnole qui devrait inclure dans l'équipement standard une blonde toute en
jambes allongée sur le capot, vêtue uniquement d'une écharpe.
— Jolie bagnole.
Il sourit.
— Je sais.
Pendant une fraction de seconde, j'entraperçois un Christian gentil, jeune et insouciant.
Son enthousiasme m'attendrit. Ah, les garçons et leurs joujoux... Je lève les yeux au ciel
mais je ne peux pas m'empêcher de sourire. Il m'ouvre la portière. Hou là... qu'est-ce que
c'est bas. Christian contourne la voiture d'un pas souple et y glisse son grand corps avec
élégance. Mais comment fait-il ?
— C'est quoi, comme voiture ?
— Une Audi R8 Spyder... Il fait beau. On va pouvoir décapoter. Il y a une casquette de
baseball dans la boîte à gants. Il doit même y en avoir deux. Et des lunettes de soleil, si tu
veux.
Il met le contact et fait vrombir le moteur. La capote se rétracte lentement et la voix de
Bruce Springsteen s'élève. Christian sourit :
— Ah, Bruce... Comment ne pas l'aimer ?
Je sors les casquettes de baseball - celles des Madriers, l'équipe de Seattle. Tiens, je ne
savais pas qu'il était fan. Je lui en tends une, je passe ma queue de cheval à travers
l'arrière de la mienne et je baisse la visière sur mes yeux.
Les gens se retournent sur notre passage. Je pense d'abord que c'est Christian qu'ils
admirent... puis, dans ma paranoïa, je m'imagine que c'est moi qu'ils regardent parce qu'ils
savent ce que j'ai fait au cours des douze dernières heures. Je finis par comprendre que
c'est la voiture qui fait sensation. Perdu dans ses pensées, Christian ne se rend compte de
rien.
Le vent souffle sur nos têtes et Bruce chante le feu du désir. Comme Christian porte ses
Ray-Ban, je ne sais pas à quoi il pense. Sa bouche tressaille légèrement, il pose une main
sur mon genou et le presse doucement. Je retiens ma respiration.
— Tu as faim ? me demande-t-il. Je n'ai pas faim de nourriture.
— Pas spécialement. Sa bouche se durcit.
— Tu dois manger, Anastasia. Je connais un bon petit restaurant près d'Olympia. On va
s'arrêter là.
Il presse à nouveau mon genou, puis remet sa main sur le volant et appuie sur
l'accélérateur, ce qui me plaque contre mon siège. Qu'est-ce qu'elle va vite, cette bagnole...
Le restaurant Cuisine sauvage est un chalet en pleine forêt, intime et rustique, meublé
de chaises dépareillées et de nappes à carreaux, avec des fleurs des champs dans de petits
vases.
— Il y a longtemps que je ne suis pas venu ici... Il n'y a pas de menu, m'explique
Christian. On mange les fruits de la chasse ou de la cueillette du jour.
Il hausse les sourcils comme s'il était horrifié, ce qui me fait pouffer de rire. Quand la
serveuse vient nous demander ce que nous voulons boire, elle s'empourpre dès qu'elle voit
Christian et évite de croiser son regard en voilant ses yeux de sa longue frange blonde.
Elle craque pour lui ! Je ne suis pas la seule !
— Deux verres de pinot gris, tranche Christian. Je fais la moue.
— Quoi ? aboie-t-il.
— Je voudrais un Coca light. Il secoue la tête.
— Leur pinot gris est très correct. Il accompagnera bien les plats, quoi qu'on nous serve,
m'explique-t-il patiemment.
— Quoi qu'on nous serve ?
— Oui.
Il me décoche son sourire éblouissant, la tête penchée sur son épaule, et mon estomac
fait un saut à la perche par-dessus ma rate. Je ne peux pas m'empêcher de répondre à ce
sourire enjôleur.
— Tu as plu à ma mère.
— Vraiment ?
Je rosis de plaisir.
— Oui. Elle s'est toujours imaginé que j'étais gay. J'en reste bouche bée, et je me
rappelle la question de l'interview... Aïe.
— Pourquoi ?
— Parce qu'elle ne m'a jamais vu avec une fille.
— Ah... pas même l'une des quinze ? Il sourit.
— Tu te souviens du nombre. Non, aucune des quinze.
— Ah.
— Tu sais, Anastasia, pour moi aussi, ça a été un week-end avec beaucoup de
premières.
— C'est vrai ?
— Je n'ai jamais dormi avec personne, je n'ai jamais couché avec une femme dans mon
lit, je n'ai jamais fait monter une femme à bord de Charlie Tango, je n'ai jamais présenté
une femme à ma mère. Tu vois quel effet tu me fais ?
Ses yeux s'enflamment. Leur intensité me coupe le souffle.
La serveuse arrive avec nos verres de vin, et j'en avale aussitôt une gorgée. Est’il en
train de se livrer, ou énonce-t-il simplement les faits ?
— Ce week-end, ça m'a vraiment plu, Christian. Il plisse les yeux.
— Arrête de te mordiller la lèvre... À moi aussi, ajoute-t-il.
— Au fait, c'est quoi, le sexe-vanille ? Il éclate de rire.
— Le sexe, tout bêtement, Anastasia, sans joujoux ni accessoires, m'explique-t-il en
haussant les épaules. Tu sais bien... bon, en fait, tu ne sais pas, mais voilà ce que ça veut
dire.
— Ah.
Et moi qui pensais que ce qui s'était passé entre nous, c'était du sexe avec une sauce au
chocolat noir, de la crème Chantilly et une cerise à l'eau de vie ! Mais bon, pour ce que j'en
sais...
La serveuse nous apporte une soupe, que nous examinons tous les deux d'un air
dubitatif.
— Soupe aux orties, nous annonce-t-elle avant de faire volte-face pour s'enfuir vers la
cuisine.
Je crois que ça la vexe, que Christian ne fasse pas attention à elle. Je goûte. C'est
délicieux. Nos regards soulagés se croisent. Je glousse, et il penche la tête sur son épaule.
— C'est un très joli son, murmure-t-il.
— Pourquoi n'as-tu jamais pratiqué le sexe-vanille ? As-tu toujours fait... euh, ce que tu
fais ?
Il hoche lentement la tête.
— Plus ou moins.
Il fronce les sourcils un moment puis relève les yeux, comme s'il avait pris une décision.
— Une amie de ma mère m'a séduit quand j'avais quinze ans.
— Oh ?
— Elle avait des goûts très particuliers. J'ai été son soumis pendant six ans.
Il hausse les épaules. Mon cerveau s'est figé, paralysé par cet aveu stupéfiant.
— Donc je sais ce que ça représente, Anastasia.
Je le fixe, incapable d'articuler un mot - même ma conscience se tait.
— Mon initiation au sexe n'a pas été banale.
Je suis dévorée par la curiosité.
— Tu n'as donc jamais eu de copine à la fac ?
— Non, dit’il en secouant la tête.
Nous nous taisons pendant que la serveuse débarrasse. Dès qu'elle repart, je reprends :
— Pourquoi ?
Il sourit d'un air narquois.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
— Oui.
— Ça ne m'intéressait pas. Elle était tout ce je voulais, tout ce que je désirais. En plus,
elle m'aurait flanqué une volée.
Ce souvenir lui soutire un sourire attendri. Oh mon Dieu, c'est trop d'information -
pourtant, je veux en savoir plus.
— Cette amie de ta mère, elle avait quel âge ?
Il ricane.
— L'âge d'agir en connaissance de cause.
— Tu la revois ?
— Oui.
— Vous faites encore... euh...
Je m'empourpre.
— Non.
Il secoue la tête et me sourit avec indulgence.
— C'est une très bonne amie.
— Ah. Et ta mère, elle est au courant ?
Il me regarde avec l'air de me dire « ne sois pas idiote ».
— Bien sûr que non.
La serveuse revient avec du gibier, mais mon appétit a disparu. Christian, soumis...
merde alors. J'avale une grande gorgée de pinot gris - évidemment, il avait raison, c'est
délicieux. Que de révélations... Il me faudra du temps pour assimiler tout ça, quand je
serai seule. Il sait ce que c'est.
— Mais ce n'était pas à plein temps ?
— En fait, si, même si je ne la voyais pas tout le temps. Ça aurait été... compliqué. Après
tout, j'étais encore au lycée, puis je suis allé en fac. Mange, Anastasia.
— Je n'ai pas faim, Christian.
Tes aveux me coupent l'appétit. Ses traits se durcissent.
— Mange, répète-t-il d'une voix posée, trop posée.
Je fixe cet homme dont on a abusé sexuellement quand il était adolescent, et qui me
parle d'une voix si menaçante.
— Donne-moi un moment.
— D'accord, murmure-t-il en continuant à manger. Si je signe, ça sera tout le temps
comme ça. Est-ce vraiment ce dont j'ai envie ? Je reprends mes couverts pour me découper
un bout de viande. C'est très savoureux.
— C'est à ça que va ressembler notre... relation ? Tu vas me donner des ordres à tout
bout de champ ?
Je n'arrive pas à le regarder dans les yeux.
— Oui.
— Je vois.
— Et qui plus est, tu le désireras, ajoute-t-il à voix basse.
Franchement, j'en doute. Je me découpe une autre bouchée de viande et l'approche de
ma bouche.
— C'est un grand pas à franchir, dis-je avant de la manger.
— En effet.
Il ferme brièvement les yeux. Lorsqu'il les rouvre, ils sont graves.
— Anastasia, tu dois suivre ton instinct. Renseigne-toi, lis le contrat. Je serai à Portland
jusqu'à vendredi. Si tu veux m'en parler avant le week-end prochain, appelle-moi. On
pourrait peut-être dîner ensemble, disons, mercredi ? J'ai vraiment envie que ça marche,
entre nous. À vrai dire, je n'ai jamais autant désiré quoi que ce soit.
Sa sincérité et son désir se reflètent dans ses yeux. Mais justement, voilà ce que je ne
saisis pas. Pourquoi moi ? Pourquoi pas l'une des quinze ? Je suis quoi, moi, dans cette
histoire - un numéro ? La seizième d'une longue succession de femmes ?
— Qu'est-ce qui s'est passé avec les quinze ?
Il hausse les sourcils, étonné, puis secoue la tête d'un air résigné.
— Toutes sortes de choses... mais ça pourrait se résumer à...
Il se tait. Visiblement, il cherche ses mots.
— ... une incompatibilité, lâche-t-il enfin en haussant les épaules.
— Et tu penses que toi et moi, on serait compatibles ?
— Oui.
— Tu ne revois aucune d'entre elles ?
— Non, Anastasia. J'ai des relations monogames. Quel scoop !
— Je vois.
— Renseigne-toi, Anastasia.
Je pose mes couverts. Je ne peux plus rien avaler.
— C'est tout ce que tu comptes manger ?
Je hoche la tête. Il me regarde d'un air furieux mais ne dit rien. Je pousse un petit
soupir de soulagement. Toutes ces informations m'ont noué l'estomac et le vin m'a un peu
tourné la tête. Je le regarde dévorer tout ce qu'il y a dans son assiette. Il mange comme un
ogre. Il doit faire beaucoup de sport pour rester aussi mince. Le souvenir de la façon dont
son pantalon de pyjama lui descendait sur les hanches me revient à l'esprit et me trouble.
Je me tortille sur ma chaise. Il lève les yeux vers moi. Je rougis.
— Je donnerais n'importe quoi pour savoir à quoi tu penses en ce moment, dit’il.
Je m'empourpre davantage. Il me sourit d'un air malicieux.
— Je devine.
— Heureusement que tu ne peux pas lire dans mon esprit.
— Dans ton esprit, non, Anastasia. Mais dans ton corps - j'ai bien appris à le connaître
depuis hier, ronronne-t-il d'une voix suggestive.
Comment fait-il pour changer d'humeur aussi rapidement ? J'ai du mal à suivre.
Il fait signe à la serveuse pour lui demander l'addition. Une fois qu'il a payé, il se lève et
me tend la main.
— Viens.
Il me ramène à la voiture en me tenant toujours par la main. Voilà ce qui me déroute le
plus chez lui : ce contact peau sur peau, si normal, si intime. Je n'arrive pas à concilier un
geste aussi tendre et banal avec ce qu'il veut me faire dans... la Chambre rouge de la
Douleur.
Tous deux plongés dans nos pensées, nous ne parlons pas entre Olympia et Vancouver.
Il est 17 heures quand nous nous garons devant mon appartement. Il y a de la lumière -
Kate est à la maison. Sans doute en train de faire ses cartons, à moins qu'Elliot ne soit
encore avec elle. Christian arrête le moteur et je me rends compte que je vais devoir le
quitter.
— Tu veux entrer ?
Je n'ai aucune envie qu'il s'en aille.
— Non merci. J'ai du travail, se contente-t-il de dire, impassible.
Je baisse la tête, le coeur serré. Il me fait un baisemain.
— Merci pour ce week-end, Anastasia. Ça a été... merveilleux. Alors à mercredi ?
— À mercredi.
Il me fait de nouveau un baisemain et descend m'ouvrir la portière. J'ai une boule dans
la gorge, mais je ne dois pas lui laisser deviner ce que j'éprouve. Affichant un sourire
factice, je sors de la voiture pour remonter l'allée, sachant que je vais devoir affronter Kate.
À mi-chemin, je me retourne pour le regarder. Du courage, Steele.
— Ah, au fait, je porte un de tes boxers.
Je lui fais un petit sourire en tirant sur l'élastique du Calvin Klein pour qu'il le voie.
Christian en reste bouche bée. Sa réaction me remonte aussitôt le moral et je rentre chez
moi en me déhanchant. J'aurais envie de sauter sur place en donnant des coups de poings
en l'air. OUI ! Ma déesse intérieure est aux anges.
Kate est en train de ranger ses livres dans des cartons.
— Te voilà ! Où est Christian ? Et toi, ça va ?
Elle s'élance vers moi pour m'attraper par les épaules et scruter minutieusement mon
visage, avant même que je ne l'aie saluée.
Merde... Kate va exiger de tout savoir, et j'ai signé un accord m'interdisant de parler.
Comment vais-je m'en tirer ?
— Alors, c'était comment ? Je n'ai pas arrêté de penser à toi, enfin... après le départ
d'Elliot.
Elle sourit malicieusement.
Je ne peux m'empêcher de lui sourire à mon tour en la voyant s'inquiéter autant pour
moi, mais tout d'un coup, prise d'un accès de pudeur, je rosis. C'est très intime, ce que j'ai
vécu. Tout ce que j'ai vu, tout ce que je sais de Christian, tout ce que je dois cacher. Mais il
faut que je livre quelques détails à Kate, sinon elle ne me lâchera pas.
— C'était bon, Kate. Très bon, je crois, dis-je en tentant de ravaler un sourire révélateur.
— Tu crois ?
— Je n'ai pas de point de comparaison, tu sais bien.
Je hausse les épaules comme pour m'excuser.
— Il t'a fait jouir ?
Merde, qu'est-ce qu'elle est directe. Je vire au cramoisi.
— Oui.
Kate m'attire vers le canapé et prend mes mains dans les siennes.
— Alors oui, pour une première fois, c'est génial, s'exclame-t-elle. Christian doit
vraiment être doué.
Kate, si seulement tu savais.
— Moi, ma première fois, c'était immonde, reprend-elle en feignant une tristesse
comique.
— Ah?
Elle ne m'en a jamais parlé auparavant.
— Steve Patrone. Au lycée. Un con d'athlète. Il a été brutal. Je n'étais pas prête. On était
tous les deux bourrés. Accident d'après-boum. Pouah. J'ai mis des mois à me décider à
retenter le coup. Pas avec lui, cette couille molle. J'étais trop jeune. Tu as eu raison
d'attendre.
— Ma pauvre.
Kate a l'air nostalgique.
— Ouais, j'ai mis près d'un an à avoir un orgasme durant la pénétration, et toi... dès la
première fois ?
Je hoche la tête pudiquement. Ma déesse intérieure s'est mise en position du lotus, l'air
serein malgré son sourire crâneur.
— Je suis ravie que tu aies perdu ta virginité avec quelqu'un qui sait distinguer son cul
de son coude, décrète-t-elle en me faisant un clin d'oeil. Alors, tu le revois quand ?
— Mercredi. On dîne ensemble.
— Il te plaît toujours ?
— Oui. Mais je ne sais pas... où ça peut mener.
— Pourquoi ?
— Il est compliqué, Kate. Tu comprends, il vit dans un monde très différent du mien.
Génial, comme excuse. Crédible, en plus. Bien mieux que : Il a une Chambre rouge de la
Douleur et il veut faire de moi son esclave sexuelle.
— Je t'en prie, n'en fais pas une affaire d'argent, Ana. D'après Elliot, c'est très rare que
Christian sorte avec une fille.
— Ah bon ?
Ma voix vient de gravir plusieurs octaves.
Cache ton jeu, Steele ! Ma conscience me foudroie du regard en agitant un long doigt
osseux, puis se transforme en balance de la justice pour me rappeler que Christian
pourrait me faire un procès si je parle. Et alors ? Qu'est-ce que je risque, au juste ? Qu'il me
prenne tous les sous que je n'ai pas ? Il faudra que je recherche sur Google « pénalités pour
infraction à un accord de confidentialité ». C'est comme si j'avais des devoirs à faire. Il
notera peut-être ma copie. Je rougis, en me rappelant que j'ai été reçue avec mention à
l'oral de ce matin.
— Ana, qu'est-ce qu'il y a ?
— Je viens de me rappeler un truc que m'a dit Christian.
— Tu n'as plus la même tête, dit Kate affectueusement.
— Je me sens différente. En plus, j'ai mal.
— Mal?
— Un peu. Je rougis.
— Moi aussi. Ah, les hommes, glousse-t-elle en feignant le dégoût. Tous des bêtes.
Nous éclatons de rire. Tout de même, ça m'étonne :
— Tu as mal toi aussi ?
— Oui... j'ai un peu abusé.
Je glousse.
— Raconte-moi comment Elliot a abusé de toi ?
J'ai l'impression de me détendre pour la première fois depuis que je faisais la queue au
bar... avant le coup de fil qui a tout déclenché, quand j'admirais encore de loin M. Grey.
Une époque heureuse, sans complications.
Kate s'empourpre. Oh mon Dieu... Katherine Agnes Kavanagh qui se la joue Anastasia
Rose Steele. Elle a l'oeil embué. Je ne l'ai jamais vue se mettre dans cet état à cause d'un
homme. J'en reste ébahie. Qu'avez-vous fait de Kate ? Rendez-la-moi !
— Oh mon Dieu, Ana, s'épanche-t-elle, il est tellement... tout. Et quand on... ah la la,
qu'est-ce que c'est bon.
Elle en est tellement retournée qu'elle n'arrive même plus à formuler une phrase
cohérente.
— Bref, il te plaît.
Elle hoche la tête en souriant comme une bienheureuse.
— Et je le revois samedi. Il va nous aider à déménager. Elle se lève d'un bond pour faire
des pirouettes dans le salon en applaudissant. Le déménagement... Merde, j'avais oublié,
malgré les cartons qui nous entourent.
— C'est gentil.
Peut-être que si j'apprenais à connaître Elliot, il pourrait m'aider à comprendre son
frère.
— Alors, vous avez fait quoi hier soir, Elliot et toi ?
Kate penche la tête sur son épaule et hausse un sourcil en me regardant avec l'air de
dire « à ton avis, idiote ? ».
— La même chose que toi, sauf qu'on est allés dîner avant, me sourit-elle. Tu es sûre
que ça va ? Tu as l'air un peu sonnée.
— En effet. Christian est tellement impétueux.
— Ça ne m'étonne pas. Mais il a été gentil avec toi, au moins ?
— Oh oui. Je suis morte de faim, tu veux que je fasse à dîner ?
Elle hoche la tête tout en prenant des livres pour les mettre dans un carton.
— Tu vas faire quoi de ses bouquins à quatorze mille dollars ?
— Je vais les lui rendre.
— Vraiment ?
— C'est trop extravagant, comme cadeau. Je ne peux pas les accepter, surtout
maintenant.
Je souris à Kate qui acquiesce.
— Je comprends. Ah, au fait, tu as reçu deux lettres, et José a appelé toutes les heures.
Il a l'air désespéré.
— Je vais le rappeler.
Si je raconte à Kate ce qui s'est passé avec José, elle va le bouffer tout cru. Je prends
mes lettres sur la table de la salle.
— Hé, j'ai des entretiens pour deux stages ! Dans quinze jours, à Seattle !
— Dans quelles maisons d'édition ?
— Les deux que j'ai contactées.
— Je t'avais bien dit qu'avec tes résultats ce serait facile.
Évidemment, Kate a déjà décroché un stage au Seattle Times. Son père a des relations.
— Et Elliot, qu'est-ce qu'il en pense, du fait que tu partes en vacances ?
Kate me rejoint dans la cuisine, et pour la première fois de la soirée, elle a l'air triste.
— Il comprend. Quelque part, je n'ai pas envie d'y aller, mais c'est tentant de buller au
soleil pendant quinze jours. D'autant plus que maman y tient : d'après elle, ce seront nos
dernières vraies vacances en famille avant qu'on trouve des jobs, Ethan et moi.
Moi, je n'ai jamais quitté le territoire américain. Kate, elle, part aux Bermudes avec ses
parents et son frère Ethan pour quinze jours. Je serai seule dans notre nouvel
appartement. Ça me fera tout drôle. Ethan parcourt le monde depuis qu'il est sorti de fac
l'an dernier. Je me demande si je le verrai avant qu'ils ne partent en vacances. Il est
adorable.
La sonnerie du téléphone me tire de ma rêverie.
— C'est sûrement José. Je soupire.
— Allô ?
— Ana, tu es rentrée ! hurle José.
— Manifestement.
Ma voix dégouline d'ironie. Il se tait un moment.
— On peut se voir ? Je suis désolé, pour vendredi soir. J'étais bourré et toi... enfin, Ana,
s'il te plaît, pardonne-moi.
— Évidemment, que je te pardonne, José. Mais ne me refais plus jamais ce coup-là. Tu
sais que je n'éprouve pas ce genre de sentiment pour toi.
Il soupire tristement.
— Je sais, Ana. Je pensais juste que si je t'embrassais, tu pourrais changer d'avis.
— José, je t'aime énormément, je tiens beaucoup à toi. Tu es le frère que je n'ai jamais
eu et ça ne changera pas, tu le sais.
Ça me désole de lui faire de la peine, mais c'est la vérité.
— Alors tu es avec lui, maintenant ? me demande-t-il d'une voix hargneuse.
— José, je ne suis avec personne.
— Mais tu as passé la nuit avec lui.
— Ça ne te regarde pas !
— C'est parce qu'il est riche ?
— José ! Comment oses-tu dire une chose pareille ? Je ne me sens pas de force à
affronter une scène de jalousie. Je sais que je l'ai blessé, mais Christian Grey me donne
déjà bien assez de fil à retordre. José est mon ami et je l'aime beaucoup. Pour l'instant, je
n'ai aucune envie de discuter avec lui, mais je veux me montrer conciliante :
— On prend un café demain.
— O.K., à demain, alors. Tu m'appelles ? Sa voix pleine d'espoir me fend le coeur.
— Oui. Bonne soirée, José.
Je raccroche sans attendre sa réponse.
— C'est quoi, cette histoire ? me demande Kate, les poings sur les hanches, l'air plus
intraitable que jamais.
J'opte pour la franchise.
— José m'a sauté dessus vendredi.
— José ? Et Christian Grey ? Ana, tes phéromones fonctionnent à plein tube ! Mais
qu'est-ce qu'il s'imaginait, ce con ?
Elle secoue la tête, dégoûtée, et retourne faire ses cartons.
Trois-quarts d'heure plus tard, nous prenons une pause pour savourer la spécialité de
la maison, mes lasagnes. Kate débouche une bouteille de vin, et nous nous attablons
parmi les cartons pour regarder une émission de télé idiote. La vie normale, quoi. Ça me
remet les pieds sur terre après ces dernières quarante-huit heures de... folie. C'est la
première fois depuis cette fameuse soirée tequila que je mange tranquillement, sans me
faire bousculer ni engueuler. C'est quoi, cette obsession de la bouffe ? Kate débarrasse
tandis que je finis de faire les cartons dans le salon. Il nous reste une semaine pour tout
emballer.
Le téléphone sonne de nouveau. C'est Elliot. Kate me fait un clin d'oeil et gambade vers
sa chambre comme une gamine de quatorze ans. Elle devrait être en train de rédiger son
discours pour la cérémonie de remise des diplômes, puisqu'elle est major de notre
promotion, mais, apparemment, Elliot a la priorité. Qu'est-ce qu'ils ont de si spécial, les
frères Grey ? Qu'est-ce qui les rend aussi fascinants, dévorants, irrésistibles ? J'avale une
gorgée de vin en zappant d'une chaîne à l'autre. En fait, je cherche à gagner du temps. Le
fameux contrat est en train de faire un trou dans mon sac. Aurai-je la force de le lire ce
soir ?
Je prends ma tête entre mes mains. José est facile à gérer. Mais Christian... Christian
est bien plus difficile à comprendre. Une partie de moi aurait envie de fuir, de se cacher.
Que faire ? Au souvenir de son regard de braise, je tressaille. Il n'est même pas là, et je
suis excitée. Ce n'est pas seulement une histoire de cul, tout de même ? Je me rappelle
notre conversation détendue au petit déjeuner, sa joie face à mon émerveillement dans
l'hélicoptère, sa façon de jouer au piano cet air doux et mélancolique...
Il est tellement compliqué. Maintenant, je comprends un peu mieux pourquoi. Il a été
privé de son adolescence par une espèce de Mrs Robinson qui a abusé de lui
sexuellement... pas étonnant qu'il ait vieilli avant l'heure. J'ai le coeur serré en songeant à
ce qu'il a dû subir. Je suis trop ignorante pour savoir ce que c'est au juste, mais mon
enquête devrait m'en apprendre plus long. Cela dit, ai-je vraiment envie de savoir ? Est-ce
que je tiens à explorer ce monde dont j'ignore tout ? C'est un grand pas à franchir.
Si je ne l'avais pas rencontré, je serais encore plongée dans une bienheureuse
ignorance. Je repense aux expériences incroyablement sensuelles que je viens de vivre.
Serais-je prête à renoncer à tout ça ? Non ! hurle ma conscience... ma déesse intérieure
acquiesce dans un silence zen.
Kate revient dans le salon en souriant d'une oreille à l'autre. Elle est peut-être
amoureuse. Je la fixe des yeux, ébahie. Elle ne s'est jamais comportée de la sorte.
— Ana, je vais me coucher. Je suis crevée.
— Moi aussi.
Elle me serre dans ses bras.
— Je suis ravie que tu sois rentrée en bon état. Il y a quelque chose chez Christian qui
me fait froid dans le dos...
Je lui adresse un petit sourire rassurant, tout en me demandant comment elle a bien pu
deviner. Voilà ce qui fera d'elle une grande journaliste : son intuition infaillible.
J'entre dans ma chambre d'un pas traînant, épuisée par mes ébats et mon dilemme. Je
m'assieds sur mon lit pour tirer l'enveloppe en papier Kraft de mon sac. Je la retourne
entre mes mains. Suis-je prête à découvrir la dépravation de Christian dans toute son
ampleur ? Jai peur. J’inspire profondément, et l'estomac noué, j'ouvre l'enveloppe.
EL James
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