lundi 10 mars 2014

CINQUANTE NUANCES DE GREY: CHAPITRE XVI

Lentement, le monde extérieur envahit mes sens... Je flotte, détendue, alanguie,
totalement vidée. Je suis allongée sur lui, la tête sur sa poitrine, et il sent divinement bon
le linge propre et le gel douche de luxe : c'est l'odeur la plus délicieuse, la plus séduisante
du monde... l'odeur de Christian. Je ne veux plus jamais bouger de là ; j'ai envie de
respirer cet élixir pour l'éternité. Je frotte mon nez contre lui en regrettant que son teeshirt
fasse barrière entre nous. Je pose ma main sur sa poitrine. C'est la première fois que
je le touche là. Il est ferme... fort. Aussitôt, il m'agrippe la main pour m'arrêter, mais
atténue la dureté de son geste en l'attirant vers sa bouche pour m'embrasser doucement
les doigts. Il se retourne pour être au-dessus de moi.
— Ne fais plus jamais ça, murmure-t-il.
— Pourquoi est-ce que tu n'aimes pas que je te touche ?
— Parce que je suis fou.
— Juste fou, sans nuances ?
— Ma folie va bien au-delà de cinquante nuances, Anastasia.
Ah... son honnêteté est totalement désarmante.
— J'ai eu des débuts très durs dans la vie. Je ne veux pas t'imposer les détails. Mais ne
fais plus jamais ça, c'est tout.
Il frotte son nez contre le mien, puis se retire de moi et s'assoit.
— Bon, ça y est, je pense qu'on a couvert les basiques. C'était comment, pour toi ?
Il parle sur un ton à la fois très satisfait et très prosaïque, comme s'il venait de cocher
un autre élément sur sa check-list. Je suis toujours sonnée par son commentaire sur ses «
débuts très durs dans la vie » et je meurs d'envie d'en savoir plus, mais je devine qu'il
refusera de m'en parler. Qu'est-ce que c'est frustrant ! Je penche la tête de côté, comme
lui, et m'efforce de lui sourire :
— Ne t'imagine pas un seul instant que je t'ai cru quand tu m'as dit que tu me laissais
prendre les commandes. N'oublie pas que j'ai été reçue avec mention excellent, lui dis-je
en lui souriant malicieusement. Mais merci de m'en avoir donné l'illusion.
— Mademoiselle Steele, non seulement vous avez une jolie tête bien faite, mais vous avez
eu six orgasmes jusqu'ici et vous me les devez tous, se vante-t-il, redevenant enjoué.
Je rougis. Il a fait le compte ! Son front se plisse.
— Tu as quelque chose à me dire ? fait-il, brusquement sévère.
Je fronce les sourcils. Merde.
— J'ai fait un rêve ce matin.
— Ah ?
Il me regarde d'un oeil noir.
Putain de merde. Je vais encore me faire engueuler ?
— C'est arrivé pendant que je dormais.
Je me couvre les yeux d'un bras. Il ne dit rien. Je hasarde un coup d'oeil par-dessous
mon bras. Il a l'air amusé.
— Pendant que tu dormais ?
— Ça m'a réveillée.
— Je n'en doute pas. Tu rêvais de quoi ? Merde.
— De toi.
— Je faisais quoi ?
Je me cache de nouveau les yeux avec mon bras. Comme une petite fille, je me fais
croire que si je ne le vois pas, il ne peut pas me voir non plus.
— Anastasia, je faisais quoi ? Ne m'oblige pas à me répéter.
— Tu avais une cravache.
Il repousse mon bras pour découvrir mes yeux.
— Vraiment ?
— Oui.
Je suis écarlate.
— Alors il y a encore de l'espoir, murmure-t-il. J'ai plusieurs cravaches.
— En cuir marron tressé ?
Il éclate de rire.
— Non, mais je suis sûr que je pourrais m'en procurer une.
Il se penche pour me donner un petit baiser, puis se lève et ramasse son boxer. Non... il
s'en va ? Je consulte le réveil. Il n'est que 21 h 40. Je me lève aussi, j'attrape mon
pantalon de survêt et un débardeur, et je me rassois sur le lit pour l'observer. Je ne veux
pas qu'il s'en aille. Que faire ?
— Tes règles, c'est pour quand ? Quoi ?
— Je déteste ces machins, grommelle-t-il.
Il brandit le préservatif, puis le pose par terre et enfile son jean.
— Eh bien ? insiste-t-il.
Il me regarde comme s'il attendait que je lui annonce les prévisions météo pour demain.
Enfin quoi... il pousse un peu, là.
— La semaine prochaine. Je regarde mes mains.
— Il va te falloir une méthode de contraception. Qu'est-ce qu'il est autoritaire. Je le
regarde d'un oeil
vide. Il se rassoit sur le lit pour mettre ses chaussettes et ses chaussures.
— Tu as un médecin ?
Je secoue la tête. Nous sommes repassés au mode fusion-acquisition - encore un virage
à cent-quatre-vingts degrés.
Il fronce les sourcils.
— Je peux demander au mien de passer te voir avant que tu me rejoignes dimanche
matin. Ou il peut venir chez moi. Qu'est-ce que tu préfères ?
Il ne me mettrait pas un peu la pression, là ? Et puis c'est encore un truc qu'il me paie...
il est vrai qu'en réalité c'est pour son bénéfice à lui.
— Chez toi.
Comme ça, je suis certaine de le voir dimanche.
— D'accord. Je te ferai savoir l'heure du rendez-vous par mail.
— Tu pars ?
Ne pars pas... reste avec moi, s'il te plaît.
— Oui. Pourquoi ?
— Tu rentres comment ?
— Taylor vient me chercher.
— Je peux te raccompagner. J'ai une nouvelle voiture magnifique.
Il me regarde chaleureusement.
— Voilà, j'aime mieux ça. Mais je pense que tu as un peu trop bu.
— Tu as fait exprès de me faire boire ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que tu réfléchis trop, et que tu es taciturne, comme ton beau-père. Mais dès
que tu bois un peu, tu te mets à parler, et j'ai besoin que tu communiques honnêtement
avec moi. Sinon, tu te renfermes et je ne sais pas ce que tu penses. In vino ventas,
Anastasia.
— Et toi, tu penses que tu es toujours honnête avec moi ?
— J'essaie, répond-il en me regardant d'un oeil circonspect. Entre nous, ça ne marchera
que si nous sommes honnêtes l'un avec l'autre.
— J'aimerais que tu restes et que tu te serves de ça, dis-je en brandissant le deuxième
préservatif.
Il sourit, l'oeil pétillant de malice.
— Anastasia, il faut vraiment que je m'en aille. On se voit dimanche. Le contrat révisé
sera prêt, et on pourra réellement commencer à jouer.
— Jouer ?
Nom de Dieu. Mon coeur bondit.
— J'aimerais jouer une scène avec toi. Mais pas avant que tu aies signé le contrat.
— Ah. Donc, si je ne signais pas, je pourrais faire durer indéfiniment ce qui se passe en
ce moment entre nous ?
Il me regarde d'un air calculateur, sans pouvoir s'empêcher de sourire.
— C'est possible, mais je risque de craquer.
— Craquer ? Comment ?
Ma déesse intérieure, qui s'est réveillée, est toute ouïe.
Il hoche lentement la tête en souriant d'un air taquin.
— Ça pourrait se gâter méchamment. Son sourire est contagieux.
— Se gâter comment ?
— Explosions, poursuites automobiles, enlèvement, incarcération...
— Tu me kidnapperais ?
— Oh oui, sourit-il.
— Et tu me retiendrais contre mon gré ? Bon sang, qu'est-ce que c'est érotique.
— Oh oui, répète-t-il en hochant la tête. Et là, ça vire au TPE 24/7.
— Je ne comprends pas un mot de ce que tu dis. Il parle sérieusement ?
— Total Power Exchange - relation maître-esclave vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ses yeux brillent, et son excitation est palpable, même à distance. Bordel de merde.
— Bref, tu n'as pas le choix, conclut-il, sardonique.
— Manifestement.
Je ne peux pas m'empêcher de lever les yeux au ciel.
— Anastasia Steele, tu viens de faire quoi, là ? Merde.
— Rien.
— Qu'est-ce que je t'ai promis, si tu levais les yeux au ciel quand je te parle ?
Merde, merde, merde ! Il s'assoit sur le bord du lit.
— Viens là, dit’il doucement.
Je blêmis. Hou là... il parle sérieusement. Je suis tétanisée.
— Je n'ai rien signé.
— Je t'ai dit ce que je te ferais. Je suis un homme de parole. Je vais te donner la fessée,
et puis je vais te baiser, très vite, très brutalement. En fin de compte, on va en avoir
besoin, de cette capote.
Sa voix est douce, menaçante et super-excitante. Un désir puissant, aigu, brûlant, me
tord les tripes. Timidement, je déplie les jambes. Dois-je m'enfuir en courant ? Ça y est :
l'avenir de notre relation se joue ici, maintenant. Je le laisse faire ou je refuse ? Je sais que
si je dis non, tout sera fini entre nous. Vas-y ! m'implore ma déesse intérieure. Quant à ma
conscience, elle est aussi paralysée que moi.
— J'attends, dit’il. Je ne suis pas un homme patient. Pour l'amour de Dieu... Je halète,
terrifiée, excitée. Le sang bat dans mon corps, j'ai les jambes en gelée. Lentement, je rampe
vers lui.
— C'est très bien, ma petite, murmure-t-il. Maintenant, debout.
Et merde... il tient à faire durer le plaisir. Je ne sais pas si je peux tenir debout. Je
descends du lit, hésitante. Il tend la main, et je lui remets le préservatif. Tout d'un coup, il
m'attrape et me renverse sur ses genoux. D'un geste souple, il me place de façon que le
haut de mon corps repose sur le lit à côté de lui. Il cale sa jambe droite sur les miennes et
son avant-bras gauche dans le creux de mon dos pour m'immobiliser. Merde, merde,
merde.
— Pose tes mains de chaque côté de ta tête, m'ordonne-t-il.
J'obéis immédiatement.
— Pourquoi je fais ça, Anastasia ?
— Parce que j'ai levé les yeux au ciel quand tu as parlé.
J'ai du mal à articuler.
— C'est poli, d'après toi ?
— Non.
— Tu vas le refaire ?
— Non.
— Je te donnerai la fessée chaque fois que tu refais ça, compris ?
Très lentement, il baisse mon pantalon de survêt. Qu'est-ce que c'est humiliant.
Humiliant, effrayant, érotique. Il se régale. J'ai le coeur serré, j'ai du mal à respirer. Putain,
ça va faire mal, ce truc ?
Il pose la main sur mes fesses dénudées et les caresse doucement du plat de la main.
Puis sa main n'est plus là... et il me frappe - durement. Aïe ! La douleur me fait écarquiller
les yeux. J'essaie de me lever. Il me caresse là où il m'a claquée en respirant bruyamment.
Puis les claques se mettent à pleuvoir. Putain de merde que ça fait mal. Le visage crispé
par la douleur, je n'émets pas un son, mais je me tortille pour échapper aux coups,
galvanisée par l'adrénaline qui me sature le corps.
— Ne bouge pas, grogne-t-il, ou je vais te fesser plus longtemps.
Il me frotte les fesses avant de les claquer. Caresse, pelotage, claque, il prend le rythme.
Je dois me concentrer pour gérer la douleur. Il ne tape jamais au même endroit deux fois
de suite.
— Aaah !
La dixième claque m'arrache enfin un cri - je ne m'étais même pas aperçue que je les
comptais.
— Ça n'est qu'un échauffement.
Il me claque encore, puis me caresse doucement. Cette succession de claques et de
caresses est hallucinante... et de plus en plus difficile à supporter. J'ai mal au visage
tellement je le crispe. Il me caresse doucement, puis me fesse. Je crie encore.
— Il n'y a personne pour t'entendre, bébé. Sauf moi. Les claques continuent à
dégringoler. J'aurais envie
de le supplier d'arrêter. Mais je me tais. Je ne veux pas lui donner cette satisfaction. Il
poursuit à un rythme implacable. Je crie encore six fois. Dix-huit claques en tout. Mon
corps se convulsé sous son assaut impitoyable.
— Assez, souffle-t-il d'une voix rauque. Bravo, Anastasia. Maintenant, je vais te baiser.
Il caresse doucement mon cul brûlant d'un geste circulaire. Soudain, il insère deux
doigts en moi, me prenant complètement par surprise. J'inspire brusquement sous ce
nouvel assaut qui réveille mon cerveau hébété.
— Sens ça. Ton corps aime ça, Anastasia. Tu es trempée, rien que pour moi.
Il parle d'une voix émerveillée, tout en faisant aller et venir ses doigts rapidement.
Je gémis. Non, pas possible. Et puis ses doigts ne sont plus là... et je suis frustrée.
— La prochaine fois, je te fais compter les coups à haute voix. Bon, où est-elle, cette
capote ?
Il me soulève doucement pour me mettre sur le ventre dans le lit. J'entends son zip et la
déchirure du papier alu. Il m'enlève complètement mon pantalon de survêt et me fait
agenouiller pour caresser mes fesses endolories.
— Maintenant, je vais te prendre. Tu as le droit de jouir.
Quoi ? Comme si j'avais le choix.
Et puis il est en moi, me remplit, me pistonne à un rythme acharné. La sensation est
plus qu'exquise, violente, avilissante, hallucinante. Ravagée, je débranche, je ne me
concentre plus que sur ce qu'il me fait, sur ce tiraillement au fond de mon ventre, de plus
en plus puissant, de plus en plus aigu... NON !... mon corps me trahit en explosant dans
un orgasme intense.
— Ah, Ana ! s'écrie-t-il en explosant à son tour, en m'agrippant pour m'empêcher de
bouger tandis qu'il se déverse en moi.
Il s'effondre à côté de moi, à bout de souffle, puis m'attire contre lui pour enfouir son
visage dans mes cheveux en me serrant fort.
— Bienvenue chez moi, bébé.
Nous restons allongés, haletants, jusqu'à ce que nous reprenions notre souffle. Il
caresse doucement mes cheveux. J'ai la tête posée sur sa poitrine, mais je n'ose plus le
toucher. Ça y est... j'ai survécu. Ce n'était pas si terrible que ça, au fond. Je suis plus
stoïque que je l'imaginais. Ma déesse intérieure est prostrée... en tout cas, elle ne se
manifeste pas. Christian enfonce le nez dans mes cheveux et inspire profondément.
— Bravo, bébé, me murmure-t-il d'une voix enjouée. Ses paroles s'enroulent autour de
moi, moelleuses comme une serviette de luxe. Je suis tellement contente qu'il soit
heureux. Il tire sur la bretelle de mon débardeur.
— C'est ça que tu portes pour dormir ? me demande-t-il gentiment.
— Oui, fais-je d'une voix ensommeillée.
— Tu devrais dormir dans la soie et le satin, ma beauté. Je vais t'emmener faire du
shopping.
Je proteste mollement :
— J'aime bien mon survêt. Il embrasse ma tête.
— On verra, dit’il.
Nous restons allongés encore quelques minutes - ou quelques heures, qui sait ? Je
pense que je m'assoupis.
— Cette fois, il faut vraiment que j'y aille, déclare-t-il en m'embrassant sur le front. Ça
va ?
Je réfléchis avant de répondre. J'ai les fesses qui chauffent. En fait, non, elles sont
incandescentes ; étonnamment, je me sens non seulement exténuée mais radieuse. Cette
prise de conscience inattendue est une leçon d'humilité. Je ne comprends pas ce qui
m'arrive.
— Ça va.
Je suis incapable d'en dire plus. Il se lève.
— Où est la salle de bains ?
— Au bout du couloir, à gauche.
Il ramasse l'autre préservatif et sort de la chambre. Je me lève péniblement pour
remettre mon pantalon de survêt. Le tissu m'irrite un peu les fesses. Ma réaction me
déroute. Il m'avait bien dit, je ne sais plus à quel moment, que je me sentirais mieux après
une bonne fessée. Comment est-ce possible ? Je n'y comprends vraiment rien. Mais en
même temps, curieusement, oui. Je ne peux pas dire que l'expérience m'ait plu. D'ailleurs,
je ferais tout mon possible pour l'éviter, mais en ce moment... je me sens bizarrement en
sécurité, rassasiée. Je prends ma tête entre mes mains. Vraiment, c'est à en devenir folle.
Christian revient. Incapable de soutenir son regard, je fixe des yeux mes mains.
— J'ai trouvé de l'huile pour bébé. Laisse-moi t'en frotter les fesses.
Quoi ?
— Non, ça ira.
— Anastasia !
Je suis sur le point de lever les yeux au ciel, mais je me ravise aussitôt. Je suis debout
face au lit. Assis à côté de moi, il baisse doucement mon pantalon. Il le remonte et le
redescend à volonté comme la petite culotte d'une pute, me fait remarquer ma conscience
amèrement, à qui je dis d'aller se faire foutre. Christian verse de l'huile au creux de sa
main et m'en frotte les fesses tendrement - un produit qui passe du démaquillant au
baume d'après-fessée, quelle versatilité !
— J'aime te toucher, murmure-t-il.
Je ne peux qu'acquiescer : moi aussi, j'aime qu'il me touche.
— Là, dit’il en remontant mon pantalon.
Je jette un coup d'oeil à mon réveil : 22 h 30.
— Je m'en vais.
— Je te raccompagne.
Je suis toujours incapable de le regarder.
Il me prend par la main. Heureusement, Kate n'est toujours pas rentrée : elle est sans
doute sortie dîner avec ses parents et Ethan. Je suis ravie qu'elle n'ait pas été là pour
entendre ma punition.
— Il ne faut pas que tu appelles Taylor ? J'évite toujours de croiser son regard.
— Taylor est là depuis 21 heures. Regarde-moi. Quand j'obéis, je découvre qu'il me
contemple avec émerveillement.
— Tu n'as pas pleuré, murmure-t-il.
Tout d'un coup, il me prend dans ses bras pour m'embrasser avec ferveur.
— A dimanche, murmure-t-il contre mes lèvres, et ses paroles résonnent à la fois
comme une menace et une promesse.
Je le regarde monter à bord de la grosse Audi noire sans se retourner, je referme la porte
et reste plantée là, hébétée, au milieu du salon. Je ne dormirai plus ici que deux nuits, j'y
ai vécu heureuse pendant près de quatre ans... et pourtant aujourd'hui, pour la toute
première fois, je m'y sens seule et perdue. Me suis-je aventurée trop loin hors des limites
de mon identité ? Dans quoi me suis-je engagée ? Le pire, c'est que je ne peux même pas
m'assoir pour pleurer tout mon saoul. Il faut que je reste debout. Malgré l'heure tardive, je
décide d'appeler ma mère.

— Ma chérie, comment vas-tu ? C'était bien, la remise des diplômes ?
Sa voix enthousiaste m'apaise. La mienne est étranglée.
— Excuse-moi d'appeler si tard.
— Ana ? Qu'est-ce qui se passe ? Elle est devenue sérieuse.
— Rien, maman. J'avais simplement envie de t'entendre.
Elle se tait un moment.
— Ana, qu'est-ce qu'il y a ? Je t'en prie, dis-le-moi. Sa voix est douce et réconfortante et
je sais qu'elle m'aime. Je fonds en larme. Depuis quelques jours, il me semble que je
n'arrête pas de pleurer.
— S'il te plaît, Ana, parle-moi, dit-elle, angoissée.
— Maman... c'est à cause d'un homme.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? s'inquiète-t-elle.
— Rien.
Je ne veux pas l'inquiéter. Je voudrais simplement qu'elle me donne un peu de force.
— Ana, s'il te plaît, tu m'inquiètes. J'inspire profondément.
— J'ai rencontré un homme, mais il est tellement différent de moi que je ne sais pas si
on devrait être ensemble.
— Ma chérie, j'aimerais être là, près de toi. Je regrette tellement d'avoir raté ta remise de
diplôme aujourd'hui. Tu sais, mon coeur, les hommes sont parfois compliqués. Ils
appartiennent à une espèce différente. Tu le connais depuis longtemps ?
Christian appartient à une espèce différente, c'est sûr... Il vient même carrément d'une
autre planète.
— Presque trois semaines.
— Ana, ma chérie, c'est très court. Comment peux-tu connaître un homme au bout de si
peu de temps ? Vas-y doucement avec lui, tiens-lui la dragée haute jusqu'à ce que tu
décides s'il est digne de toi ou non.
Ça alors... ça me déconcerte que ma mère soit aussi perspicace, mais ses conseils
viennent trop tard. S'il est digne de moi ? Curieusement, je ne me suis jamais posé la
question. Je me demande tout le temps si je suis digne de lui.
— Mon coeur, tu as l'air malheureuse. Viens nous voir. Tu me manques, ma chérie. Et je
sais que ça ferait très plaisir à Bob. Ça te permettra de prendre un peu de recul. Tu as
besoin de faire une pause. Tu as tellement travaillé.
— J'ai deux entretiens de stage lundi à Seattle.
— Quelle bonne nouvelle !
La porte s'ouvre et Kate apparaît, souriante. Elle se rembrunit lorsqu'elle constate que
j'ai pleuré.
— Maman, il faut que j'y aille. Je viendrai vous voir dès que possible. Merci.
— Ma chérie, s'il te plaît, tu es trop jeune pour souffrir à cause d'un homme. Il faut que
tu t'amuses.
— Oui, maman. Je t'aime.
— Ana, je t'aime aussi, je t'aime tellement. Prends soin de toi, mon coeur.
Je raccroche et me tourne vers Kate, qui me dévisage, furieuse.
— C'est encore cet enfoiré de milliardaire qui t'a fait pleurer ?
— Non... enfin... euh... oui.
— Plaque-le, Ana. Depuis que tu le connais, tu es dans tous tes états. Je ne t'ai jamais
vue comme ça.
Dans le monde de Katherine Kavanagh, tout est net, noir ou blanc. Alors que le monde
où je viens de pénétrer est une palette de nuances de gris vagues et mystérieuses.

Bienvenue chez moi.
— Assieds-toi, qu'on parle un peu en buvant un coup de vin rouge. Tiens, du
Champagne ? s'exclame-t-elle en apercevant la bouteille. Et du bon, en plus.
Je souris faiblement en regardant le canapé d'un oeil craintif. J'hésite à m'en approcher.
Hum... je peux m'assoir ?
— Ça va ?
— Je me suis pris les pieds dans un carton et je suis tombée sur les fesses.
Kate ne songe pas à remettre en cause mon explication : elle sait que dans tout l'état de
Washington, il n'y a personne de plus empoté que moi. Je n'aurais jamais imaginé qu'un
jour, ça me rendrait service. Je m'assois avec précaution, agréablement surprise de
constater que la douleur est très supportable. Tout d'un coup, je repense aux paroles de
Christian dans sa suite du Heathman - si vous étiez à moi, après votre petite escapade
d'hier soir, vous ne pourriez plus vous asseoir pendant une semaine. Il m'avait très
clairement annoncé la couleur, mais, à ce moment-là, je n'avais entendu qu'une partie de
la phrase : « si vous étiez à moi ». Tous les signaux d'alarme étaient là, mais j'étais trop
naïve et trop énamourée pour les remarquer.
Kate revient au salon avec une bouteille de vin rouge et des tasses propres.
— Tiens.
Elle me tend une tasse. Ça ne sera pas aussi bon que le Bollinger.
— Ana, si c'est parce qu'il a des problèmes d'engagement, plaque-le. Je ne comprends
pas. Dans la tente, il ne te quittait pas des yeux, il te guettait comme un faucon. Si tu
veux mon avis, il est fou amoureux de toi, mais il a une drôle de manière de le montrer.
Fou amoureux de moi ? Christian ? Une drôle de manière de le montrer ? C'est le moins
qu'on puisse dire. Mais je ne peux pas discuter avec Kate sans en révéler trop.
— Kate, c'est compliqué. Et toi, comment s'est passée ta soirée ?
Heureusement, elle démarre au quart de tour. Ça me réconforte de l'entendre me
raconter des trucs normaux. La grande nouvelle, c'est qu'Ethan va peut-être venir habiter
avec nous après les vacances d'été. Ça serait génial - Ethan est très sympathique. Cela dit,
je ne crois pas que Christian serait d'accord. Eh bien... tant pis pour lui. Il va devoir se faire
une raison. Je bois deux tasses de vin avant d'aller me coucher. La journée a été très
longue. Kate me serre dans ses bras et se jette sur le téléphone pour appeler Elliot.
Je consulte la machine infernale après m'être brossé les dents. J'y trouve un mail de
Christian.

De : Christian Grey
Objet : Toi
Date : 26 Mai 2011 23:14
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
Vous êtes tout simplement exquise. La femme la plus belle, intelligente, drôle et courageuse que j'aie
jamais rencontrée. Prenez du paracétamol - c'est un ordre. Et ne reprenez plus jamais le volant de la
Coccinelle. Je le saurai.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.
Mais qu'est-ce qu'il croit ? Ne plus jamais conduire ma bagnole ? Je lui réponds
aussitôt.

De : Anastasia Steele
Objet : Flatterie Date : 26 mai 2011 23:20
A : Christian Grey
Cher monsieur Grey,
Je vous dirais bien que la flatterie ne vous mènera nulle part, mais comme vous avez déjà été partout,
l'argument n'est pas pertinent. Je vais devoir conduire ma Coccinelle jusqu'à un garage pour la vendre -
pas la peine d'essayer de m'en dissuader.
Le vin rouge est toujours préférable au paracétamol.
Ana
P.-S. : La canne est une limite À NE PAS FRANCHIR pour moi.
Je clique sur « envoyer ».

De : Christian Grey
Objet : Les femmes énervantes qui ne savent pas accepter un compliment
Date : 26 mai 2011 23:26
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
Je ne vous flatte pas. Vous devriez aller vous coucher. J'accepte votre ajout aux limites à ne pas
franchir. Ne buvez pas trop.
Taylor s'occupera de votre voiture et en obtiendra un bon prix.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

De : Anastasia Steele
Objet : Taylor est’il l'homme de la situation ?
Date : 26 mai 2011 23:40
À : Christian Grey
Cher monsieur.
Je trouve curieux que vous soyez disposé à laisser votre homme de confiance conduire ma voiture,
mais pas une femme que vous baisez de temps en temps. Comment puis-je être sûre que Taylor
obtiendra le meilleur prix pour ladite voiture ? J'ai déjà, même avant de vous rencontrer, remporté des
négociations serrées.
Ana

De : Christian Grey
Objet : Attention
Date : 26 mai 2011 23:44
À : Anastasia Steele
Chère mademoiselle Steele,
Je suppose que c'est le VIN ROUGE qui parle : vous avez eu une très longue journée.
Cela dit, je suis tenté de revenir pour m'assurer que vous ne puissiez pas vous assoir pendant une
semaine, plutôt qu'une soirée.
Taylor est un ex-militaire capable de conduire n'importe quel véhicule, de la moto au tank Sherman.
Votre voiture ne représente aucun risque pour lui.
Je vous prie de ne pas vous considérer comme « une femme que je baise de temps en temps », parce
que, très franchement, ça me rend FURIEUX, et que vous ne m'aimeriez pas lorsque je suis en colère.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

De : Anastasia Steele
Objet : Attention vous-même !
Date : 26 mai 2011 23:57
À : Christian Grey
Cher monsieur Grey,
Je ne suis pas sûre de vous aimer de toute façon, surtout en ce moment.
Mademoiselle Steele

De : Christian Grey
Objet : Attention vous-même
Date : 27 mai 2011 00:03
À : Anastasia Steele
Pourquoi tu ne m'aimes pas ?
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

De : Anastasia Steele
Objet : Attention vous-même !
Date : 26 mai 2011 00:09
À : Christian Grey
Parce que tu ne restes jamais avec moi.

Là, ça va lui donner à réfléchir. Je referme l'ordinateur d'un geste théâtral et me glisse
dans mon lit, puis j'éteins la lampe de chevet et fixe le plafond. La journée a été longue et
éprouvante. Ça m'a fait chaud au coeur de voir Ray. Il a l'air en forme, et, curieusement, il
semble apprécier Christian. Bon sang, et Kate qui n'a pas pu s'empêcher de s'en mêler. Jai
aussi appris que Christian avait connu la faim... Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Mon Dieu, et la bagnole. Je n'ai pas encore parlé de la bagnole à Kate.
Et puis, ce soir, Christian m'a frappée. On ne m'avait jamais frappée de ma vie. Dans
quoi me suis-je embarquée ? Très lentement, les larmes taries par l'arrivée de Kate se
remettent à couler sur mes tempes, jusque dans mes oreilles. Je suis tombée amoureuse
d'un homme qui refoule tellement ses sentiments qu'il va forcément me faire souffrir - je le
sais. Un homme qui, de son propre aveu, est fou. Qu'est-ce qui l'a rendu fou ? Mes sanglots
redoublent à l'idée qu'il ait pu subir des cruautés intolérables quand il était tout petit. S'il
était normal, il ne voudrait peut-être pas de toi, insinue ma conscience... je sais qu'au fond,
elle a raison. J'enfonce mon visage dans l'oreiller et j'ouvre les vannes...
Je suis tirée de mon désespoir par les cris de Kate.
— Qu'est-ce que vous foutez là ?
— Je vous l'interdis !
— Putain, qu'est-ce que vous lui avez encore fait ?
— Depuis qu'elle vous connaît elle n'arrête pas de pleurer.
— Je vous interdis d'entrer ici !
Christian fait irruption dans ma chambre et allume le plafonnier, ce qui m'éblouit.
— Mon Dieu, Ana, marmonne-t-il.
Il éteint la lumière et me rejoint aussitôt.
— Qu'est-ce que tu fais là ? dis-je entre deux sanglots.
Merde. Je n'arrive pas à arrêter de pleurer. Il allume la lampe de chevet, ce qui m'éblouit
à nouveau. Kate se dresse dans l'encadrement de la porte.
— Tu veux que je le vire, cet enfoiré ? demande-t-elle d'une voix irradiant une hostilité
thermonucléaire.
Christian hausse les sourcils, étonné par la hargne de Kate. Je secoue la tête et elle lève
les yeux au ciel. Aïe... À ta place, je ne ferais pas ça devant monsieur G.
— Appelle-moi si tu as besoin de moi, reprend-elle plus doucement. Grey, je vous ai à
l'oeil, crache-t-elle.
Elle part en laissant la porte légèrement entrouverte.
Christian me contemple, l'air grave, le teint terreux. Il porte sa veste à rayures tennis ;
de sa poche intérieure, il tire un mouchoir qu'il me tend. Je crois que j'ai encore l'autre.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Et toi, pourquoi es-tu là ?
Par miracle, mes larmes se sont taries, mais je hoqueté encore douloureusement.
— Je dois veiller à ton bien-être, ça fait partie de mon rôle. Tu m'as dit que tu voulais
que je reste, alors je suis là. Et je te trouve dans cet état. Je sais que c'est à cause de moi,
mais je ne sais pas ce que j'ai fait. C'est parce que je t'ai frappée ?
Je me redresse en grimaçant à cause de mes fesses endolories, et m'assois pour lui faire
face.
— Tu as pris du paracétamol ?
Je secoue la tête. Il plisse les yeux, se lève et sort. Je l'entends parler avec Kate, mais
pas ce qu'ils se disent. Il revient quelques instants plus tard avec des comprimés et une
tasse d'eau.
— Prends-ça, m'ordonne-t-il doucement en s'asseyant à côté de moi.
J'obéis.
— Parle-moi, chuchote-t-il. Tu m'as dit que ça allait. Je ne t'aurais pas quittée si j'avais
su que tu te mettrais dans cet état.
Je regarde mes mains. Que puis-je lui dire que je n'aie déjà dit ? J'en veux plus. Je veux
qu'il reste parce qu'il veut rester avec moi, lui, pas parce que je braille comme un veau. Et
je ne veux pas qu'il me batte. Est-ce si déraisonnable ?
— Donc, quand tu m'as dit que ça allait, ça n'allait pas. Je rougis.
— Je pensais que ça allait.
— Anastasia, il ne fallait pas me dire ce que tu pensais que je voulais entendre. Ce
n'était pas très honnête de ta part, me gronde-t-il. Comment pourrai-je te croire, après ça
?
Je le regarde timidement. Il fronce les sourcils, l'air sinistre, et passe ses deux mains
dans ses cheveux.
— Tu t'es sentie comment, pendant que je te donnais la fessée ? Et après ?
— Je n'ai pas aimé. Je préférerais que tu ne le refasses pas.
— Tu n'étais pas censée aimer.
— Et toi, pourquoi aimes-tu ça ? lui dis-je en le regardant droit dans les yeux.
Ma question semble l'étonner.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
— Crois-moi, je trouve ça fascinant.
Je n'ai pas pu m'empêcher d'adopter un ton sarcastique. Il plisse à nouveau les yeux.
— Attention.
Je blêmis.
— Tu vas encore me donner la fessée ?
— Non, pas ce soir.
Ouf... ma conscience et moi poussons un soupir de soulagement. J'insiste :
— Alors, pourquoi aimes-tu ça ?
— J'aime la sensation de contrôle que ça me procure, Anastasia. Je tiens à ce que tu te
comportes d'une certaine façon et si tu n'obéis pas, je te punirai, pour que tu apprennes à
te comporter comme je le désire. Je prends du plaisir à te punir. J'avais envie de te donner
la fessée depuis que tu m'as demandé si j'étais gay.
Ce souvenir me fait rougir. Eh bien moi aussi, j'avais envie de me battre après cette
question-là. Bref, tout ça, c'est la faute de Katherine Kavanagh ! Si c'était elle qui l'avait
interviewé et qui lui avait posé cette question, ce serait elle qui aurait mal aux fesses en ce
moment. Curieusement, cette idée me contrarie. Mais qu'est-ce qui m'arrive ?
— Si je comprends bien, tu ne m'aimes pas comme je suis.
Il me regarde fixement, de nouveau déconcerté.
— Je te trouve très bien comme tu es.
— Alors pourquoi essaies-tu de me changer ?
— Je ne veux pas te changer. J'aimerais que tu sois courtoise, que tu respectes mes
règles et que tu arrêtes de me défier. C'est pourtant simple.
— Mais tu prends du plaisir à me punir ?
— Oui, en effet.
— C'est ça que je ne comprends pas.
Il soupire et passe de nouveau ses mains dans ses cheveux.
— Je suis fait comme ça, Anastasia. J'ai besoin de te contrôler. J'ai besoin que tu te
conduises d'une certaine façon. Et j'adore voir ta jolie peau nacrée rosir et s'échauffer sous
mes mains. Ça m'excite.

Merde alors. Ça commence à se préciser.
— Donc, ce n'est pas pour me faire mal ?
Il déglutit.
— Un peu, pour voir si tu supportes, mais pas uniquement. C'est le fait que tu sois à
moi, que je puisse faire de toi ce que bon me semble, te contrôler totalement. Voilà ce qui
m'excite. Ça m'excite beaucoup, Anastasia. Écoute, je ne m'explique pas très bien... je n'ai
jamais eu à le faire, alors je n'y ai jamais vraiment réfléchi. J'ai toujours fréquenté des
gens comme moi, dit’il en haussant les épaules comme pour s'excuser. Et tu n'as toujours
pas répondu à la deuxième partie de ma question. Qu'as-tu éprouvé, après la fessée ?
— De la confusion.
— Ça t'a excitée sexuellement, Anastasia.
Il ferme un instant les yeux et quand il les rouvre pour me regarder, son regard est
torride.
Son expression réveille la part d'ombre tapie au fond de mon ventre - ma libido, réveillée
et dressée par lui, désormais insatiable.
— Ne me regarde pas comme ça, murmure-t-il.
Je fronce les sourcils. Bon sang, qu'est-ce que j'ai encore fait, maintenant ?
— Je n'ai plus de préservatifs, Anastasia, et tu es bouleversée. Contrairement à ce que
croit ta colocataire, je ne suis pas atteint de priapisme. Donc, tu as éprouvé de la
confusion ?
Je me tortille.
— Tu n'as aucun mal à être honnête avec moi par écrit. Tu me dis toujours exactement
ce que tu ressens dans tes mails. Qu'est-ce qui t'empêche de le faire de vive voix ? Est-ce
que je t'intimide autant que ça ?
Je gratte une tache imaginaire sur l'édredon bleu et crème de ma mère.
— Je suis sous le charme, Christian. Tu m'éblouis. J'ai l'impression d'être Icare et de
voler trop près du soleil.
Il inspire brusquement.
— Je crois que c'est l'inverse.
— Quoi ?
— Anastasia, c'est toi qui m'as ensorcelé. C'est évident, non ?
Non, pas pour moi. Ensorcelé... ma déesse intérieure a l'oeil fixe et la bouche ouverte.
Même elle, elle ne le croit pas.
— Tu n'as toujours pas répondu à ma question. Écris-moi un mail, s'il te plaît. Mais
maintenant, j'aimerais vraiment dormir. Je peux rester ?
— Tu veux rester ?
— Tu voulais que je reste avec toi, non ?
— Tu n'as pas répondu à ma question.
— Je t'écrirai un mail, marmonne-t-il, impatient.
Il se lève pour vider les poches de son jean de son BlackBerry, ses clés, son portefeuille
et sa monnaie. Oh la vache, qu'est-ce que les mecs trimballent comme bazar. Il retire sa
montre, ses chaussures, ses chaussettes et son Jean, et pose sa veste sur ma chaise,
avant de se glisser sous l'édredon.
— Allonge-toi, m'ordonne-t-il.
Je me glisse lentement sous les couvertures en grimaçant un peu, sans le quitter des
yeux. Ça alors... il reste. J'en suis à la fois ravie et abasourdie. Il s'accoude pour me
regarder.
— Si tu as envie de pleurer, pleure devant moi. Il faut que je sache.
— Tu veux que je pleure ?
— Pas spécialement. Je cherche simplement à savoir ce que tu ressens. Je ne veux pas
que tu me glisses entre les doigts. Éteins. Il est tard, et nous travaillons tous les deux
demain matin.
Il est toujours aussi autoritaire, mais je ne peux pas me plaindre : il est dans mon lit. Je
ne comprends toujours pas pourquoi... je devrais peut-être pleurer plus souvent devant
lui. J'éteins la lampe de chevet.
— Allonge-toi sur le côté, en me tournant le dos, murmure-t-il dans le noir.
Je lève les yeux au ciel, sachant très bien qu'il ne peut pas me voir, mais j'obéis.
Prudemment, il se rapproche, m'enlace et m'attire vers lui.
— Dors, bébé, murmure-t-il.
Je sens son nez dans mes cheveux. Il inspire profondément.
Ça alors. Christian Grey dort avec moi, et dans le confort de ses bras, je dérive vers un
sommeil paisible.


                                                                                                                  EL James

dimanche 2 mars 2014

CINQUANTE NUANCES DE GREY: CHAPITRE XV

En ouvrant à Christian, je suis prise d'un accès de pudeur intense. Il est là, sur ma
véranda, vêtu d'un jean et d'un blouson en cuir - qu'est-ce qu'il est sexy dans cette tenue.
Un sourire radieux illumine ses traits.
— Entre.
Il brandit une bouteille de Champagne.
— J'ai pensé que nous pourrions fêter ta remise de diplôme. Un bon Bollinger, ça ne
peut pas faire de mal.
— Intéressant, comme choix de vocabulaire. Il sourit.
— J'aime bien ton sens de l'humour, Anastasia.
— On n'a que des tasses à thé. On a emballé tous les verres. Ça ne te gêne pas ?
— C'est parfait.
Je passe dans la cuisine. J'ai des papillons dans l'estomac ; j'ai l'impression qu'un fauve
aux réactions imprévisibles, un jaguar ou une panthère, arpente mon salon.
— Tu veux une soucoupe ?
— Des tasses, ça ira, Anastasia, lance Christian d'une voix distraite.
Lorsque je le rejoins, je constate qu'il a trouvé ses livres, emballés dans du papier Kraft.
Je pose les tasses sur la table.
— J'aimerais que tu les reprennes, dis-je.
Merde... Il va falloir que je m'accroche pour qu'il accepte.
— Je m'en doutais. Très bien trouvée, cette citation. (Son index effilé suit distraitement
les lignes.) Mais je pensais que j'étais d'Urberville, pas Angel ? Tu as opté pour
l'avilissement. (Il m'adresse un petit sourire prédateur.) En tout cas, tu as su choisir un
passage approprié, ce qui ne m'étonne pas de ta part.
— C'est également une supplique.
Pourquoi suis-je aussi nerveuse ? J'ai la bouche sèche.
— Une supplique ? Pour que j'y aille doucement avec toi ?
Je hoche la tête.
— Ces livres, je les ai achetés pour toi, énonce-t-il posément. J'irai doucement, mais à
une condition : que tu les acceptes.
Je déglutis.
— Christian, je ne peux pas, c'est vraiment trop extravagant comme cadeau.
— Voilà, c'est bien ce que je te disais : tu passes ton temps à me défier. Je tiens à te les
donner, un point c'est tout. C'est très simple. Tu n'as pas à réfléchir. En tant que soumise,
tu n'as qu'à m'être reconnaissante. Tu te contentes d'accepter ce que je t'achète parce que
ça me fait plaisir.
— Je n'étais pas une soumise quand tu me les as offerts.
— Non... mais maintenant, tu m'as donné ton accord, Anastasia.
Son regard devient méfiant. Je soupire. Je n'aurai pas le dessus : il est temps de passer
au plan B.
— S'ils sont à moi, je peux en faire ce que je veux ?
Il lance un coup d'oeil soupçonneux mais me le concède.
— Oui.
— Dans ce cas, j'aimerais en faire don à une ONG qui travaille au Darfour, puisque ce
pays te tient à coeur. Ils pourront être vendus aux enchères.
— Si tu y tiens.
Il pince les lèvres. Je m'empourpre.
— Je vais y réfléchir.
Je ne veux pas le décevoir. Ses paroles me reviennent : je veux que vous désiriez me
faire plaisir.
— Ne réfléchis pas, Anastasia. Pas à ça. Sa voix est calme et sérieuse.
Comment ne pas réfléchir ? Fais comme si tu étais une voiture, par exemple : l'une de
ses possessions parmi tant d'autres. Ma conscience vient de se manifester. Je fais
semblant de ne pas l'avoir entendue. Maintenant, l'ambiance est tendue. Si seulement
nous pouvions revenir en arrière, au moment où il est arrivé. Comment rattraper le coup ?
Il pose la bouteille de Champagne sur la table, prend mon menton et me relève la tête
pour me regarder dans les yeux, l'air grave.
— Je vais t'acheter des tas de choses, Anastasia. Il vaut mieux que tu t'y habitues. J'en
ai les moyens. Je suis très riche.
Il se penche pour poser un petit baiser rapide et chaste sur mes lèvres.
— S'il te plaît, ajoute-t-il en me relâchant. Pute, me chuchote ma conscience.
— Ça me donne l'impression de me faire acheter.
— À tort. Tu réfléchis trop, Anastasia. Ne te condamne pas en fonction de ce que
d'autres pourraient penser de toi. Ne perds pas ton temps à ça. Pour l'instant, tu as
encore des doutes au sujet de notre accord. C'est tout à fait naturel. Tu ne sais pas à quoi
tu t'es engagée.
Je fronce les sourcils.
— Hé, stop ! m'ordonne-t-il doucement en reprenant mon menton pour tirer dessus
délicatement afin que mes dents libèrent ma lèvre inférieure. Tu ne te fais pas acheter,
Anastasia, je ne veux pas que tu penses ça de toi-même. Je t'ai offert ces bouquins parce
que je pensais qu'ils te plairaient, c'est tout. Allez, on le boit, ce Champagne ? Je lui souris
timidement.
— Voilà, j'aime mieux ça, murmure-t-il.
Il débouche le Champagne en faisant tourner la bouteille plutôt que le bouchon : elle
s'ouvre avec un petit « pop » sans qu'il en renverse une goutte. Il remplit les tasses à
moitié. Je m'étonne :
— Il est rose !
— Bollinger Grande Année Rosé 1999, une très bonne année.
— Servi dans des tasses à thé.
Il sourit.
— Servi dans des tasses à thé. Félicitations pour ton diplôme, Anastasia.
Nous entrechoquons nos tasses, il boit une gorgée, mais je ne peux pas m'empêcher de
penser qu'il fête surtout ma capitulation.
— Merci, dis-je en buvant à mon tour ce Champagne évidemment délicieux. Alors, on
passe aux limites à négocier ?
Il sourit et je rougis.
— Toujours aussi impatiente.
Christian me prend par la main et me conduit au canapé, en me tirant par le bras pour
que je m'y asseye.
— Ton beau-père n'est pas un bavard.
Ah... alors on ne négocie pas les limites ? Je préférerais qu'on se débarrasse de cette
question le plus vite possible. Ça me ronge. Je fais la moue.
— Il t'a trouvé très sympathique. Christian rit doucement.
— C'est parce que je m'y connais en pêche à la ligne.
— Comment savais-tu qu'il péchait ?
— Tu me l'as dit quand nous avons pris un café.
— Ah bon ?
Il a vraiment la mémoire des détails. Je prends une autre gorgée de Champagne. Hum...
il est vraiment très bon.
— Tu as bu du Champagne, à la réception ? Christian grimace.
— C'était dégueulasse.
— J'ai pensé à toi en le goûtant. Comment se fait-il que tu t'y connaisses aussi bien en
vin ?
— Je ne suis pas un connaisseur, Anastasia. Je sais ce qui me plaît, c'est tout.
Ses yeux brillent tellement qu'ils en sont presque argentés.
— Tu en veux plus ? me demande-t-il en désignant le Champagne.
— Je veux bien.
Christian se lève pour prendre la bouteille et remplit ma tasse. Essaie-t-il de m'enivrer ?
— Alors, prête pour le déménagement ?
— Plus ou moins.
— Tu travailles demain ?
— Oui, c'est mon dernier jour.
— Je te donnerais volontiers un coup de main avec les cartons, mais j'ai promis à ma
soeur d'aller la chercher à l'aéroport.
Tiens ? Première nouvelle.
— Mia arrive de Paris très tôt samedi matin, précise-t-il, et je dois rentrer à Seattle
demain, mais il paraît qu'Elliot va venir vous prêter main forte.
— Oui, Kate est ravie. Christian fronce les sourcils.
— Eh oui, Kate et Elliot, qui l'eût cru ?
Pour une raison que j'ignore, ça n'a pas l'air de lui faire plaisir.
— Tu vas te chercher un boulot à Seattle ? reprend-il. Quand allons-nous parler des
limites ? A quoi joue-t-il ?
— J'ai deux entretiens de stage. Il hausse un sourcil.
— Tu comptais me l'annoncer quand, au juste ?
— Euh... je te l'annonce maintenant. Il plisse les yeux.
— Où ?
Est-ce parce que je redoute qu'il n'use de son influence ? Je n'ai aucune envie de le lui
révéler.
— Dans deux maisons d'édition.
— Tu veux travailler dans l'édition ? Je hoche la tête, méfiante.
— Eh bien ?
Il me regarde patiemment, en attendant que je lui fournisse des précisions.
— Eh bien quoi ?
— Ne fais pas semblant d'être bornée, Anastasia : quelles maisons d'édition ?
— Des petites.
— Pourquoi ne veux-tu pas me dire lesquelles ?
— Pour que tu ne cherches pas à les influencer. Il fronce les sourcils.
— Dis donc, maintenant c'est toi qui fais semblant d'être borné.
Il éclate de rire.
Cinquante Nuances de Grey
165
— Borné ? Moi ? Mais quelle insolente ! Allez, bois, on va parler des limites.
Il sort mon mail de sa poche, ainsi que le contrat. Il se balade donc en permanence avec
une copie de ce truc-là ? J'en ai déjà retrouvé une dans la veste qu'il m'a prêtée. Merde, j'ai
intérêt à ne pas la laisser traîner. Je vide ma tasse.
— Tu en veux encore ?
— S'il te plaît.
Il s'apprête à m'en verser mais suspend son geste.
— Tu as mangé aujourd'hui ? Ça y est, voilà que ça le reprend.
— Oui. J'ai mangé entrée, plat et dessert avec Ray.
Enhardie par le Champagne, je lève les yeux au ciel. Il se penche vers moi pour
m'attraper le menton.
— La prochaine fois que tu me fais ça, je te donne la fessée.
Quoi ?
— Oh !
Il a l'air excité.
— Oh, répète-t-il en m'imitant. C'est comme ça, Anastasia.
Mon coeur s'emballe, et les papillons qui voltigeaient dans mon estomac s'en échappent
pour passer dans ma gorge. Pourquoi ça m'excite, moi aussi ?
Il remplit ma tasse, que je vide presque entièrement.
— Tu m'écoutes bien sagement, maintenant ? Je hoche la tête.
— Réponds-moi.
— Oui... je t'écoute bien sagement.
— Bien, dit’il en souriant. Alors : actes sexuels. On a déjà fait presque tout ce qui est sur
la liste.
Je me rapproche de lui sur le canapé pour lire par-dessus son épaule.

ANNEXE 3
LIMITES NÉGOCIÉES
Doivent être discutées et convenues entre les deux parties :
La Soumise consent-elle aux actes suivants :
• Masturbation • Pénétration vaginale
• Cunnilingus • Fisting vaginal
• Fellation • Pénétration anale
• Avaler le sperme • Fisting anal
— Pas de fisting, donc. D'autres objections ? me demande-t-il d'une voix douce.
Je déglutis.
— La pénétration anale, ça ne me tente pas plus que ça.
— Pour le fisting, d'accord, on laisse tomber. En revanche, j'aimerais vraiment t'enculer,
Anastasia. Mais ça peut attendre. En plus, ça ne s'improvise pas, ricane-t-il. Ton cul doit
être préparé.
— Préparé ?
— Oh oui. Soigneusement. Crois-moi, la pénétration anale peut être très agréable. Mais
si on essaie et que tu n'aimes pas ça, on ne le refera pas.
Il me sourit. Je cligne des yeux. Il pense que ça me plaira ? Au fait, comment sait-il que
c'est agréable ?
— On te l'a déjà fait ?
— Oui.
Bordel de merde. Je m'étrangle.
— C'était avec un homme ?
— Non. Je n'ai jamais eu de relations homosexuelles. Ça n'est pas mon truc.
— Avec Mrs Robinson ?
— Oui.
Putain... comment ? Je fronce les sourcils. Il poursuit la lecture de la liste.
— Avaler le sperme, tu sais faire. Avec mention excellent.
Je m'empourpre ; ma déesse intérieure se rengorge.
— Donc, d'accord pour le sperme ?
Je hoche la tête, incapable de le regarder dans les yeux, et je vide ma tasse.
— Tu en veux plus ? me demande-t-il.
— J'en veux plus.
Je me rappelle soudain notre conversation, plus tôt dans la journée. Est-ce de ça que
nous parlons, en réalité ?
— Jouets sexuels ? reprend-il.
Je hausse les épaules en consultant la liste.
La Soumise consent-elle à l'usage des accessoires suivants :
• Vibromasseur • Godemichet
• Plug anal • Autres jouets
vaginaux/anaux
— Plug anal ? Ça fait ce que son nom indique ? Je fronce le nez, dégoûtée.
— Oui, sourit-il. Ça fait partie de la préparation à la pénétration anale.
— Ah... et « autres », qu'est-ce que ça comprend ?
— Des boules de geisha, des oeufs... des trucs comme ça.
— Des oeufs ?
— Pas des vrais.
Il éclate de rire en secouant la tête. Je me renfrogne.
— Je suis ravie que tu me trouves amusante. Il s'arrête de rire.
— Excuse-moi. Mademoiselle Steele, veuillez me pardonner, dit’il en essayant de
prendre une mine contrite alors que ses yeux pétillent encore de rire. Alors, les jouets, ça
te pose problème ?
— Non, dis-je assez sèchement, toujours vexée.
— Anastasia, je suis désolé. Crois-moi. Je ne me moque pas de toi, mais je n'ai jamais
eu ce genre de conversation en rentrant autant dans les détails. Tu es tellement
inexpérimentée. Je suis désolé.
Je me radoucis un peu et bois une gorgée de Champagne.
— Bien. Bondage, dit’il en revenant à la liste.
Ma déesse intérieure saute sur place comme une gamine qui attend une glace.
La Soumise consent-elle à être ligotée avec les accessoires suivants :
• Cordes • Gros scotch
• Bracelets en cuir • Autres accessoires à définir
• Menottes/cadenas /chaînes

Christian hausse un sourcil :
— Alors ?
— D'accord.
Je me replonge dans la liste avec lui.
La Soumise consent-elle à être immobilisée :
• Les mains attachées devant
• Les chevilles attachées
• Les coudes attachés
• Les mains attachées derrière
• Les genoux attachés
• Les poignets attachés aux chevilles
• Ligotée à des articles fixés aux murs, meubles, etc.
• Ligotée à une barre d'écartement
• Suspension
La Soumise consent-elle à avoir les yeux bandés ? La Soumise consent-elle à être
bâillonnée ?
— Nous avons déjà parlé de la suspension. Si tu veux que ce soit une limite à ne pas
franchir, ça me va. De toute façon, ça exige beaucoup de temps et je ne t'aurai que
pendant de courtes périodes. Autre chose ?
— Ne te moque pas de moi, mais une barre d'écartement, c'est quoi ?
— Je te promets de ne pas rire. Je me suis déjà excusé deux fois, dit’il en me fusillant
du regard. Ne m'oblige pas à me répéter.
Je me recroqueville... Qu'est-ce qu'il est autoritaire.
— Une barre d'écartement, m'explique-t-il, c'est une barre avec des menottes pour les
chevilles et les poignets. J'adore.
— D'accord... Mais pour ce qui est de me faire bâillonner... J'aurais peur de ne pas
pouvoir respirer.
— Et moi, j'aurais peur si tu ne pouvais pas respirer. Je n'ai pas l'intention de te
suffoquer.
— Comment pourrai-je utiliser les mots d'alerte si je suis bâillonnée ?
Il se tait un instant.
— Premièrement, j'espère que tu n'auras jamais à les utiliser. Mais si tu es bâillonnée,
on communiquera par signes.
Et si je suis ligotée, je fais comment ? Je commence à m'embrouiller... Je crois que j'ai
trop bu.
— Le bâillon, ça me fait peur.
— D'accord. Je prends note.
Je le dévisage tout d'un coup. Je viens de comprendre un truc.
— Tu ligotes tes soumises pour ne pas qu'elles te touchent ?
Il écarquille les yeux.
— Entre autres.
— C'est pour ça que tu m'as attaché les poignets ?
— Oui.
— Tu n'aimes pas parler de ça.
Cinquante Nuances de Grey
168
— Non. Encore un peu de Champagne ? Ça te donne du courage, et il faut que je sache
comment tu vis la douleur.
Nom de Dieu... ça se corse. Il remplit ma tasse et j'avale une gorgée.
— Alors, comment vis-tu le fait qu'on t'inflige une douleur physique ? Tu te mordilles la
lèvre, ajoute-t-il d'un air ténébreux.
Je cesse aussitôt de le faire, mais je ne sais pas quoi répondre. Je rougis en regardant
mes mains.
— As-tu subi des punitions corporelles quand tu étais petite ?
— Non.
— Donc tu n'as aucun point de référence ?
— Non.
— Ça n'est pas aussi terrible que tu crois. Ton imagination est ta pire ennemie dans ce
domaine.
— Tu y tiens vraiment ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Ça fait partie intégrante de ce type de relation, Anastasia. Bon, passons aux
méthodes.
Il me montre la liste. Ma conscience court en hurlant se cacher derrière le canapé.
• Fessée • Morsure
• Fouet • Pinces à lèvres vaginales
• Cire chaude • Pinces à seins
• Palette • Glace
• Canne • Autres types/méthodes de
douleur
— Tu as déjà refusé les pinces à lèvres vaginales. C'est noté. C'est la canne qui fait le
plus mal.
Je deviens livide.
— On peut y arriver graduellement, me suggère-t-il.
— Ou pas du tout.
— Ça fait partie du contrat, bébé, mais on ira doucement.
— C'est cette histoire de punition qui m'inquiète le plus, dis-je d'une toute petite voix.
— On raye la canne de la liste pour l'instant. Au fur et à mesure que tu te feras aux
punitions, on en augmentera l'intensité.
Je déglutis. Il se penche pour m'embrasser.
— Là, ça n'était pas si effrayant, n'est-ce pas ? Je hausse les épaules, le coeur battant.
— Écoute, je voudrais qu'on parle d'une dernière chose, et après on va au lit.
— Au lit ?
Mon sang bat dans mes veines, réchauffant des parties de mon corps dont j'ignorais
encore l'existence jusqu'à très récemment.
— Oui, au lit... Anastasia, cette discussion m'a donné envie de te baiser non-stop
jusqu'à la semaine prochaine. Toi aussi, ça doit t’avoir fait de l'effet.
Je me tortille. Ma déesse intérieure halète.
— En plus, il y a un truc que j'ai envie d'essayer avec toi, ajoute-t-il.
— Quelque chose qui fait mal ?
— Mais arrête de voir la douleur partout ! Il s'agit surtout de plaisir. Je t'ai déjà fait mal?
Je rougis.
— Non.
— Bon, alors, écoute, aujourd'hui tu m'as dit que tu en voulais plus.
Il s'arrête de parler, brusquement indécis. Oh mon Dieu... où veut-il en venir ? Il me
prend la main.
— En dehors des moments où tu es ma soumise, on pourrait peut-être essayer. Je ne
sais pas si ça marchera ou si on pourra arriver à séparer les deux. C'est peut-être
impossible. Mais je suis prêt à tenter le coup. Peut-être une nuit par semaine. Je ne sais
pas encore.
Ah ben dis donc... J'en reste bouche bée. Christian Grey est prêt à aller plus loin ! Ma
conscience hasarde sa tête de harpie par-dessus le dossier du canapé.
— Mais à une condition : que tu acceptes le cadeau que je t'offre pour ton diplôme.
— Ah.
S ai bien peur d'avoir deviné ce que c'est.
— Viens, murmure-t-il.
Il se lève et me tend la main pour m'aider à me lever à mon tour. Retirant sa veste, il la
pose sur mes épaules et se dirige vers la porte.
Une voiture rouge est garée devant la maison : une Audi compacte à deux portes.
— C'est pour toi. Félicitations, murmure-t-il en m'attirant dans ses bras pour
m'embrasser les cheveux.
Il m'a acheté une putain de bagnole. Et flambant neuve, en plus. Et merde, merde,
merde... J'ai déjà eu assez de mal à accepter les livres. Je fixe la voiture d'un oeil vide en
tentant désespérément de démêler mes sentiments. Je me sens à la fois consternée,
reconnaissante, choquée qu'il soit passé à l'acte, mais, ce qui prédomine, c'est la colère.
Oui, je suis furieuse, surtout après tout ce que je lui ai dit au sujet des livres... il est vrai
qu'il avait déjà acheté cette voiture avant qu'on n'en discute.
— Anastasia, ta Coccinelle est vétuste et franchement dangereuse. S'il t'arrivait quoi que
ce soit, je ne me le pardonnerais jamais, d'autant plus qu'il m'est facile de rectifier la
situation...
Incapable de le regarder, clouée sur place, je scrute ce joujou rutilant.
— J'en ai parlé à ton beau-père. Il était pour.
Je me retourne pour le foudroyer du regard, bouche bée d'horreur.
— Tu en as parlé à Ray ! De quel droit ?
J'arrive à peine à cracher ces mots. Pauvre Ray. J'en suis humiliée pour lui.
— C'est un cadeau, Anastasia. Tu ne pourrais pas te contenter de me dire merci, tout
simplement ?
— Tu sais parfaitement bien que c'est trop.
— Pas pour moi, pas pour ma tranquillité d'esprit.
Je suis à bout d'arguments. Il est incapable de comprendre. Il a eu de l'argent toute sa
vie. Bon, d'accord, pas toute sa vie - pas quand il était tout petit. En songeant à cela, tout
d'un coup, ma perspective bascule et je regrette mon accès de colère. Après tout, ce
cadeau part d'un bon sentiment.
— J'accepte, à condition que ce ne soit qu'un prêt, comme l'ordinateur.
Il pousse un profond soupir.
— D'accord. Je te la prête. Pour une durée indéfinie.
— Non, pas pour une durée indéfinie. Pour l'instant. Merci.
Il fronce les sourcils. Je me hisse sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue.
— Merci pour la voiture, monsieur, dis-je aussi gentiment que je peux.
Tout d'un coup, il m'attrape pour me plaquer contre son corps d'une main, tandis que
de l'autre, il me tient par les cheveux.
— Tu es une femme compliquée, Ana Steele.
Il m'embrasse passionnément ; sa langue implacable se fraie un chemin entre mes
lèvres. Mon coeur s'affole. J'ai terriblement envie de lui, malgré la bagnole, les bouquins,
les limites négociées... la canne...
— J'ai besoin de tout mon sang-froid pour ne pas te baiser tout de suite, là, sur le
capot, rien que pour te prouver que tu es à moi, et que si je veux t'acheter une putain de
bagnole, je t'achète une putain de bagnole, grogne-t-il. Bon, maintenant, on rentre et tu te
mets à poil.
Il me donne un baiser rapide et dur. Aïe, il est furieux. Il m'attrape par la main et me
ramène dans l'appartement, directement dans ma chambre, sans passer par la case
départ. Ma conscience s'est à nouveau planquée derrière le canapé, la tête entre les mains.
Il allume la lampe de chevet et se fige pour me dévisager.
— Je t'en prie, ne sois pas fâché contre moi.
Son regard est impassible ; ses yeux des éclats de verre fumé.
— Excuse-moi, pour la voiture et les livres... Je me tais. Il reste silencieux et maussade.
— Tu me fais peur quand tu es en colère.
Il ferme les yeux et secoue la tête. Lorsqu'il les rouvre, son visage s'est radouci. Il inspire
profondément et déglutit.
— Retourne-toi, que je t'enlève cette robe.
Il a encore changé d'humeur en une seconde - je m'y perds. Obéissante, je me retourne,
le coeur battant ; mon malaise a cédé au désir sombre et ardent qui court dans mes veines
pour descendre jusqu'au fond de mon ventre. Il soulève les cheveux qui tombent sur mon
dos pour les passer par-dessus mon épaule droite, puis pose l'index sur ma nuque avant
de parcourir mon épine dorsale de l'ongle avec une lenteur désespérante.
— J'aime cette robe. J'aime voir ta peau.
Quand son doigt atteint l'étoffe, il le glisse dessous pour m'attirer contre lui et se penche
pour humer mes cheveux.
— Tu sens tellement bon, Anastasia.
Son nez effleure mon oreille et mon cou ; il sème des baisers légers comme des plumes
sur mon épaule.
Ses doigts parviennent au zip. Avec la même lenteur désespérante, il le descend tandis
que sa bouche passe d'une épaule à l'autre pour les lécher, les embrasser, les suçoter. Il
est tellement doué pour ça. Je me tortille langoureusement sous ses caresses.
— Tu. Vas. Apprendre. À. Te. Tenir. Tranquille, chuchote-t-il en m'embrassant sur la
nuque entre chaque mot.
Il détache l'agrafe qui retient ma robe à mon cou. Elle tombe à mes pieds.
— Pas de soutien-gorge, mademoiselle Steele ? Ça me plaît.
Il prend mes seins dans ses mains ; les pointes se dressent dès qu'il les touche.
— Lève les bras et mets-les autour de ma tête, murmure-t-il contre ma nuque.
J'obéis immédiatement. Mes seins remontent et poussent contre ses mains, ce qui en
durcit encore les pointes. Mes doigts s'emmêlent dans ses cheveux ; je tire dessus très
doucement et je penche la tête sur mon épaule pour lui livrer un accès plus facile à mon
cou.
— Mm..., me murmure-t-il à l'oreille tout en tirant sur mes tétons au même rythme que
je lui caresse les cheveux.
Je gémis : ça me fait de l'effet jusqu'à l'entrejambe.
— Tu veux que je te fasse jouir comme ça ?
Je cambre le dos pour pousser mes seins contre ses mains expertes.
— Ça vous plaît, mademoiselle Steele ?
— Mm...
— Dis-le.
Il poursuit sa lente et sensuelle torture.
— Oui.
— Oui, qui ?
— Oui... monsieur.
— Très bien, ma belle.
Il me pince les pointes des seins. Cette douleur exquise me coupe le souffle. Je gémis et
mes mains se crispent dans ses cheveux ; mon corps convulsé se tord contre le sien.
— Je pense que tu n'es pas encore prête à jouir, murmure-t-il en s'immobilisant tandis
qu'il me mordille le lobe. D'autant que tu m'as mécontenté.
Le message parvient à mon cerveau embrumé par le désir. Aïe... Qu'est-ce qui va
m'arriver ?
— Non, en fin de compte, je ne te laisserai peut-être pas jouir.
Il se consacre de nouveau à la pointe de mes seins, les tire, les tord, les malaxe. Je frotte
mon cul contre lui en ondulant.
Ses mains descendent vers mes hanches. Glissant les doigts sous l'élastique de ma
petite culotte, il l'étiré jusqu'à ce que ses pouces crèvent le tissu ; il la déchire, me
l'arrache et la jette à mes pieds... Bordel de merde. Ses mains atteignent mon sexe par
derrière ; il y introduit lentement un doigt.
— Tiens, je vois que ma petite chérie est prête, souffle-t-il.
Il me retourne pour que je sois face à lui. Sa respiration s'est accélérée. Il suce son
doigt.
— Vous avez très bon goût, mademoiselle Steele, soupire-t-il.
Merde alors.
— Déshabille-moi, m'ordonne-t-il calmement en me fixant du regard.
Je ne porte plus que mes chaussures - ou plutôt, les escarpins de Kate. Je suis prise de
court. Je n'ai jamais déshabillé un homme.
— Allez, vas-y, m'encourage-t-il doucement.
Par où commencer ? Je tends les mains vers son tee-shirt ; il les attrape en me souriant
d'un air malicieux.
— Non, dit’il en secouant la tête. Pas le tee-shirt. Pour ce que je prévois de faire, il
faudra peut-être que tu me touches.
Ses yeux étincèlent.
Tiens... première nouvelle... je peux le toucher s'il est habillé. Il saisit l'une de mes mains
pour la poser sur son érection.
— Voilà l'effet que vous me faites, mademoiselle Steele. J'inspire brusquement et
j'agrippe son sexe à travers son jean. Il sourit.
— J'ai envie d'être en toi. Retire-moi mon jean. C'est toi qui commandes.
Ai-je bien entendu ? C'est moi qui commande ? J'en reste bouche bée.
— Qu'est-ce que tu vas faire de moi ? me taquine-t-il. Toutes ces possibilités... ma
déesse intérieure rugit comme un fauve. Dans un accès de courage et de désir exacerbé, je
le pousse sur le lit. Il rit en tombant. Je le contemple, victorieuse. Ma déesse intérieure est
maintenant sur le point d'exploser. Rapidement, maladroitement, je lui arrache
chaussures et chaussettes. Il lève vers moi un regard pétillant d'amusement et de désir. Il
est... magnifique... et il est à moi. Rampant sur le lit, je le chevauche pour défaire son jean,
en glissant ma main sous la ceinture pour me prendre les doigts dans ses poils. Il ferme
les yeux et bascule ses hanches vers moi. Je tire sur ses poils en le grondant :
— Tu vas apprendre à te tenir tranquille. Il me sourit.
— Oui, mademoiselle Steele, murmure-t-il, l'oeil brillant. Dans ma poche. Capote,
souffle-t-il.
Je fouille dans sa poche, effleurant son sexe au passage, pour en extirper deux sachets
argentés que je pose sur le lit à la hauteur de ses hanches. Deux ! Mes doigts enfiévrés se
tendent vers le bouton de son jean et le défont maladroitement, tant je suis excitée.
— Toujours aussi impatiente, mademoiselle Steele, murmure-t-il, un sourire dans la
voix.
Je tire sur le zip. Mais comment lui enlever son jean ? Hum... Je tire dessus. Rien à
faire. Je fronce les sourcils. Pourquoi est-ce aussi difficile ?
— Je ne peux pas rester tranquille si tu te mordilles la lèvre, m'avertit-il.
Il soulève les hanches pour que je puisse lui retirer son jean et son boxer en même
temps, hop là... Je l'ai libéré. Il jette ses vêtements par terre d'un coup de pied.
Doux Jésus ! Il est à moi. Tout d'un coup, c'est Noël.
— Alors, qu'est-ce que tu vas faire de moi ? souffle-t-il sans la moindre trace d'humour,
maintenant.
Je tends la main pour le toucher tout en observant son expression. Sa bouche s'arrondit
; il inspire brusquement. Il est dur, mais sa peau est si lisse et veloutée... hum, quelle
combinaison délicieuse. Je me penche en avant, mes cheveux retombent sur mon visage,
et je le prends dans ma bouche. J'aspire, je suce. Il ferme les yeux. Ses hanches
tressaillent sous moi.
— Hé, Ana, doucement, gémit-il.
Je me sens tellement puissante ; c'est une sensation enivrante de le titiller, de le mettre
à l'épreuve avec ma bouche et ma langue. Lorsque je le fais coulisser dans ma bouche de
haut en bas, jusqu'au fond de ma gorge, les lèvres serrées... il se tend.
— Arrête, Ana, arrête. Je ne veux pas jouir tout de suite.
Je m'arrête en clignant des yeux, haletante, perplexe. Je pensais que c'était moi qui
commandais ? Ma déesse intérieure fait la même tête que si on lui avait chipé son cornet
de crème glacée.
— Ton innocence et ton enthousiasme sont très désarmants, halète-t-il.
Ah.
— Tiens, mets-moi ça, ajoute-t-il en me tendant un préservatif emballé.
Merde alors. Je fais comment ? Je déchire le sachet. Le préservatif me colle aux doigts.
— Pince le bout entre tes doigts et déroule-le. Il ne faut pas qu'il reste de l'air, halète-til.
Archi-concentrée, je suis ses instructions.
— Putain, tu me tues, là, Anastasia, gémit-il.
Voilà, c'est fait. J'admire mon oeuvre. C'est vraiment un magnifique spécimen masculin.
Ça m'excite énormément de le regarder.
— Maintenant, je veux m'enfoncer en toi, murmure-t-il. Je le fixe, intimidée ; il s'assoit
tout d'un coup, et nous nous retrouvons nez à nez.
— Comme ça, souffle-t-il.
Il me passe une main sous les fesses pour que je me soulève ; de l'autre, il ajuste la
position de son érection. Puis, très lentement, il me fait assoir sur lui.

J'ouvre la bouche tout grande quand il me remplit, tant je suis étonnée par cette
sensation exquise, sublime, déchirante... Pitié.
— C'est ça, bébé, prends-moi, prends tout, rugit’il en fermant les yeux un instant.
Enfoncé jusqu'à la garde, il me maintient par les hanches sans bouger pendant
plusieurs secondes... minutes... je ne sais plus, en me regardant dans les yeux.
— Comme ça, c'est bien profond, murmure-t-il.
Il bascule ses hanches tout en décrivant un cercle, et je geins... oh mon Dieu - la
sensation se répand dans mon ventre... partout. Putain !
— Encore.
Il s'exécute avec un sourire paresseux. Je renverse la tête en arrière en gémissant, mes
cheveux me fouettent le dos ; très lentement, il se rallonge.
— Tu bouges, Anastasia, tu remontes et tu redescends, comme tu veux. Prends mes
mains, souffle-t-il d'une voix rauque, basse et ô combien sexy.
Je m'accroche à ses mains comme si mon salut en dépendait. Doucement, je me soulève
et je me rassois. Son regard est brûlant, son souffle aussi irrégulier que le mien. Il soulève
ses hanches au moment où je m'assois sur lui pour me faire rebondir. Nous prenons le
rythme : monter, descendre, monter, descendre, encore et encore... et c'est si... bon.
Mon souffle haletant, cette sensation d'être totalement remplie... sensation véhémente
qui puise en moi, qui monte à toute vitesse... Je le regarde, nous ne nous quittons pas des
yeux... et je lis dans les siens de l'émerveillement : je l'émerveille.
Je le baise. C'est moi qui commande. Il est à moi, je suis à lui. Cette pensée me fait
basculer dans un gouffre comme si j'étais lestée de béton, et je jouis autour de lui avec des
hurlements incohérents... Il m'attrape par les hanches, ferme les yeux, renverse la tête en
arrière, mâchoire crispée, et jouit en silence. Je m'abats sur lui, anéantie, quelque part
entre le rêve et la réalité, dans un lieu où il n'y a plus de limites à négocier ou à ne pas
franchir.


                                                                                                                    EL James

lundi 20 janvier 2014

CINQUANTE NUANCES DE GREY: CHAPITRE XIV

Christian me surplombe en brandissant une cravache en cuir tressé. Il ne porte qu'un
vieux Levi's délavé et déchiré. Il tapote doucement la cravache dans sa paume en me
regardant avec un sourire triomphant. Je suis nue, menottée, écartelée dans son grand lit
à baldaquin. Il passe la pointe de sa cravache de mon front jusqu'au bout de mon nez pour
me faire sentir le cuir lisse et gras, puis sur mes lèvres entrouvertes et haletantes, avant de
l'enfoncer dans ma bouche pour me la faire goûter.
— Suce, m'ordonne-t-il d'une voix douce. Obéissante, je referme la bouche autour de la
pointe de la cravache.
— Assez, aboie-t-il.
Il retire la cravache de ma bouche, la passe sur mon menton, sur mon cou, la fait
tournoyer dans le creux entre mes clavicules, puis glisser entre mes seins jusqu'à mon
nombril. Je me tords en tirant sur les liens qui me mordent les poignets et les chevilles. Il
trace des cercles dans mon nombril, puis s'oriente plein sud, à travers ma toison, jusqu'à
mon clitoris. Il donne une petite chiquenaude avec la cravache, gifle cuisante qui me fait
jouir glorieusement en hurlant ma délivrance.
Tout d'un coup, je me réveille, désorientée, à bout de souffle, inondée de sueur, secouée
par la violence de mon orgasme. Nom de Dieu. Qu'est-ce qui vient de m'arriver ? Je suis
seule dans ma chambre. Comment ? Pourquoi? Je me redresse, encore sous le choc... ça
alors. Il fait jour. Je consulte mon réveil : 8 heures. Je prends ma tête entre mes mains. Je
n'ai jamais eu de rêve érotique. Est-ce quelque chose que j'ai mangé ? Peut-être les
huîtres, ou alors ce sont mes recherches sur Internet qui se sont traduites par ce premier
rêve mouillé. C'est déconcertant. Je n'imaginais pas qu'on puisse avoir un orgasme en
dormant.
Kate s'affaire dans la cuisine quand j'y entre en titubant.
— Ana, ça va ? Tu fais une drôle de tête. C'est la veste de Christian que tu portes ?
Merde, j'aurais dû me regarder dans le miroir. J'évite son regard perçant. Je suis encore
sous le coup de mon rêve.
— Oui, c'est la veste de Christian. Elle fronce les sourcils.
— Tu as dormi ?
— Pas très bien.
Je me dirige vers la bouilloire. Il me faut mon thé.
— Et ce dîner, c'était comment ? Ça y est, c'est parti.
— On a mangé des huîtres, de la morue...
— Pouah, j'ai horreur des huîtres. Mais on s'en fout, de ce que vous avez bouffé.
Christian, il était comment ? Vous avez parlé de quoi ?
— Il a été très attentionné.
Je me tais. Que dire ? Que son résultat VIH est négatif, qu'il adore les jeux de rôles, qu'il
veut que j'obéisse à tous ses ordres, qu'il a déjà fait mal à une femme en la suspendant au
plafond et qu'il voulait me baiser dans le salon privé du Heathman ? Ce serait un bon
résumé de la soirée, non ? J'essaie désespérément de me rappeler un détail que je puisse
raconter à Kate.
— Il n'approuve pas Wanda.
— Il n'est pas le seul, Ana. Pourquoi tant de pudeur ? Allez, aboule, ma cocotte.
— Je ne sais pas, moi... on a parlé de tas de choses. De ses caprices alimentaires, par
exemple. Ah, au fait, il a adoré ta robe.
L'eau commence à bouillir. J'en profite pour faire diversion :
— Tu veux du thé ? Tu veux me lire ton discours ?
— Oui, je veux bien. J'y ai travaillé hier soir. Et, oui, j'aimerais bien du thé.
Kate sort chercher son ordinateur.
Ouf. J'ai réussi à détourner la curiosité de Kate Kavanagh. Je coupe un bagel en deux
pour le glisser dans le grille-pain. Puis je rougis en me rappelant mon rêve. Mais d'où ça
sort, ça ?
Je ne sais plus où j'en suis. La relation que me propose Christian ressemble plutôt à
une offre d'emploi, avec des horaires, une description de poste, et une procédure de
règlement des griefs assez radicale. Ce n'est pas ainsi que j'envisageais ma première
histoire d'amour. Mais, les histoires d'amour, ça n'est pas le truc de Christian, il a été
assez clair là-dessus. Si je lui dis que j'en veux plus, il refusera sans doute... ce qui
compromettra l'accord qu'il m'a proposé. Et voilà ce qui m'inquiète, parce que je ne veux
pas le perdre. Mais je ne suis pas certaine d'avoir le courage d'être sa soumise. Au fond, ce
sont les cannes et les fouets qui me fichent la trouille. Je suis lâche, je ferais n'importe
quoi pour éviter la douleur physique. Je repense à mon rêve... et si c'était comme ça ? Ma
déesse intérieure agite ses pompons de majorette, en me hurlant que oui.
Kate revient dans la cuisine avec son ordinateur. Je me concentre sur mon bagel en
écoutant patiemment son discours de major de la promotion.
Lorsque Ray se pointe sur la véranda dans son costume débraillé, je suis envahie par
une telle bouffée de gratitude et d'amour pour cet homme simple et aimant que je me jette
à son cou. Cette démonstration d'affection assez inhabituelle le prend de court.
— Hé, Annie, moi aussi je suis content de te voir, marmonne-t-il en me serrant dans ses
bras.
Il me lâche, pose ses mains sur mes épaules et me scrute de la tête aux pieds, le front
plissé.
— Ça va, gamine ?
— Mais oui. Une fille n'a pas le droit d'être contente de voir son papa ?
Il sourit, le coin de ses yeux se plisse, et il me suit dans le salon.
— Tu es jolie.
— Kate m'a prêté une robe.
Je baisse les yeux vers ma robe dos-nu en mousseline grise.
— Et Kate, au fait, où est-elle ?
— Elle est déjà sur place. Comme elle prononce un discours, il fallait qu'elle arrive en
avance.
— On y va ?
— Papa, on a encore une demi-heure. Tu veux un thé ? Il faut que tu me donnes des
nouvelles de Montesano. Tu as fait bonne route ?
Ray se gare dans le parking du campus, et nous suivons le flot de toges noires et rouges
qui s'achemine vers le gymnase.
— Annie, tu as l'air nerveuse. Tu as le trac ?
Et merde... Voilà que Ray se met à avoir le sens de l'observation. C'est bien le moment !
— Oui, papa. C'est un grand jour pour moi. Et je vais voir Christian.
— Eh oui, mon bébé a passé sa licence. Je suis très fier de toi, Annie.
— Merci, papa.
Qu'est-ce que je l'aime, cet homme.
Le gymnase est bondé. Ray va s'assoir dans les gradins. J'ai l'impression que
l'anonymat de ma toge et de ma toque me protègent. Il n'y a encore personne sur l'estrade
mais je n'arrive pas à me calmer. Christian est là, quelque part. Kate est peut-être en train
de lui parler, de l'interroger. Je me fraie un chemin jusqu'à ma chaise parmi les autres
étudiants dont le nom commence par un « S ». Comme je suis au deuxième rang, j'espère
passer inaperçue. Regardant derrière moi, je repère Ray tout en haut des gradins. Je lui
adresse un signe. Il y répond, un peu gêné. Je m'assois.
L'auditorium se remplit et le bourdonnement des voix s'intensifie. Je suis flanquée de
deux filles que je ne connais pas, des étudiantes d'un autre département, manifestement
grandes copines, qui se penchent au-dessus de moi pour bavarder.
À 11 heures précises, le président de l'université sort des coulisses, suivi des trois viceprésidents
et des professeurs vêtus de leurs toges. Nous nous levons pour les applaudir.
Certains professeurs inclinent la tête et agitent la main, d'autres ont l'air blasé. Comme
toujours, le professeur Collins, mon directeur d'études, a l'air d'être tombé du lit. Kate et
Christian sont les derniers à arriver sur scène. Christian est superbe avec son costume
gris et ses cheveux cuivrés qui brillent sous les spots. Il a pris son air le plus sérieux et le
plus réservé. Quand il s'assoit, il déboutonne sa veste et j'aperçois sa cravate. Merde
alors... c'est la cravate ! Par réflexe, je me frotte les poignets. Il l'a sûrement choisie exprès.
L'assistance s'assoit et les applaudissements cessent.
— Tu as vu ce mec ? souffle à sa copine l'une de mes voisines, excitée comme une puce.
— Canon !
Je me raidis. Je suis sûre qu'elles ne parlent pas du professeur Collins.
— Ça doit être lui, Christian Grey.
— Il est célibataire ?
Hérissée, j'interviens :
— Je ne crois pas.
— Ah ?
Les deux filles me regardent, étonnées.
— En fait, je crois qu'il est gay.
— Quel gâchis, geint l'une des filles.
Tandis que le président prononce son discours, Christian scrute discrètement la salle.
Je me tasse sur ma chaise en rentrant les épaules pour ne pas me faire remarquer. Peine
perdue : une seconde plus tard, ses yeux trouvent les miens. Il me regarde fixement,
impassible. Je me tortille, hypnotisée par son regard ; le sang me monte lentement au
visage. Mon rêve de ce matin me revient, et les muscles de mon ventre ont un spasme
délectable. J'aspire brusquement. L'ombre fugace d'un sourire passe sur ses lèvres. Il
ferme brièvement les yeux et lorsqu'il les rouvre, son visage est redevenu indifférent. Après
avoir jeté un coup d'oeil au président, il regarde droit devant lui, l'oeil fixé sur l'emblème
de l'université accroché au-dessus de l'entrée. Le président n'en finit plus de discourir,
mais Christian m'ignore obstinément.
Pourquoi ? A-t’il changé d'avis ? Le malaise me gagne. Quand je l'ai planté là hier soir, il
a peut-être cru que c'était fini entre nous. Ou bien il en a marre d'attendre que je me
décide. Ou alors il est furieux que je n'aie pas répondu à son dernier mail. Bon Dieu, j'ai
tout fait foirer.
Les applaudissements éclatent quand Mlle Katherine Kavanagh monte sur l'estrade. Le
président s'assoit, et Kate rejette ses cheveux magnifiques sur ses épaules tout en
disposant ses notes sur le pupitre en prenant tout son temps, sans se laisser intimider par
les mille personnes qui l'observent. Lorsqu'elle est prête, elle sourit, balaie la foule du
regard et se lance dans un discours brillant et plein d'esprit. Mes voisines éclatent de rire
dès qu'elle fait sa première plaisanterie. Katherine Kavanagh, tu es vraiment douée. Je suis
tellement fière d'elle qu'à ce moment-là je ne songe plus à Christian Grey. Même si j'ai déjà
entendu son discours, je l'écoute attentivement. Elle maîtrise son public et l'entraîne avec
elle.
Son thème, c'est « Après l'université, quoi ? ». Quoi, en effet ? Christian observe Kate en
haussant les sourcils - je crois qu'il est étonné. Oui, c'est Kate qui aurait pu l'interviewer.
C'est à Kate qu'il aurait pu faire sa proposition indécente. La belle Kate et le beau
Christian. Je pourrais, comme mes deux voisines, être obligée de me contenter de
l'admirer de loin. Quoique. Kate, elle, l'aurait envoyé se faire foutre. Qu'a-t-elle dit de lui
l'autre jour ? Qu'il lui faisait froid dans le dos. Moi, ce qui me ferait froid dans le dos, ce
serait de voir s'affronter Kate et Christian. Je ne saurais pas sur lequel parier.
Kate conclut son discours avec brio. Spontanément, le public se lève pour lui offrir sa
première standing ovation. Je lui souris en l'acclamant, moi aussi, et elle répond à mon
sourire. Bravo, Kate. Elle s'assoit, le public aussi, et le président se lève pour présenter
Christian... Tiens donc, Christian va faire un discours. Le président esquisse rapidement
son parcours : chef d'entreprise, self-made-man...
— ... mais également un mécène très généreux de notre université. Je souhaite la
bienvenue à M. Christian Grey.
Le président serre vigoureusement la main de Christian tandis que le public applaudit
poliment. J'ai le coeur dans la gorge. Christian s'approche du pupitre et balaie la salle d'un
regard assuré. Mes voisines tendent le cou, captivées. D'ailleurs, j'ai l'impression que la
plupart des femmes ainsi que quelques hommes se sont penchés en avant sur leurs
chaises. Il commence à parler d'une voix douce, posée, hypnotique.
— Je suis profondément touché et reconnaissant de l'honneur que me fait la
Washington State University aujourd'hui. Cela me permet de vous faire connaître le travail
impressionnant réalisé par le département des sciences de l'environnement, ici même.
Nous cherchons à mettre au point des méthodes agricoles viables et écologiquement
durables dans les pays en voie de développement, afin d'aider à éradiquer la faim et la
pauvreté dans le monde. Plus d'un milliard de personnes, surtout en Afrique subsaharienne,
en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, vivent dans une pauvreté abjecte.
Les dysfonctionnements de l'agriculture, endémiques dans ces régions du globe,
provoquent des ravages écologiques et sociaux terribles. J'ai moi-même connu la faim. Ce
projet représente donc un enjeu très personnel pour moi...
Quoi ? Christian a connu la faim ? Alors Jà... Tout s'éclaire. Il était sincère quand il
affirmait qu'il voulait nourrir la planète. Je me ratisse désespérément le cerveau pour me
rappeler les détails de l'article de Kate. Il a été adopté à l'âge de quatre ans, il me semble.
Je ne peux pas m'imaginer que Grâce l'ait affamé, alors ça a dû être avant, quand il était
tout petit. Je déglutis, le coeur serré en songeant à ce garçonnet affamé. Mon Dieu. Quelle
existence a-t’il menée avant que les Grey ne l'adoptent ?
Une indignation violente m'envahit. Pauvre Christian... Philanthrope, pervers, cinglé...
Même si je suis certaine qu'il ne se voit pas comme ça ; il ne supporterait pas qu'on ait
pitié de lui.
Tout d'un coup, la foule se lève pour l'applaudir. Je suis le mouvement, mais je n'ai pas
entendu la moitié de son discours. Je n'arrive pas à croire qu'il arrive à s'occuper d'une
ONG, à diriger une entreprise gigantesque et à me courtiser en même temps. C'est trop
pour un seul homme. Je me rappelle les bribes de conversations au sujet du Darfour, son
obsession de la bouffe... tout se tient.
Il sourit brièvement - même Kate applaudit - puis retourne s'assoir sans regarder dans
ma direction. Nous entamons ensuite le long et fastidieux processus de la remise des
diplômes. Il y a plus de quatre cents étudiants et une bonne heure s'écoule avant qu'on ne
m'appelle. Je m'avance vers l'estrade entre mes deux voisines qui gloussent. Christian
m'adresse un regard chaleureux mais réservé.
— Félicitations, mademoiselle Steele, me dit’il en me serrant la main et en la pressant
doucement.
Lorsque sa chair touche la mienne, je sens une décharge électrique.
— Votre ordinateur est en panne ? me glisse-t-il en me tendant mon diplôme.
— Non.
— Donc, c'est que vous ne répondez pas à mes mails ?
— Je n'ai vu que celui concernant la fusion-acquisition en cours.
Il m'interroge du regard, mais je dois avancer parce que je bloque la file.
Je retourne m'assoir. Des mails ? Il a dû m'en écrire un deuxième.
La cérémonie met encore une heure à se conclure. Cela me paraît interminable. Enfin, le
président et les professeurs quittent la scène sous les applaudissements, suivis par
Christian et Kate. Christian ne me jette même pas un coup d'oeil. Ma déesse intérieure est
vexée comme un pou.
Alors que j'attends que ma rangée se disperse, Kate me fait signe en se dirigeant vers
moi.
— Christian veut te parler, me lance-t-elle.
Mes deux voisines se retournent pour me dévisager, bouches bées.
— Il m'a envoyée te chercher, reprend-elle. Ah...
— Ton discours était génial, Kate.
— Pas mal, non ? sourit-elle. Alors, tu viens ? Il a beaucoup insisté, précise-t-elle en
levant les yeux au ciel.
— Je ne peux pas laisser Ray seul trop longtemps.
Je me tourne vers Ray pour lui faire signe que je reviens dans cinq minutes. Il hoche la
tête et je suis Kate dans les coulisses. Christian est en train de discuter avec le président
et deux des professeurs. Il s'interrompt dès qu'il m'aperçoit.
— Excusez-moi, messieurs.
Il me rejoint et fait un petit sourire à Kate.
— Merci.
Avant qu'elle n'ait pu répondre, il m'attrape par le coude et m'entraîne dans le vestiaire
des hommes. Après avoir vérifié qu'il était vide, il verrouille la porte.
Nom de Dieu, qu'est-ce qu'il me veut ?
— Pourquoi n'as-tu pas répondu à mes mails et à mes SMS ?
Je tombe des nues.
— Je n'ai pas allumé mon ordinateur aujourd'hui ni mon téléphone.
Donc, il a essayé de me joindre. Je tente la tactique de diversion qui s'est avérée si
efficace avec Kate.
— C'était très bien, ton discours.
— Merci.
— Explique-moi tes problèmes avec la nourriture. Exaspéré, il passe sa main dans ses
cheveux.
— Anastasia, je n'ai pas envie de parler de ça pour l'instant, soupire-t-il en fermant les
yeux. J'étais inquiet pour toi.
— Inquiet ? Pourquoi ?
— J'avais peur que tu aies eu un accident dans cette épave qui te sert de voiture.
— Je te demande pardon, mais ma bagnole est en bon état. José la révise régulièrement.
— Le photographe ?
Le visage de Christian devient glacial. Eh merde.
— Oui, la Coccinelle appartenait à sa mère.
— Et sans doute à la mère de sa mère, et à sa mère à elle avant ça. C'est un danger
public, cette bagnole.
— Je roule avec depuis plus de trois ans. Mais je suis désolée que tu te sois autant
inquiété. Pourquoi ne m'as-tu pas appelée sur mon fixe ?
Quand même, il pousse un peu, là. Il inspire profondément.
— Anastasia, j'ai besoin que tu me répondes. Ça me rend fou, d'attendre comme ça...
— Christian, je... écoute, j'ai laissé mon beau-père tout seul.
— Demain. Je veux une réponse d'ici demain.
— D'accord. Demain, je te dirai.
Il recule d'un pas, me regarde froidement et ses épaules se détendent.
— Tu restes prendre un verre ? me demande-t-il.
— Ça dépend de Ray.
— Ton beau-père ? J'aimerais faire sa connaissance. Non... Pourquoi ?
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Christian déverrouille la porte, les lèvres
pincées.
— Tu as honte de moi ?
— Non !
C'est à mon tour d'être exaspérée.
— Je te présente comment ? « Papa, voici l'homme qui m'a déflorée et qui veut entamer
une relation sado-maso avec moi ? » J'espère que tu cours vite.
Christian me fusille du regard, mais les commissures de ses lèvres tressaillent. Et, bien
que je sois furieuse contre lui, je ne peux pas m'empêcher de répondre à son sourire.
— Sache que je cours très vite, en effet. Tu n'as qu'à lui dire que je suis un ami,
Anastasia.
Il m'ouvre la porte. J'ai la tête qui tourne. Le président, les trois vice-présidents, quatre
professeurs et Kate me fixent des yeux tandis que je passe devant eux. Merde. Laissant
Christian avec les profs, je pars chercher Ray.
Tu n'as qu'à lui dire que je suis un ami.
Un ami avec bénéfices, ricane ma conscience. Je sais, je sais... Je chasse cette pensée
déplaisante. Comment présenterai-je Christian à Ray ? La salle est encore à moitié pleine
et Ray n'a pas bougé de son siège. Il me voit, agite la main et descend.
— Hé, Annie. Félicitations.
Il pose le bras sur mes épaules.
— Tu veux venir prendre un verre dans la tente ?
— Bien sûr. C'est ton grand jour. On fait ce que tu veux.
— On n'est pas obligés si tu n'en as pas envie. S'il te plaît, dis non...
— Annie, je viens de passer deux heures et demie à écouter des discours à n'en plus
finir. J'ai besoin de boire un coup.
Je passe mon bras sous le sien et nous suivons la foule dans la chaleur du début
d'après-midi. Nous passons devant la file d'attente du photographe officiel.

— Au fait, on en fait une pour l'album de famille, Annie ? dit Ray en tirant un appareil
photo de sa poche.
Je lève les yeux au ciel tandis qu'il me photographie.
— Je peux retirer ma toge et ma toque, maintenant ? Je me sens un peu tarte avec ça.
Parce que tu es une tarte... Ma conscience est d'humeur railleuse. Alors comme ça, tu vas
présenter Ray au type qui te baise ? Elle me dévisage d'un oeil sévère par-dessus ses
lunettes. Il va être fier de toi, ton père. Bon sang, qu'est-ce que je la déteste, parfois.
L'immense tente est bondée d'étudiants, de parents, de professeurs et d'amis qui
bavardent joyeusement. Ray me tend une coupe de Champagne, ou plutôt de mousseux
bas de gamme, tiède et trop sucré. Je songe à Christian... Cane lui plaira pas.
— Ana !
Je me retourne. Ethan Kavanagh me prend dans ses bras et me fait tournoyer sans
renverser une goutte de mon vin - un exploit.
— Félicitations !
Il me sourit largement ; ses yeux verts pétillent.
Quelle surprise ! Il est sexy, avec ses boucles blond foncé en bataille, et il est aussi
beau que Kate : leur ressemblance est frappante.
— Waouh ! Ethan ! Qu'est-ce que je suis contente de te voir ! Papa, je te présente
Ethan, le frère de Kate. Ethan : mon père, Ray Steele.
Ils se serrent la main. Mon père jauge Ethan d'un oeil nonchalant tandis que je
l'interroge :
— Tu es rentré quand d'Europe ?
— Il y a une semaine, mais je voulais faire la surprise à ma petite soeur, m'affirme-t-il
d'un air de conspirateur.
— C'est gentil.
— Je ne voulais pas rater l'événement. Il a l'air extrêmement fier de sa soeur.
— Son discours était formidable, dis-je.
— En effet, acquiesce Ray.
Ethan me tient toujours par la taille lorsque je croise le regard gris glacial de Christian
Grey, qui s'approche avec Kate. Elle fait la bise à Ray, qui s'empourpre :
— Bonjour Ray. Vous connaissez le petit ami d'Ana ? Christian Grey ?
Bordel de putain de merde... Kate ! Ma tête se vide d'un coup de tout son sang.
— Ravi de vous rencontrer, monsieur Steele, dit Christian d'une voix chaleureuse.
Il ne semble absolument pas déconcerté par la façon dont Kate l'a présenté. Tout à son
honneur, Ray non plus : il serre la main que lui tend Christian.
Merci beaucoup, Katherine Kavanagh. Je crois que ma conscience est tombée dans les
pommes.
— Monsieur Grey, murmure Ray.
Son visage ne trahit aucune émotion mais ses grands yeux bruns, légèrement
écarquillés, se tournent vers moi comme pour me demander « tu comptais me l'annoncer
quand ? ». Je me mords la lèvre.
— Et voici mon frère, Ethan Kavanagh, dit Kate à Christian.
Christian adresse un regard glacial à Ethan, qui m'enlace toujours.
— Monsieur Kavanagh.
Ils se serrent la main. Christian me tend la sienne.
— Ana, bébé.
Ce mot doux manque me faire défaillir.
Je m'arrache à l'étreinte d'Ethan pour rejoindre Christian. Kate me sourit. Elle savait
très bien ce qu'elle faisait, cette chipie !
— Ethan, papa et maman voudraient nous parler, lance-t-elle en entraînant son frère.
— Alors, les jeunes, vous vous connaissez depuis longtemps ?
Ray nous dévisage tranquillement, Christian et moi.
Je suis incapable d'articuler un mot. Je voudrais que la terre s'ouvre pour m'engloutir.
Christian m'enlace et caresse mon dos nu de son pouce avant de poser sa main sur mon
épaule.
— Environ deux semaines. Nous nous sommes rencontrés quand Anastasia est venue
m'interviewer pour le journal des étudiants.
— Tu ne m'avais pas dit que tu travaillais pour le journal, Ana, me reproche Ray.
Je retrouve enfin ma voix.
— Kate était souffrante. Je l'ai remplacée au pied levé.
— Très beau discours, monsieur Grey.
— Merci, monsieur. Ana m'a dit que vous aimiez beaucoup la pêche à la ligne ?
Ray hausse les sourcils et sourit - il le fait rarement, mais ses sourires sont toujours
sincères - et ils entament une discussion sur la pêche, tellement passionnée que je
commence à me sentir de trop. Bref, Christian fait son numéro de charme à mon père...
comme il te l'a fait à toi, me lance ma conscience. Je m'excuse pour aller retrouver Kate.
Elle est en train de bavarder avec ses parents, qui m'accueillent chaleureusement. Nous
échangeons quelques banalités sur leur voyage aux Bermudes et notre déménagement.
Dès que je peux prendre Kate à part, je l'engueule :
— Kate, comment as-tu pu dire ça à Ray ?
— Tu ne l'aurais jamais fait. Christian a des problèmes d'engagement, non ? Comme ça,
il ne peut plus reculer, m'explique Kate avec un sourire angélique.
Je la foudroie du regard. C'est moi qui ne veux pas m'engager, idiote ! Moi !
— Il l'a très bien pris, Ana. Arrête de flipper. Regarde-le : il ne te quitte pas des yeux.
Ray et Christian sont en effet en train de me regarder.
— Il t'observe tout le temps.
— Il faut que j'aille à la rescousse de Ray... Ou de Christian. Je n'ai pas dit mon dernier
mot, Katherine Kavanagh !
— Ana, je t'ai rendu service ! me lance-t-elle dans mon dos.
— Me revoilà, dis-je à Christian et Ray.
Ils ont l'air de bien s'entendre. Christian savoure sa petite plaisanterie et mon père a
l'air très détendu, lui qui l'est si rarement en public. De quoi ont’ils parlé, à part la pêche ?
— Ana, où sont les toilettes ? me demande Ray.
— En face de la tente, à gauche.
— Je reviens tout de suite. Amusez-vous bien, les enfants.
Ray s'éclipse. Je jette un coup d'oeil anxieux à Christian. Nous nous taisons le temps de
poser pour le photographe officiel. Le flash m'aveugle.
— Alors tu as aussi fait ton numéro de charme à mon père ?
— Aussi ?
Christian hausse un sourcil. Je rougis. Il me caresse la joue du bout des doigts.
— J'aimerais bien savoir ce que tu penses, Anastasia, me chuchote-t-il.
Il prend mon menton dans sa main pour me renverser la tête en arrière afin que nous
puissions nous regarder dans les yeux. Ce simple contact me coupe le souffle. Comment
peut-il avoir un tel effet sur moi, même dans cette tente bondée ?
— En ce moment, ce que je pense, c'est que tu as une bien jolie cravate.

Il glousse.
— Depuis peu, c'est ma préférée.
Je vire à l'écarlate.
— Tu es ravissante, Anastasia. Cette robe te va bien, et en plus elle me permet de
caresser la peau magnifique de ton dos.
Tout d'un coup, c'est comme si nous étions seuls. Mon corps tout entier s'est animé,
mes nerfs vibrent, une charge électrique m'attire vers lui.
— Tu sais que ce sera bon, toi et moi, bébé, non ? me souffle-t-il.
Je ferme les yeux. Je fonds.
— Mais j'en veux plus.
— Plus ?
Il m'interroge du regard, perplexe, d'un oeil qui s'assombrit. Je hoche la tête en
déglutissant. Maintenant, c'est dit.
— Plus, répète-t-il comme s'il découvrait ce mot si court, si simple, si prometteur.
Son pouce caresse ma lèvre inférieure.
— Tu veux des fleurs et des chocolats. Je hoche de nouveau la tête.
— Anastasia, reprend-il doucement, je ne sais pas faire ça.
— Moi non plus.
Il esquisse un sourire.
— Tu ne connais pas grand-chose à l'amour.
— Et toi, tu connais les mauvaises choses.
— Mauvaises ? Pas pour moi.
Il secoue la tête. Il a l'air tellement sincère.
— Essaie, chuchote-t-il, la tête penchée sur l'épaule avec un sourire en coin.
Je m'étrangle, et tout d'un coup, je suis comme Eve dans le jardin d'Éden, incapable de
résister au serpent.
— Très bien.
— Pardon ?
Je déglutis.
— Très bien, j'accepte d'essayer.
— Tu acceptes notre accord ? Manifestement, il n'en croit pas ses oreilles.
— Oui, sous réserve des limites à négocier.
J'ai parlé d'une toute petite voix. Christian ferme les yeux et me serre dans ses bras.
— Bon sang, Ana, tu es tellement déroutante. Tu me coupes le souffle.
Il relâche son étreinte alors que Ray nous rejoint ; j'entends à nouveau le brouhaha de
la tente. Nous ne sommes plus seuls au monde. Oh mon Dieu, je viens d'accepter d'être sa
soumise. Christian sourit à Ray, l'oeil pétillant de joie.
— Annie, tu veux qu'on aille déjeuner ? me propose mon père.
Qu'as-tu fait ? me hurle ma conscience. Quant à ma déesse intérieure, elle exécute un
numéro digne d'une gymnaste russe aux J.O.
— Voulez-vous vous joindre à nous, Christian ? lui demande Ray.
Je me tourne vers Christian pour le supplier du regard de refuser. J'ai besoin de recul
pour réfléchir... putain, qu'est-ce que j'ai fait là ?
— Merci, monsieur Steele, mais je suis déjà pris. J'ai été ravi de faire votre
connaissance.
— Moi de même, répond Ray. Prenez soin de ma petite fille.
— J'en ai bien l'intention.
Ils se serrent la main. J'ai la nausée. Ray n'a aucune idée de la façon dont Christian
compte prendre soin de moi. Christian me fait un baisemain en me regardant d'un oeil de
braise.
— À plus tard, mademoiselle Steele, me souffle-t-il d'une voix chargée de promesses.
Mon ventre se noue à cette idée. Minute, là... il a dit à plus tard ?
Ray me prend par le coude pour m'entraîner vers la sortie de la tente.
— Ton Christian m'a tout l'air d'un jeune homme sérieux. Tu aurais pu trouver pire,
Annie. Mais je me demande bien pourquoi j'ai dû l'apprendre par Katherine, me gronde-til.
Je hausse les épaules comme pour m'excuser.
— En tout cas, n'importe quel type qui s'y connaît en pêche à la ligne a ma bénédiction.
Oh la vache. Ray lui donne sa bénédiction. Si seulement il savait.
Ray me dépose chez moi en fin de journée.
— Appelle ta mère.
— Bien sûr. Merci d'être venu, papa.
— Je n'aurais raté ça pour rien au monde, Annie. Je suis tellement fier de toi.
Aïe. Non. Je ne vais pas encore me mettre à pleurer ? Une grosse boule se forme dans
ma gorge et je le serre bien fort dans mes bras. Il m'enlace, perplexe. Ça y est, je sanglote.
— Hé, Annie, ma chérie, me console Ray. C'est un grand jour pour toi... hein ? Tu veux
que je te fasse un thé?
Je ris malgré mes larmes. Le thé, selon Ray, c'est la panacée universelle. D'après ma
mère, on peut toujours compter sur lui pour un bon thé chaud, à défaut de paroles
chaleureuses.
— Non, papa, ça va. J'ai été tellement contente de te voir. Je te rendrai visite très
bientôt, dès que je serai installée à Seattle.
— Bonne chance pour tes entretiens. Tiens-moi au courant.
— Promis, papa.
— Je t'aime, Annie.
— Je t'aime moi aussi, papa.
Il sourit, m'adresse un regard affectueux et remonte dans sa voiture. J'agite la main
tandis qu'il s'éloigne dans le crépuscule, puis je rentre d'un pas traînant dans
l'appartement.
La première chose que je fais, c'est de vérifier mon téléphone. La batterie est à plat : je
dois retrouver mon chargeur et le brancher avant de consulter mes messages. Quatre
appels manques, un message vocal et deux SMS. Les trois appels manques sont de
Christian... Le quatrième est de José, qui m'a laissé un message pour me féliciter. J'ouvre
les SMS.
« Tu es bien rentrée ? »
« Appelle-moi. »
Tous deux sont de Christian. Pourquoi ne m'a-t’il pas appelée sur le fixe ? Je vais dans
ma chambre et j'allume la machine infernale.

De : Christian Grey
Cinquante Nuances de Grey
160
Objet : Ce soir
Date : 25 mai 2011 23:58
À : Anastasia Steele
J'espère que tu es bien rentrée dans ton épave. Dis-moi que tout va bien.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

Bon sang... pourquoi la Coccinelle l'inquiète-t-elle autant ? Elle m'a donné trois années
de bons et loyaux services, et José la révise régulièrement. Le mail suivant de Christian
date d'aujourd'hui.

De : Christian Grey
Objet : Limites à négocier
Date : 26 mai 2011 17:22
À : Anastasia Steele
Que puis-je ajouter à ce que je t'ai déjà dit ? Je serai ravi d'en discuter quand tu voudras. Tu étais
ravissante aujourd'hui.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

Je clique sur « répondre ».

De : Anastasia Steele
Objet : Limites à négocier
Date : 26 mai 2011 19:23
À : Christian Grey
Je peux passer ce soir pour en discuter si tu veux.
Ana

De : Christian Grey
Objet : Limites à négocier
Date : 26 mai 2011 19:27
À : Anastasia Steele
C'est moi qui me déplacerai. J'étais sérieux quand je t'ai dit que ça me faisait peur que tu conduises
cette voiture. J'arrive tout de suite.
Christian Grey
P-DG, Grey Enterprises Holdings, Inc.

Merde alors... Il arrive tout de suite ! Il faudra que je lui rende l'édition originale de
Thomas Hardy, toujours posée sur une étagère dans le salon. Je ne peux pas la garder.
J'enveloppe les bouquins dans du papier Kraft et y inscris une citation tirée de Tess :
« J’accepte les conditions, Angel : car tu sais mieux que quiconque ce que devrait être ma punition : seulement –
seulement – ne la rends pas plus dure que je ne pourrais le supporter ! »


                                                                                                                       EL James